Terry Salvini

Masques De Cristal


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tu vas?

      Loreley se figea.

      –Faire une balade ici sur le boulevard. Je voulais te laisser te reposer en paix…

      Johnny se releva et s'appuya sur un coude.

      –Viens près de moi. Je veux célébrer le premier jour à Paris à ma façon.

      –Tu n'es pas si fatigué, alors!» Elle prononça ces paroles lentement, en s'approchant de lui, tout en déboutonnant son chemisier avec des gestes qui laissaient transparaître ses intentions. Elle lança le vêtement sur l'ottomane pour passer à la jupe, qu'elle fit glisser le long de ses jambes.

      «Tu t'occupes du reste» lui dit-elle en comblant la distance entre eux jusqu'à être proche au point de sentir son souffle sur elle.

      Johnny tendit la main et elle fut nue en une seconde, sous ses yeux bleus qui la regardaient avec désir.

      Il la surprit ce soir-là en s'attardant sur les préliminaires, comme il savait qu'elle aimait. Ce fut une des rares fois où Loreley se sentit couverte d'attentions.

      S'il l'aimait, peut-être qu'il ne réagirait pas mal à la nouvelle d'avoir un enfant. C'était peut-être elle qui se créait des problèmes ou les exagérait. Aussi difficile que ce soit, elle se mit à penser à une vie avec lui et leur enfant. Mais pourquoi était-ce arrivé juste à ce moment, aussi tôt?

***

      Le matin suivant, quand John la quitta pour aller discuter du projet professionnel avec une société de construction, Loreley décida de se rendre au Musée du Louvre. Elle l'avait déjà visité quelques années plus tôt, mais il n'avait pas été possible de le voir entièrement.

      Elle passa des heures à explorer les salles, à monter et descendre les escaliers pour pouvoir trouver les halls des oeuvres exposées qui l'intéressaient, en s'arrêtant de temps en temps pour se reposer.

      Tard dans l'après-midi, elle fit du shopping dans les boutiques du Boulevard de Sébastopol: peu de choses vu que presque rien ne rentrerait dans la valise.

      Au coucher du soleil, quand ils se retrouvèrent, Johnny lui proposa d'aller à la Tour Eiffel. Ils se firent déposer dans les environs du monument et se baladèrent sur la Promenade, pour admirer ce morceau de bord de Seine et le soleil qui disparaissait dans une explosion de rouge et d'orange derrière les maisons, alors que les premières lumières du soir s'allumaient.

      Dans le lointain, la partie supérieure de la tour montait en flèche au-dessus des arbres. Quand ils arrivèrent à ses pieds, l'imposante structure de métal était complètement illuminée.

      Loreley observa la file de personnes devant la billetterie et entendit John grommeler. «Regarde combien de gens il y a pour monter au sommet! Tu es sûre de vouloir le faire?

      –Non, pas si tu n'en as pas envie, lui répondit-elle en tentant, en vain, de ne pas montrer sa déception.

      –D'accord, je te ferai plaisir cette fois encore.»

      Il faisait tout pour la contenter, pensa-t-elle.

      «Je devrais peut-être te faire sourire plus souvent: tu as les yeux qui brillent.»

      Elle aurait voulu lui montrer combien elle avait apprécié ces mots, mais elle ne lui donna qu'un bref baiser: il y avait trop de gens autour d'eux.

      Une petite heure plus tard, ils arrivèrent sur la terrasse panoramique. Vue d'en haut, Paris était d'une beauté indescriptible, avec ses lumières qui se multipliaient au fur et à mesure que les minutes passaient, créant une géométrie lumineuse entrecoupée d'étincelles de minuscules points brillants.

      La fraîcheur de l'air provoqua un léger frisson chez Loreley, qui n'était peut-être pas dû à la brise froide, mais à la conscience que le moment de révéler son secret était venu.

      Elle regarda autour d'elle et remarqua une inscription rouge au-dessus de leurs têtes: “Bar et Champagne” lut-elle.

      «Et si on prenait quelque chose à boire? lui proposa-t-elle.

      Il suivit la direction de son regard et sourit.

      –C'est une excellente idée.»

      C'était peut-être une erreur de lui parler d'un sujet si délicat dans un lieu public, mais c'était une occasion particulière et elle ne voulait pas la gâcher. Elle devait essayer. Tout était si parfait.

      À la deuxième coupe de champagne, elle décida de lui faire la déclaration tant redoutée. Elle respira et sentit son artère palpiter rapidement dans son cou. Courage… Aie confiance!

      «Johnny, j'ai quelque chose d'important à te dire.

      Il posa son verre sur la table.

      –Je t'écoute.

      –Mon attention s'est focalisée sur le travail ces derniers mois, tu le sais pas vrai?

      –Où veux-tu en venir?

      –Et bien, tu sais… Qu'est-ce que c'était difficile!

      –Loreley, qu'est-ce qu'il y a? Il commençait à s'agiter. Il changea de position.

      –Je suis enceinte» lui dit-elle.

      Elle avait essayé de deviner une infinité de fois quelle serait sa réaction. Elle s'était tout imaginé, mais pas qu'il éclate de rire.

      «C'est vraiment très amusant. Tu n'arriveras pas à me faire peur. Je ne tombe pas dans le panneau.»

      Lui faire peur? Elle resta interdite. Ses pensées se chevauchèrent et elle ne réussit pas à prononcer un mot, mais l'expression sur son visage devait être éloquente, parce qu'il cessa de rire.

      «Tu prends la pilule, tu ne peux pas être enceinte! Ne plaisante pas avec ça!

      –Je ne plaisante pas du tout.

      –Tu as arrêté de la prendre sans me le dire? Sans me demander mon avis? lui demanda-t-il en haussant le ton.

      –Ce n'est pas ça. Ne t'énerve pas, baisse la voix…, le pria-t-elle presque en chuchotant.

      –Maintenant, je comprends ton comportement de ces derniers jours!

      –Essaie de rester calme, s'il te plaît!

      –Comment peux-tu prétendre que je reste calme après m'avoir mis dos au mur? Son regard semblait exprimer du mépris. Comment tu as pu me faire une vacherie pareille?»

      Il fit mine de partir, mais elle l'arrêta en l'attrapant par le bras. Il lui bloqua la main à son tour en serrant son poignet.

      «Ne me touche pas…» ajouta-t-il. Il relâcha la prise et, sans rien ajouter, la laissa en plan dans le bar.

      Encore incrédule, elle le regarda sortir d'un pas raide et rapide. Elle se sentit suffoquer.

      Il éprouve peut-être cette sensation lui aussi, pensa-t-elle. Elle se sentait trahie. Elle ne pouvait pas lui donner tort sur son point de vue, mais elle n'avait rien fait d'intentionnel; cela devait tout de même compter pour quelque chose.

      Déçue, elle paya l'addition et se dirigea vers l'ascenseur.

      Durant la descente de la Tour, elle lança un dernier regard à la ville sous elle, et c'était comme si son coeur ne voulait plus suivre ses propres battements dans sa poitrine.

      Elle appuya le front sur la paroi de verre et ferma les yeux. Lorsqu'elle sentit les larmes jaillir, elle battit des paupières pour tenter de les retenir. Par chance, les gens semblaient trop occupés à profiter du panorama pour lui prêter attention.

      Elle espéra que Johnny l'attendrait en bas, mais elle ne le trouva pas.

      Elle avait à peine mis pied à terre que des lueurs soudaines la poussèrent à regarder vers le haut: la Tour Eiffel, déjà illuminée, venait de s'allumer d'autres lumières étincelantes et intermittentes, comme celle d'un arbre de Noël grandiose et éblouissant. Elle semblait vouloir l'encourager à ne pas perdre courage. C'était une invitation à sourire: et elle y arriva, même juste pour un instant.

      Loreley