Zéro gara la voiture devant l’aéroport abandonné de Meadow Field. Il avait fait un léger détour en se contentant de n’emprunter que des routes secondaires et en évitant les autoroutes de peur que la CIA puisse repérer sa voiture… qu’ils recherchaient certainement.
Meadow Field ne possédait qu’une seule piste, le bâtiment et le hangar ayant depuis longtemps été détruits, puisque l’aéroport était inutilisé depuis quinze ans. Des touffes d’l’herbe et des fleurs surgissaient des fissures sur le tarmac et la pelouse non tondue de chaque côté de la piste grandissait dans l’indifférence la plus totale.
Mais malgré l’apparence des lieux, se trouver là était un soulagement bienvenu pour Zéro. À environ trente mètres, se trouvait un vieux pick-up dont des lettres au pochoirs peintes sur le côté disaient “Third Street Garage.” Le mécanicien bourru était appuyé contre la portière du côté conducteur, sa casquette vissée sur ses sourcils.
Alors que Zéro se précipitait vers le pick-up, ses filles sortirent de la cabine et coururent vers lui. Il prit chacune d’elle sous un bras et les serra fort, ignorant la douleur dans sa main brisée.
“Est-ce que ça va ?” demanda-t-il.
“Il y a eu un peu de grabuge,” admit Maya en le serrant plus fort. “Mais nous avons eu du renfort.”
Zéro acquiesça et relâcha son étreinte, mais il resta à genoux pour pouvoir regarder Sara pile dans les yeux. “Très bien, écoutez-moi. Je vais être franc avec vous.” Il avait réfléchi à ça durant tout le trajet, à ce qu’il allait leur dire, et il avait décidé de tout leur avouer. Leurs vies étaient déjà en danger de toute façon, et elles méritaient de savoir pourquoi. “Il y a des gens très puissants qui veulent déclarer une guerre. Ils ont prévu ça depuis longtemps et c’est seulement dans leur propre intérêt personnel. Si on les laisse faire ça, alors des milliers d’innocents vont mourir. Je vais aller en parler directement au président afin de l’alerter sur ce qui se passe, mais je ne peux pas être sûr qu’il croira les bonnes personnes. Ça pourrait très bien déboucher sur une nouvelle guerre mondiale.”
“Et tu ne peux pas laisser ça se produire,” dit Sara d’une petite voix.
Maya acquiesça solennellement.
“Tout à fait. Et…” Zéro poussa un gros soupir. “Et ça veut dire que les choses vont probablement être compliquées un petit moment. Ils savent que vous êtes toutes les deux le moyen le plus facile de m’atteindre, donc vous devez disparaître et vous cacher jusqu’à ce que tout ça soit fini. Je ne sais pas quand ce sera le cas. Je ne sais pas…” Il s’interrompit à nouveau. Il voulait leur dire, Je ne sais pas si je survivrai à tout ça, mais les mots n’arrivaient pas à sortir.
Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Elles avaient déjà compris. Des larmes embuèrent les yeux de Maya et elle détourna le regard. Sara le serra fort à nouveau et il fit de même.
“Vous allez devoir partir avec Mitch et vous devrez faire tout ce qu’il vous demande, ok ?” Zéro avait des trémolos dans sa propre voix. Il était vraiment conscient, maintenant plus que jamais, que c’était peut-être la dernière fois qu’il voyait ses filles. “Vous serez en sécurité avec lui. Et prenez soin l’une de l’autre.”
“Promis,” murmura Sara dans son oreille.
“Bien. À présent, restez là une minute pendant que je vais parler à Mitch. Je reviens.” Il lâcha Sara et se dirigea vers le pick-up où le mécanicien attendait, immobile.
“Merci,” lui dit Zéro. “Tu n’étais pas obligé de faire tout ça et j’apprécie vraiment ton geste. Quand tout ça sera terminé, je te revaudrai ça au centuple.”
“Pas la peine,” marmonna le mécanicien. Sa casquette de camionneur était toujours enfoncée, cachant ses yeux, tandis que son épaisse barbe camouflait le reste de son visage.
“Où est-ce que tu les emmène ?”
“Il y a une vieille maison de protection des témoins au fin fond du Nebraska,” dit Mitch. “Une petite cabane juste en dehors d’une petite ville, quasiment au milieu de rien. Elle n’a pas été utilisée depuis des années, mais elle figure toujours sur la liste du gouvernement. Je les emmène là-bas. Elles seront en sécurité.”
“Merci,” dit Zéro à nouveau. Il ne savait pas ce qu’il pouvait dire d’autre. Il n’était même pas sûr de savoir pouvoir il faisait aussi facilement confiance à ce type en lui laissant les deux personnes qui comptaient le plus dans sa vie. C’était une sensation… un instinct qui dépassait toute logique. Mais il avait appris depuis longtemps, et réappris seulement quelques heures auparavant, à faire confiance à ses instincts.
“Alors,” marmonna Mitch. “C’est finalement en train d’arriver, pas vrai ?”
Zéro cligna des yeux, surpris. “Oui,” dit-il avec méfiance. “Tu es au courant de tout ça ?”
“Oui.”
Il cria presque : “Qui es-tu en réalité ?”
“Un ami.” Mitch vérifia l’heure à sa montre. “Un hélico sera là à tout moment. Il nous déposera sur une piste privée où nous prendrons un avion pour aller à l’ouest.”
Zéro laissa tomber. Il semblait qu’il ne tirerait aucune réponse plus précise de ce mystérieux mécanicien. “Merci,” murmura-t-il une fois de plus. Puis, il tourna les talons pour aller dire au revoir à ses filles.
“Tu es de retour,” dit le mécanicien dans son dos. “N’est-ce pas ?”
Zéro se retourna. “Ouais, je suis de retour.”
“Depuis quand ?”
Il se mit à rire. “Aujourd’hui, tu te rends compte ? C’est un après-midi très étrange, je dois dire.”
“Eh bien,” dit Mitch. “Je ne voudrais pas te décevoir.”
Zéro se figea. Un frisson lui parcourut le dos. La voix de Mitch venait soudain de changer et n’avait plus rien avoir avec les marmonnements d’il y a quelques secondes à peine. Elle était douce, calme et tellement familière que Zéro oublia la Division, sa situation et même ses filles pendant un moment.
Mitch passa la main sous la visière de sa casquette et se frotta les yeux. Du moins, on aurait dit que c’était ce qu’il était en train de faire. Mais quand il baissa à nouveau la main, il y avait deux minuscules disques concaves sur ses doigts, d’un bleu cristallin.
Lentilles. Il portait des lentilles de couleur.
Ensuite, Mitch retira sa casquette, lissa ses cheveux et leva les yeux vers Zéro. Ses yeux bruns semblaient désemparés, presque honteux, et Zéro comprit exactement pourquoi en un instant.
“Bon sang.” Sa voix sortit en un murmure rauque alors qu’il regardait ses yeux.
Il les connaissait. Il aurait reconnu ces yeux n’importe où. Mais c’était impossible. “Mon dieu. Tu… tu étais mort.”
“Tout comme toi pendant deux ans,” dit le mécanicien de sa voix douce, presque chantante.
“J’ai vu ton corps,” parvint à articuler Zéro. Ça ne peut pas être vrai.
“Tu as vu un corps qui ressemblait au mien.” L’homme haussa les épaules. “Ne crois pas une seule seconde que je n’ai jamais été aussi intelligent que toi, Zéro.”
“C’est dingue.” Zéro le détailla de la tête aux pieds. Il avait pris une douzaine de kilos, peut-être même plus. Il avait laissé pousser sa barbe, portait une casquette et des lentilles de couleur. Il avait changé sa voix.
Mais c’était lui. Il était vivant.
“Je n’arrive pas à y croire.”