cap,” dit Gilbert à travers la radio, tirant Thomas de ses pensées pour revenir sa console. L’officier avait raison : le troisième bateau était soudain devenu timide à cinq-cents mètres et bifurquait vers l’ouest. “On dirait bien que j’ai perdu vingt dollars.”
Thomas laissa échapper un soupir de soulagement. Dans une minute, le bateau serait à plus de huit-cents mètres de distance et le Constitution poursuivrait sa patrouille à l’est vers le détroit. S’il vous plaît, ne faites rien de stupide, pensa-t-il en disant, “Le navire CGRI est à quatre-cent-cinquante mètres et se dirige vers l’est. On dirait bien qu’on ne l’intéresse pas, Monsieur.”
Warren acquiesça d’un signe de tête. S’il était aussi soulagé que Thomas, il n’en laissait rien paraître. Le lieutenant comprenait aisément pourquoi : les règles d’engagement avaient changé soudainement. Combien de temps faudrait-il avant qu’ils ne se retrouvent dans une autre situation telle que celle-là ?
Le Lieutenant Davis leva soudain les yeux vivement. “Ils nous saluent, Monsieur.”
Le Capitaine Warren ferma les yeux et soupira. “Très bien. Relayez ceci, et fissa.” Plus qu’un simple officier des communications, Davis parlait couramment l’arabe et le farsi. Il traduisit le message du capitaine pendant que Warren le prononçait, écoutant et parlant en même temps. “Ici le Capitaine James Warren de l’USS Constitution. Les règles d’engagement de la Marine des USA ont changé. Vos supérieurs doivent certainement être déjà au courant mais, si ce n’est pas le cas, sachez que nous sommes pleinement autorisés par le gouvernement américain à utiliser la force léthale si le moindre bateau…”
“Tir de roquette !” cria Gilbert dans l’oreille de Thomas.
“Tir de roquette !” répéta Thomas. Avant même qu’il ne sache ce qu’il faisait, il retira le casque de sa tête et se précipita vers les fenêtres. À distance, il vit le navire CGRI, ainsi que la bande rouge vif qui traversa le ciel dans un arc de cercle avec un voile de fumée derrière elle.
Alors qu’il regardait la scène, une deuxième roquette partit du pont du bateau iranien. Elles étaient tirées sur une trajectoire parallèle au Constitution, assez loin pour générer à peine quelques vagues ressenties par le destroyer.
Thomas se tourna vers le capitaine. Le visage de Warren était devenu un peu plus pâle. “Monsieur…”
“Retournez à votre poste, Lieutenant Cohen,” dit Warren d’une voix tendue.
Un nœud d’effroi se forma dans l’estomac de Thomas. “Mais Monsieur, nous ne pouvons pas sérieusement…”
“Retournez à votre poste, Lieutenant,” répéta le capitaine en serrant les dents. Thomas s’exécuta, s’asseyant lentement sur son siège sans toutefois quitter Warren des yeux.
“Ça ne vient pas de l’amiral,” dit-il, comme s’il essayait de leur expliquait ce qu’il savait qu’il allait devoir faire. “Ni même du Chef des Opérations Navales. Ça émane du Secrétaire de la Défense. Est-ce que vous comprenez ? C’est un ordre direct dans l’intérêt de la sécurité nationale.”
Sans dire un mot de plus, Warren s’empara d’un téléphone rouge fixé au mur. “Ici le Capitaine Warren. Tirez les torpilles.” Il y eut un moment de silence, puis le capitaine répéta avec insistance, “Affirmatif. Tirez les torpilles.” Il raccrocha le téléphone, mais sa main resta posée dessus. “Que dieu nous vienne en aide,” murmura-t-il.
Thomas Cohen retint son souffle. Il comptait les secondes. Il venait d’atteindre le chiffre douze quand il entendit la voix de Gilbert, basse, haletante et presque solennelle dans la radio.
“Dieu tout puissant.”
Thomas se leva sans quitter son poste, mais juste pour avoir une vue partielle depuis la fenêtre. Ils n’entendirent aucune explosion à travers la vitre blindée de la cabine du pont, conçue pour supporter de puissants tirs balistiques. Ils ne sentirent aucune onde de choc, absorbée qu’elle fut par le vaste Golfe Persique. Mais il la vit. Il vit la boule de feu orange s’élever dans le ciel tandis que le navire CGRI était, comme il l’avait prédit, détruit en quelques secondes par une rafale de torpilles venant du destroyer américain.
La traînée verte disparut de son écran. “Cible détruite,” confirma-t-il d’une voix basse. Il n’avait aucune idée du nombre de personnes qui venaient d’être tuées. Vingt. Peut-être cinquante. Ou même une centaine.
Davis se leva aussi et regarda par la fenêtre. Alors que le feu orange se dissipait, le navire déchiré sombra rapidement dans les profondeurs du Golfe Persique. C’était peut-être dû à l’angle ou au reflet du soleil, mais il aurait juré voir ses yeux briller sous la menace des larmes.
“Cohen ?” dit-il à voix basse, presque dans un murmure. “Est-ce qu’on vient juste de déclencher la Troisième Guerre Mondiale ?”
Cinq minutes auparavant, la guerre était bien la dernière chose que le Lieutenant Thomas Cohen avait à l’esprit. Mais, à présent, il avait toutes les raisons de croire qu’il ne serait pas chez lui, à Pensacola, dans trois semaines.
CHAPITRE TROIS
“Excusez-moi,” dit Zéro, “pensez-vous pouvoir conduire juste un peu plus vite ?” Il était assis sur la banquette arrière d’une berline noire, tandis que le chauffeur de la Maison Blanche le ramenait à Alexandria, à moins de trente minutes de Washington, DC. Le trajet se déroula quasiment en silence, au grand soulagement de Zéro qui eut quelques précieuses minutes pour pouvoir réfléchir. Ce n’était pas le moment de passer en revue le déluge de nouvelles compétences retrouvées ou d’éléments déverrouillés dans sa tête. Il devait se concentrer sur la tâche à accomplir.
Réfléchis, Zéro. Qui, à ta connaissance, trempe là-dedans ? Le secrétaire de la défense, le vice-président, des membres du congrès, une poignée de sénateurs, des membres de la NSA, du Conseil de la Sécurité Nationale et même de la CIA… Des noms et des visages traversèrent son esprit comme dans une liste déroulante. Zéro inspira d’un coup, tandis qu’une céphalée de tension commençait à se former à l’avant de son crâne. Il avait enquêté sur bon nombre d’entre eux et même trouvé quelques preuves dont il avait enfermé les documents dans son coffre-fort d’Arlington, mais il craignait fort que ce ne soit pas suffisant pour réellement prouver ce qui était en train de se passer.
Son téléphone mobile se mit à sonner dans sa poche mais il décida de ne pas répondre.
Pourquoi maintenant ? Il n’avait pas besoin de ses nouveaux souvenirs pour répondre à cette question-là. C’était une année électorale. Dans un peu plus de six mois, Pierson serait soit réélu pour un second mandat ou alors remplacé par un Démocrate. Et rien ne susciterait plus de soutien qu’une campagne réussie contre un ennemi hostile.
Il était certain que Pierson ne faisait pas partie du complot. D’ailleurs, Zéro se souvint tout à coup que Pierson, lors de sa première année au pouvoir, avait signé un décret pour diminuer la présence militaire américaine en Irak et en Iran. Il était opposé à une nouvelle guerre au Moyen Orient sans provocation… raison pour laquelle ceux qui œuvraient dans l’ombre avaient besoin d’un catalyseur comme la Confrérie.
Et pendant que les USA diminuaient leur présence, les russes augmentaient la leur. Maria avait mentionné le fait que les ukrainiens s’inquiétaient que la Russie tente de s’emparer de sites de production de pétrole dans la Mer Noire. C’était la raison pour laquelle elle s’était prudemment alliée à eux afin de partager des informations. Les conspirateurs américains étaient de mèche avec les russes. Les USA auraient le détroit et les russes obtiendraient la Mer Noire. Les États-Unis ne feraient rien pour empêcher la Russie d’atteindre ses objectifs, et la Russie répondrait de la même façon, peut-être même en les soutenant au Moyen Orient.
Deux