cette ébauche de barbe vous donne l’air d’avoir vécu, un passé dissipé... Sans parler des cernes sous vos yeux qui ne laissent pas présager des nuits calmes ; ce qui est compréhensible : je suppose qu’il est difficile de partager une cellule avec un étranger qui pourrait avoir de mauvaises intentions. Malheureusement il n’existe pas encore de législation relativement aux abus sexuels entre détenus, donc vous avez toute ma compréhension.”
“Je crois que j’ai compris”, m’arrêta‑t‑il, incapable d’écouter autre chose sortir de ma bouche. “Navré de vous décevoir mais je n’ai jamais les pieds en prison.”
“Les apparences sont parfois trompeuses”, m’exclamai‑je avec une sourire diabolique et un haussement d’épaules en répétant ses propres paroles.
“ Touché”, murmura‑t‑il avec un demi‑sourire, comprenant mon intention de me venger d’avoir été prise pour une entraîneuse.
“Permettez‑moi de vous offrir un verre”, offrit‑il pour s’excuser alors que je m’apprêtais à partir. Je le dévisageai et son expression du style ‘ ça ne s’arrêtera pas là’ m’alarma.
Je le bloquai instantanément : “Je n’accepte pas de cadeau de la part d’inconnus”, et déposai un billet sur le comptoir, amplement suffisant pour couvrir le coût du Bellini tout en laissant un généreux pourboire au barman.
“J’étais sûr que cela ne serait pas nécessaire mais... soit, je me présente : Lorenzo Orlando, propriétaire du Bridge”, dit‑il me tendant la main.
Je regardai cette main tentatrice et mon cœur se mit à battre la chamade.
L’idée de le toucher me laissait présager de faire quelque chose d’interdit et punissable de la pire des manières.
Ginevra, tu joues avec le feu !
Toute mon arrogance de l’instant d’avant m’abandonna, aussi rapidement qu’elle était arrivée.
“Je vous jure que je ne mords pas”, murmura‑t‑il, notant mon hésitation à lui serrer la main.
“Mia, où étais‑tu fourrée ?”, intervint Maya, me faisant sursauter. Je ne l’avais pas vue s’approcher et je ne m’attendais pas à son bras passé autour de mes épaules.
Je le regardai brièvement et compris qu’elle accourait à mon secours.
“Mia”, répéta pensivement Lorenzo.
“Oui, Mia Madison, et moi je suis Chelsea Faye. Enchantée. Votre établissement est superbe. Félicitations !”, s’interposa Maya, serrant la main de Lorenzo à ma place et s’interposant entre nous deux, comme si elle prenait ma défense.
“Je vous remercie”, lui répondit‑t‑il avec un sourire affecté, destiné à dissimuler son irritation pour l’interruption. “Est‑ce la première fois que vous venez dans mon établissement ?”
“Oui. Nous sommes de passage à Rockart City. Mince ! Il est tard et nous devons rentrer mais j’espère pouvoir revenir bientôt”, s’excusa Maya l’air enjoué. Elle était la seule à paraître toujours naturelle et contente, même quand la situation était tendue.
“À bientôt alors”, répondit courtoisement Lorenzo, m’adressant un dernier regard avant de s’éloigner.
J’esquissai un vague salut de la tête.
“Que diable s’est‑il passé ?”, lâcha Maya lorsque nous fûmes seules.
“Rien”, répondis‑je avec un filet de voix, incapable d’imaginer ce qui aurait pu se produire.
“Quand je t’ai vue avec lui j’ai cru que j’allais devenir folle. Je t’ai entraînée ici pour que tu t’amuses, pas pour te faire descendre”, me dit‑elle en proie à une vive agitation, prenant le Bellini qu’elle descendit en quelques gorgées pour calmer son excitation. “Courage, allons‑y ! J’ai dit à Lucky que tu as la permission de minuit et que tu dois être de retour avant deux heures du matin”, et elle m’entraîna par le bras vers la sortie.
Un réceptionniste surgit devant moi, tendant une carte noire qui portait l’inscription‘ The Bridge. Orlando’s Night’ en lettres dorées : “Excusez‑moi mademoiselle. Monsieur Orlando m’a demandé de vous remettre un pass de notre établissement en cadeau pour s’excuser du quiproquo dont vous avez été la victime. Monsieur Orlando a ses clients à cœur et tient à ce qu’ils soient satisfaits. Ce pass vous offre un accès réservé et une consommation gratuite pour vous et vos invités.”
“Ce n’est pas nécessaire mais remerciez votre patron pour l’attention et dites‑lui que j’ai déjà oublié notre malentendu”, répondis‑je courtoisement et rougissant pour cette délicate attention.
Lorenzo Orlando, m’offrirais‑tu un pass ou bien un aller simple pour l’enfer si tu savais que je suis la fille du boss Edoardo Rinaldi?
“Je vous en prie”, supplia‑t‑il, surpris de mon refus. Il ne comprenait pas que ramener une telle carte à la maison signifierait pour moi une probable condamnation à mort par mon père.
“Merci pour le pass !”, intervint Lucky, prenant la carte à ma place. “Tu es folle Mia ? Sais‑tu combien coûtent ces pass ?”
“Tu veux te brouiller avec la famille Orlando ?”, renchérit Mike.
Je bredouillai, mal à l’aise : “Non, je...” mais Maya me prit par le bras et m’entraîna vers le parking à l’extérieur de l’établissement.
“Rentrons à la maison”, soupira Maya soulagée, après un rapide salut aux deux garçons.
Nous montâmes à bord de la voiture.
À la traversée du pont sur la Safe River, à ma grande surprise, je notai que mon cœur battait autant la chamade qu’à l’aller.
C’était comme si, au cours de cette soirée, quelque chose d’irrésistible et d’extrêmement puissant m’était tombé dessus.
Chapitre 5
GINEVRA
Je n’avais pas cessé de penser à Lorenzo pendant toute la semaine.
J’avais lu des livres, visité des galeries d’art, participé à une réunion sur les droits civiques ; peine perdue, tout me semblait insignifiant et dénué de toute émotion.
Ce n’était qu’en repensant à Lorenzo, à ce que je lui avais dit, que je me sentais vivre et aux anges.
C’était incroyable !
J’avais été tentée de solliciter Maya pour me ramener de l’autre côté du fleuve mais je ne voulais pas lui demander ouvertement.
Au fond de moi j’étais consciente du fait que mon action était erronée et que le danger encouru était réel. Mais c’était ce qui m’avait motivée ces derniers jours.
Il suffisait que je ferme les yeux pour réentendre la voix chaude, profonde et légèrement rauque de Lorenzo.
Sans parler également de ses cheveux châtains désordonnés au milieu desquels me prenait l’envie d’y passer les doigts.
Ou sa barbe de quelques jours.
Je n’avais jamais touché un homme, pas même mon père ni mon frère.
Une part de moi‑même aurait voulu lui caresser son visage pour percevoir ce qu’on ressent à effleurer cette écorce rugueuse et non rasée de près.
Oh mon Dieu, le toucher...
J’en avais le souffle court rien que d’y penser.
l’idée