Edith Wharton

Ethan Frome / Sous la neige


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Silver il avait pris l'habitude de se faire la barbe chaque jour. Mais Zeena semblait si bien dormir quand il se levait, dans l'obscurité des matins d'hiver ! Il en était venu à s'imaginer, en toute naïveté, qu'elle n'obser-vait pas ce changement. Cependant il aurait dû se méfier… Une fois ou deux, déjà, il avait été surpris de voir sa femme, après des de semaines de silence, faire allusion à certains faits que sur le moment elle n'avait pas paru remarquer. Ces derniers temps, néanmoins, il n'y avait pas eu place dans sa pensée pour de pareilles appréhensions : Zenna était devenue pour lui une ombre impalpable ; toute sa vie était concentrée dans les yeux et les paroles de Mattie Silver, et il ne concevait pas qu'il pût en être autrement… Maintenant, debout dans les ténèbres, à la porte de l'église, il voyait Mattie qui dansait avec Eady, — et soudain une nuée de présages funestes et négligés s'abattait sur son bonheur…

      II

      As the dancers poured out of the hall Frome, drawing back behind the projecting storm-door, watched the segre-gation of the grotesquely muffled groups, in which a moving lantern ray now and then lit up a face flushed with food and dancing. The villagers, being afoot, were the first to climb the slope to the main street, while the country neighbours packed themselves more slowly into the sleighs under the shed.

      “Ain’t you riding, Mattie?” a woman’s voice called back from the throng about the shed, and Ethan’s heart gave a jump. From where he stood he could not see the persons coming out of the hall till they had advanced a few steps beyond the wooden sides of the storm-door; but through its cracks he heard a clear voice answer: “Mercy no! Not on such a night.”

      She was there, then, close to him, only a thin board between. In another moment she would step forth into the night, and his eyes, accustomed to the obscurity, would discern her as clearly as though she stood in daylight. A wave of shyness pulled him back into the dark angle of the wall, and he stood there in silence instead of making his pres-ence known to her. It had been one of the wonders of their intercourse that from the first, she, the quicker, finer, more expressive, instead of crushing him by the contrast, had given him something of her own ease and freedom; but now he felt as heavy and loutish as in his student days, when he had tried to “jolly” the Worcester girls at a picnic.

      II

      Les danseurs sortaient de la salle, Frome se rejeta en arrière de la double porte. De sa cachette il assista à la sépa-ration des groupes, emmitouflés de façon grotesque. De-ci, de-là, le reflet sautillant d'une lanterne éclairait un visage congestionné par la bonne chère et la danse. Les gens de Starkfield, venus à pied, étaient les premiers à gravir le raidil-lon qui menait à la Grande Rue, pendant que les fermiers des environs s'installaient dans leurs traîneaux.

      — Vous ne voulez pas monter avec nous, Mattie ? — cria une voix de femme dans la foule, sous le hangar.

      Le cœur d'Ethan sursauta dans sa poitrine.

      De l'endroit qu'il occupait, il ne pouvait voir ceux qui sortaient de la salle avant qu'ils eussent un peu dépassé le tambour de la porte. Il entendit répondre une voix claire :

      — Eh ! non, pas par une nuit pareille ! …

      Mattie était donc là, tout à côté de lui : une planche mince les séparait. Dans un instant elle allait paraître, elle aussi, et les yeux de Frome, accoutumés à l'obscurité, la dis-cerneraient entre toutes, aussi aisément qu'en plein jour. Un mouvement de timidité le fit reculer, encore, dans l'ombre. Il demeura là en silence, invisible. Il était lui-même tout surpris de cette gêne subite. Généralement, au contraire, bien qu'elle fût la plus vive, la plus fine, la plus « en dehors », elle lui avait communiqué un peu de son naturel et de son aisance. Mais ce soir il se sentait aussi gauche, aussi emprunté qu'au temps de ses études, lorsqu'il hasardait quelques plaisanteries timid-es avec les jeunes filles de Worcester, au bal.

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      Ethan Frome ~Chapter II

      He hung back, and she came out alone and paused within a few yards of him. She was almost the last to leave the hall, and she stood looking uncertainly about her as if wondering why he did not show himself. Then a man’s figure approached, coming so close to her that under their formless wrappings they seemed merged in one dim outline.

      “Gentleman friend gone back on you? Say, Matt, that’s tough! No, I wouldn’t be mean enough to tell the other girls. I ain’t as low-down as that.” (How Frome hated his cheap banter!) “But look at here, ain’t it lucky I got the old man’s cutter down there waiting for us?”

      Frome heard the girl’s voice, gaily incredulous: “What on earth’s your father’s cutter doin’ down there?”

      “Why, waiting for me to take a ride. I got the roan colt too. I kinder knew I’d want to take a ride to-night,” Eady, in his triumph, tried to put a sentimental note into his bragging voice.

      The girl seemed to waver, and Frome saw her twirl the end of her scarf irresolutely about her fingers. Not for the world would he have made a sign to her, though it seemed to him that his life hung on her next gesture.

      “Hold on a minute while I unhitch the colt,” Denis called to her, springing toward the shed.

      She stood perfectly still, looking after him, in an atti-tude of tranquil expectancy torturing to the hidden watcher. Frome noticed that she no longer turned her head from side to side, as though peering through the night for another figure. She let Denis Eady lead out the horse, climb into the cutter and fling back the bearskin to make room for her at his side; then, with a swift motion of flight, she turned about and darted up the slope toward the front of the church.

      “Good-bye! Hope you’ll have a lovely ride!” she called back to him over her shoulder.

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      Sous la neige~ Chapitre II

      Il hésita ; Mattie sortit seule, puis s'arrêta à quelques pas de lui. Elle avait été à peu près la dernière à quitter la salle. Elle regardait autour d'elle avec inquiétude, étonnée qu'Ethan ne se montrât pas. Un homme se rapprocha d'elle, si près que sous leurs manteaux informes le groupe ne faisait plus qu'une lourde et noire silhouette.

      — Est-ce que monsieur votre ami est parti sans vous ? Dites, Mattie, ce serait un peu fort… Mais soyez tranquille, je ne le dirai pas à vos petites camarades : je ne suis pas assez méchant pour cela… Et puis, tenez, j'ai eu la bonne idée d'amener le cutter de mon vieux : il nous attend.

      Frome était exaspéré par ce ton goguenard, mais la voix de la jeune fille répondit, incrédule et gaie :

      — Bonté du ciel ! qu'est-ce que vient faire ici le cutter de votre père ?

      — Mais il m'attend pour faire un tour. J'ai sorti le poulain rouan. Je me doutais bien que nous aurions à nous promener ce soir, — fit Eady, essayant de mettre une note sentimentale dans sa voix de jeune coq.

      Mattie semblait balancer. Frome vit qu'elle roulait le bout de son écharpe autour de ses doigts. Pour rien qu monde il n'eût bougé, mais il sentait toute son existence suspendue au prochain geste de la jeune fille.

      — Attendez une minute : je vais détacher le poulain, — lui dit Denis, se dirigeant vers le traîneau.

      Elle demeura immobile, le regardant s'éloigner, dans une attitude si calme que Frome, dans sa cachette, en souf-frait profondément. Il observa que pas une seule fois elle ne tournait la tête, pour découvrir dans la nuit noire une autre silhouette. Elle laissa Denis Eady sortir le cheval, monter sur le traîneau et relever la peau d'ours pour lui faire place. Puis, brusquement, elle fit volte-face et courut vers la montée, dans la direction du portail de l'église.

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