elle n'était pas disposée à prendre sa tâche au sérieux. Ethan pensait souvent que l'instinct domestique de la jeune fille pouvait s'éveiller, et ses pâtés et ses pains sans levain devenir l'orgueil du pays… mais, les soins du ménage ne l'intéressaient guère en eux-mêmes. Le plus souvent elle y montrait tant de maladresse que lui-même ne pouvait s'empêcher de la taquiner ; mais elle riait alors avec lui, et ce rire en commun les rapprochait davantage. D'autre part, il faisait de son mieux pour suppléer à ses efforts. Il se levait de meilleure heure que jadis pour allumer le feu de la cuisine. La nuit venue, il rentrait le bois. Il négligeait même la scierie au profit de la ferme, pour aider Mattie dans la journée, et le samedi, dans la soirée, une fois les femmes endormies, il se glissait dans la cuisine pour laver par terre. Un jour, même, Zeena l'avait surpris à la baratte, et lui avait lancé, en s'en allant, un de ses coups d'œil énigma-tiques.
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Ethan Frome ~Chapter I
Of late there had been other signs of her disfavour, as intangible but more disquieting. One cold winter morning, as he dressed in the dark, his candle flickering in the draught of the ill-fitting window, he had heard her speak from the bed behind him.
“The doctor don’t want I should be left without any-body to do for me,” she said in her flat whine.
He had supposed her to be asleep, and the sound of her voice had startled him, though she was given to abrupt explosions of speech after long intervals of secretive silence.
He turned and looked at her where she lay indistinctly outlined under the dark calico quilt, her high-boned face tak-ing a grayish tinge from the whiteness of the pillow.
“Nobody to do for you?” he repeated.
“If you say you can’t afford a hired girl when Mattie goes.”
Frome turned away again, and taking up his razor stooped to catch the reflection of his stretched cheek in the blotched looking-glass above the wash-stand.
“Why on earth should Mattie go?”
“Well, when she gets married, I mean,” his wife’s drawl came from behind him.
“Oh, she’d never leave us as long as you needed her,” he returned, scraping hard at his chin.
“I wouldn’t ever have it said that I stood in the way of a poor girl like Mattie marrying a smart fellow like Denis Eady,” Zeena answered in a tone of plaintive self-effacement.
Ethan, glaring at his face in the glass, threw his head back to draw the razor from ear to chin. His hand was steady, but the attitude was an excuse for not making an immediate reply.
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Sous la neige~ Chapitre I
Récemment, Frome avait saisi d'autres indices de sa mauvaise humeur, aussi subtils et plus inquiétants. Par un matin rigoureux de cet hiver, comme il s'habillait à la lueur douteuse de la chandelle, il avait entendu derrière lui la voix de sa femme, qui était encore couchée :
— Le médecin trouve qu'on ne devrait pas me laisser ainsi, sans personne pour m'aider, — disait-elle.
Ethan l'avait crue endormie. Ces mots le surprirent, bien qu'il fût habitué à un flot de paroles succédant brusque-ment à de longs silences mystérieux.
Il se tourna vers le lit et la regarda, enfouie dans l'om-bre, sous la courtepointe de calicot foncé. Son visage osseux avait sur la blancheur de l'oreiller une teinte terreuse.
— Personne pour vous aider ? …
— Évidemment, si vous prétendez que nous ne pou-vons pas engager une servante, lorsque Mattie sera partie !
Frome se détourna. Le rasoir en main, la joue tendue, il faisait effort pour se voir dans la mauvaise glace accrochée au-dessus de la toilette.
— Pourquoi diable partirait-elle ?
— Eh bien ! elle se mariera, sans doute ! — fit d'une voix traînante sa femme derrière lui.
Tout en grattant son menton, Frome répliqua :
— Oh ! je ne crois pas qu'elle nous quitte tant que vous aurez besoin d'elle.
— Je ne voudrais pourtant pas qu'on m'accusât d'empêcher une pauvre fille comme Mattie d'accepter un beau parti comme Denis Eady, — riposta l'autre, sur un ton de désintéressement dolent.
Ethan continuait à regarder son visage dans le miroir. Il rejeta sa tête en arrière et, d'une main assurée, passa lente-ment le rasoir de son oreille à son menton. La posture était une suffisante excuse pour ne pas répondre aussitôt.
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Ethan Frome ~Chapter I
“And the doctor don’t want I should be left without anybody,” Zeena continued. “He wanted I should speak to you about a girl he’s heard about, that might come—”
Ethan laid down the razor and straightened himself with a laugh.
“Denis Eady! If that’s all, I guess there’s no such hurry to look round for a girl.”
“Well, I’d like to talk to you about it,” said Zeena obstinately.
He was getting into his clothes in fumbling haste. “All right. But I haven’t got the time now; I’m late as it is,” he returned, holding his old silver turnip-watch to the candle.
Zeena, apparently accepting this as final, lay watching him in silence while he pulled his suspenders over his shoul-ders and jerked his arms into his coat; but as he went toward the door she said, suddenly and incisively: “I guess you’re always late, now you shave every morning.”
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Sous la neige~ Chapitre I
— Du reste, le docteur ne comprend pas qu'on me laisse ainsi sans aucune aide, — continua Zeena. — Il m'a conseillé de vous proposer une fille dont quelqu'un lui a parlé, et qui pourrait venir…
Ethan posa le rasoir et se prit à rire :
— Denis Eady ! … S'il ne se présente que lui comme épouseur, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de nous enquérir d'une servante.
— Peut-être ! mais je voulais vous en parler, — insista Zeena.
Ethan mettait ses habits en tâtonnant.
— Soit, mais je n'ai pas le temps de parler de cela main-tenant. Je suis déjà bien assez en retard, — répondit-il, en consultant sous la chandelle sa vieille montre d'argent.
Zeena eut l'air d'accepter cette défaite. Elle retom-ba dans le silence, pendant qu'il jetait ses bretelles sur ses épaules et endossait sa veste. Mais, comme il se dirigeait vers la porte, elle lâcha sournoisement :
— Je ne m'étonne pas si vous êtes en retard ! … vous vous rasez tous les matins…
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Ethan Frome ~Chapter I
That thrust had frightened him more than any vague insinuations about Denis Eady. It was a fact that since Mattie Silver’s coming he had taken to shaving every day; but his wife always seemed to be asleep when he left her side in the winter darkness, and he had stupidly assumed that she would not notice any change in his appearance. Once or twice in the past he had been faintly disquieted by Zenobia’s way of letting things happen without seeming to remark them, and then, weeks afterward, in a casual phrase, revealing that she had all along taken her notes and drawn her inferences. Of late, however, there had been no room in his thoughts for such vague apprehensions. Zeena herself, from an oppressive reality, had faded into an insubstantial shade. All his life was lived in the sight and sound of Mattie Silver, and he could no longer conceive of its being otherwise. But now, as he stood outside the church, and saw Mattie spinning down the floor with Denis Eady, a throng of disregarded hints and menaces wove their cloud about his brain…
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Sous