de prison.
Deux voleurs du plus bas étage, les nommés Nifflet et Dubois l'insolpé[196], revendiquaient la paternité d'une petite fille à laquelle sa mère, la Sans-Refus, avait donné les noms de Désirée-Céleste Comtois, et que nous venons de rencontrer prima donna au théâtre de Marseille, sous le nom de Silvia.
La beauté de cette fille, à laquelle nous conserverons jusqu'à nouvel ordre le nom de Silvia, fut remarquée dès sa naissance; on admirait surtout l'extrême blancheur de sa peau et la pureté admirables de ses formes.
Elle fut mise en nourrice à Crepy en Valois, où elle resta jusqu'à l'âge de cinq ans; la nourrice était fière d'avoir élevé cette petite fille, dont l'excellente santé et la beauté étaient le témoignage vivant des soins qu'elle prodiguait à ses nourrissons.
Les bénéfices que procurait à la mère Sans-Refus l'honnête industrie qu'elle exerçait, étaient assez considérables pour lui permettre d'espérer qu'elle pourrait un jour se retirer des affaires avec une jolie fortune.
La mère Sans-Refus n'aimait rien au monde que sa fille, et nous l'avons vue prodiguer les soins que les plus empressés et les plus désintéressés à la comtesse de Neuville, seulement parce que les traits de cette dame lui rappelaient ceux de sa fille qui lui avait été enlevée dans les circonstances que nous allons rapporter.
Un certain monsieur de Préval, rencontra un jour aux Tuileries, une jeune fille de quinze à seize ans au plus, dont il admira l'extrême beauté; cette jeune fille était accompagnée d'une dame d'un âge et d'une physionomie respectables. Préval, qui ce jour-là ne savait que faire, suivit ces deux femmes pour passer le temps.
Sur la terrasse du bord de l'eau elles abordèrent un homme décoré qui paraissait les attendre, elles prirent des chaises, Préval fit comme elles, et, protégé par le piédestal de la statue contre lequel étaient les chaises occupées par les trois individus qu'il épiait; il put, sans être aperçu, écouter toute leur conversation; il apprit que l'homme décoré était le père de la jeune personne, et que cette dernière était élevée à l'institution de Saint-Denis en sa qualité de fille d'un officier de la Légion d'honneur; Préval fut énormément surpris de ce qu'il entendait; il connaissait beaucoup l'homme décoré qui causait avec les deux femmes qu'il avait suivies; il savait que cet homme était veuf et que l'unique fille qu'il avait eue de son mariage était de longtemps en apprentissage chez une marchande lingère de Rambouillet.
Préval, qui savait où retrouver l'homme décoré lorsqu'il en aurait besoin, le laissa donc partir sans s'en inquiéter davantage, il savait tout ce qu'il désirait savoir.
Le soir même, Préval abordait cet officier de la Légion d'honneur, dans un salon ouvert clandestinement aux amateurs de la roulette et du trente et quarante, et avait avec lui la conversation suivante:
—Eh bien, monsieur Fontaine, la fortune vous favorise-t-elle ce soir?
—Je ne suis pas mécontent, mon cher de Préval, répondit Fontaine en ramenant à lui une certaine quantité de pièces d'or.
—Si vous continuez ainsi, vous pourrez octroyer une très-belle dot à mademoiselle Fontaine.
—Les destins et les flots sont changeants! reprit Fontaine, auquel un refait de trente et un venait d'enlever une petite partie de ce qu'il avait gagné. Si ma fille attend pour se marier la dot que je lui donnerai, je crois qu'elle sera forcée de mourir fille.
—Sainte Catherine ne tresse pas des couronnes pour celles qui sont aussi jolies que mademoiselle Fontaine.
—Catherine Fontaine jolie, s'écria le vieil officier de la Légion d'honneur profondément étonné, je suis bien fâché pour elle d'être forcé de vous démentir, mais Catherine ressemble à son père, et il prit la position du soldat qui doit subir l'inspection d'un officier supérieur.
Fontaine n'était pas beau, et si ce qu'il venait de dire était vrai, la pauvre Catherine ne devait pas rencontrer beaucoup d'adorateurs.
—Si votre fille est aussi laide... que vous le dites, ajouta de Préval, quelle est donc la charmante personne qui ce matin aux Tuileries vous appelait son père.
—L'étonnement de Fontaine fut si grand, qu'il oublia de pointer sur la carte qu'il tenait à la main la couleur qui venait de passer.
—Ah! vous avez vu ma fille ce matin, dit-il en balbutiant.
—Oui, monsieur Fontaine, j'ai vu aussi votre nouvelle épouse, je ne croyais pas que vous vous seriez remarié sans me prier d'assister à vos noces.
Fontaine se mit à rire aux éclats.
—Monsieur de Préval, dit-il lorsque cet accès d'hilarité fut passé, je devine vos intentions, la petite que vous avez vue ce matin vous plaît, et vous désirez vous en faire aimer; rien de plus facile, mon très-cher, je vais, si vous voulez me promettre le secret, vous raconter tout ce qu'il est nécessaire que vous sachiez afin de réussir dans ce que vous projetez.
De Préval fit toutes les promesses imaginables, et Fontaine lui raconta ce qui suit:
—J'avais demandé à l'institution de Saint-Denis, pour ma fille, une place, à laquelle lui donnait droit ma qualité d'officier de la Légion d'honneur; lorsque l'on m'eut accordé ma demande, je pensai que ma fille serait beaucoup plus heureuse si au lieu de la faire élever à Saint-Denis, je la plaçais dans une maison de manière à ce qu'il ne fût plus nécessaire que je m'occupasse d'elle; cette détermination prise je ne savais plus que faire de l'ordre d'admission que j'avais obtenu pour ma fille, lorsqu'une respectable dame qui désirait faire donner à sa fille une éducation soignée...
—Sans doute celle qui ce matin accompagnait la jeune fille.
—Non, mon cher de Préval, la dame de ce matin est seulement une de celles qui sont attachées à l'institution. La mère de la jeune fille en question tient un de ses établissements qui n'ont pas de nom dans la bonne compagnie; elle demeure rue de la Tannerie, nº 31, et les habitués de sa maison l'ont surnommée la mère Sans-Refus.
—Mais je connais cette femme, s'écria de Préval.
—Ah! vous connaissez cette femme, ajouta Fontaine profondément étonné; j'en suis bien aise. Cette femme donc me proposa de m'acheter pour sa fille la place qui devait être occupée par la mienne; elle veut absolument faire une femme du monde de sa fille, qu'elle ne voit jamais, dans la crainte de la compromettre.
—Elle est assez riche pour se passer cette fantaisie.
—J'avais besoin d'argent, j'acceptai; et maintenant la jeune Désirée-Céleste Comtois est élevée à Saint-Denis sous les noms de Catherine Fontaine.
Vous désirez sans doute maintenant que je vous donne quelques détails sur le caractère de cette jeune fille? Elle est belle, vous le savez puisque vous l'avez vue; elle a beaucoup d'esprit, elle est excellente musicienne, elle chante à ravir: voilà ses qualités; elle est dissimulée, vindicative, jalouse: voilà ses défauts. Si maintenant vous désirez en faire votre maîtresse, je ne m'y oppose pas.
—Vous ne voulez pas me servir?
—Je ne le puis pas.
—En ce cas, j'agirai seul. Une seule question: avez-vous déjà écrit à Saint-Denis?
—Jamais.
—En ce cas, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
De Préval laissa Fontaine à ses combinaisons aléatoires, et se rendit chez lui afin d'y mûrir le plan qu'il avait conçu pour se rendre maître de la jeune Céleste. Le lendemain, après avoir fait la plus brillante toilette, et s'être procuré une voiture élégante et des gens de bonne mine, il se rendit à Saint-Denis et demanda à parler à la directrice de l'institution.
On reçoit toujours bien celui qui arrive en équipage et dont l'extérieur annonce un homme bien placé dans le monde. De Préval, qui avait cru