père resta un instant silencieux, puis il secoua la tête.
— Je ne suis pas sûr de pouvoir le faire, Royce.
La déception qui traversa Royce à ce moment-là fut absolue.
— Mais je suis allé si loin !
Il pouvait entendre la douleur dans sa propre voix, et cela se refléta sur le visage de son père.
— J’ai regardé dans le miroir, dit son père. Je me suis vu ici, sans retour possible au royaume.
— Mais c’était il y a si longtemps, dit Royce. Les choses ont changé, Père.
— Tu sais qu’il y a des choses que je ne peux pas dire, répondit son père en secouant la tête.
Des choses qu’il avait vues, devina Royce. Mais cela lui donna une idée. Il attrapa le sac à côté de lui.
— Veux-tu encore regarder ? demanda-t-il. Il lui tendit le miroir.
— Tu connais les dangers que cela implique, dit son père, visiblement inquiet. Un homme ne devrait pas regarder trop souvent, à cause de tous les bouleversements que cela peut engendrer.
— S’il te plaît, supplia Royce.
Son père hésita, puis hocha la tête. Lentement, prudemment, il regarda dans le miroir. Il sembla le regarder une éternité, si longtemps en fait que Royce pensa à l’en éloigner, à le couvrir pour qu’il n’ait plus à le regarder.
Finalement, son père ferma les yeux.
— Il semble que le royaume aura son roi, dit son père, avec une expression que Royce ne sut pas déchiffrer. Elle laissait entendre qu’il avait vu plus de choses encore que Royce.
— Et tu auras ton père à tes côtés, conclut-il.
Cette partie, au moins, permit à Royce de reprendre son souffle.
— Alors tu retourneras au royaume avec mes amis et moi ? demanda Royce, osant à peine espérer.
— Je le ferai, promit son père. Il disparut un moment dans la cabane, ramassant un petit sac d’affaires presque identique à celui que Royce avait trouvé sur la première des Sept Îles. C’était tout ce qu’il voulait emporter avec lui.
— Je n’ai ni ton armure ni ton épée, dit Royce. Je les ai perdues dans les Sept Îles.
— Cela n’a pas de sens, dit son père. J’ai vu… non, comme je l’ai dit, cela ne marche pas comme ainsi.
Royce savait qu’il ne devait pas lui demander ce qu’il avait vu, mais il lui fut difficile de ne pas s’en inquiéter alors qu’ils partaient à travers les arbres à l’orée de l’île. Il lui était également difficile de ne pas s’étonner d’avoir finalement retrouvé son père. L’homme qui était parti si longtemps auparavant était ici, marchant à ses côtés avec Gwylim pendant qu’Ember voltigeait à travers les arbres.
La marche jusqu’à la plage ne sembla pas aussi longue que le voyage vers l’intérieur de l’île. Ils couvrirent la distance rapidement, et bientôt, ils regardèrent fixement l’endroit où le bateau avait jeté l’ancre. Ses amis étaient toujours là à attendre alors que Royce et son père arrivèrent, mais ils vinrent à leur rencontre lorsqu’ils réalisèrent que Royce était accompagné. Ils se précipitèrent sur la plage, se tenant là, dans l’expectative.
— Une Picti, une paysanne et un combattant de l’Île Rouge ? dit son père.
— Mes amis, répondit Royce. Il y avait aussi un chevalier, mais Sir Bolis s’est sacrifié dans les Sept Îles, pour notre salut à tous.
Il s’avança vers eux, prêt à les présenter un à un.
— Mes amis, voici mon père, le roi Philippe, le roi légitime. Nous l’avons enfin trouvé.
Ses amis réagirent avec une déférence surprenante. Mark s’inclina, Matilde fit la révérence et même Neave fit un signe de tête respectueux.
— Père, voici Mark. Il m’a aidé à survivre à l’Île Rouge, et c’est mon meilleur ami.
Son père lui prit la main.
— Un homme qui a sauvé la vie de mon fils mérite toute ma gratitude.
— Il a sauvé la mienne plus souvent encore, répondit Mark.
Royce se déplaça le long de la ligne.
— Voici Matilde, qui fait partie de la résistance à la domination de l’ancien duc depuis presque le début. Elle est plus féroce qu’elle n’en a l’air.
— Vraiment ? dit son père en regardant Matilde. Je dirais que tu as déjà l’air assez féroce. Je serai heureux de me battre à tes côtés.
— Merci, Votre Majesté, dit Matilde, l’air ravie.
— Et toi ? dit son père, se tournant vers Neave.
— Neave, Votre Majesté, dit-elle, avec une note de respect à laquelle Royce ne s’attendait pas.
— Les Pictis méritent une meilleure place dans le royaume que ce que j’ai pu leur donner. Ils respectent la magie du monde d’une manière aujourd’hui oubliée. Si tu es ici, cela signifie-t-il que ta tribu se bat aux côtés de mon fils ?
— Oui, confirma Neave. Il a fait chanter la pierre de guérison. D’autres se joindront également à votre cause.
— On dirait que tu as préparé toute une armée, conclut le père de Royce.
Royce hocha la tête.
— Nous y travaillons. D’ici notre retour, j’espère que mes frères en auront rassemblé assez pour affronter le roi Carris. Mais il nous faut un symbole. Nous avons besoin du roi légitime. Nous avons besoin de toi.
— Je suis avec toi, promit son père. Il se dirigea vers le bateau. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir et un dur combat à livrer une fois là-bas.
CHAPITRE SIX
Geneviève se faufila dans le château au petit matin, effrayée à chaque pas, sachant qu’elle prenait un risque simplement en déambulant dans les couloirs. Si Altfor réalisait qu’elle était ici, alors même l’enfant qu’elle portait ne saurait la protéger, mais il avait quitté leur chambre avant elle, et Geneviève avait deviné qu’il était parti rejoindre Moira.
— Je vais la tuer, dit Geneviève, bien qu’elle connût ses appréhensions à tuer qui que ce soit de sang-froid. Sa mésaventure avec Altfor lui avait bien prouvé, lorsqu’elle s’était trouvée incapable de le poignarder alors même qu’elle en avait eu l’occasion.
— Je trouverai quelque chose, se promit Geneviève, de la même façon qu’elle l’avait fait quand il s’agissait d’Altfor. Si elle ne pouvait pas le faire directement, elle aiderait à tous les faire tomber indirectement, puis elle veillerait à ce qu’ils soient exécutés pour leurs crimes. Ils le méritaient, ils méritaient bien pire encore.
Elle détestait davantage Moira, si c’était possible, qu’Altfor. Altfor n’avait jamais prétendu être son ami ; il l’avait trahi comme Geneviève s’était attendue qu’il la trahisse. Moira, quant à elle, avait connu la même situation qu’elle, mariée à un autre fils du duc et plongée dans un monde dont elle n’aurait jamais dû faire partie. Elle aurait dû être l’alliée de Geneviève, son amie. Au lieu de cela, elle s’était rapprochée d’Altfor, et avait trahi Geneviève. Elle avait fait bien pire quand elle avait livré Garet aux forces du roi.
Au moins Geneviève pourrait commencer à s’occuper de cela.
Elle continua d’avancer, se déplaçant en douceur d’une cachette à une autre, essayant de donner l’impression qu’elle vaquait à ses occupations,