Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris


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qui traversaient son esprit et elle allait déclarer qu'elle ne pouvait consentir à se séparer de son fils, lorsque le cheval prenant le petit trot, la voiture s'éloigna.

      —Que Dieu et la sainte Vierge le protègent! dit madame Salvador, lorsque la carriole d'osier, qui emportait son cher fils, disparut au milieu des tourbillons de poussière qu'elle soulevait sur la route.

      Le ciel n'exauça pas les vœux de la pauvre mère, le soleil qui devait éclairer la journée du retour se leva radieux et le fils ne revint pas. Des semaines, des mois, des années se passèrent sans que ses parents entendissent parler de lui; enfin, brisés par la douleur, ils tombèrent après avoir répandu leur dernière larme.

      Duchemin (nous connaîtrons plus tard le véritable nom de cet homme) appartenait à une honnête famille du midi de la France; il avait reçu une assez bonne éducation, et était doué de capacités assez éminentes pour occuper dans le monde une position honorable.

      Ses parents étant morts lorsqu'il n'était encore qu'un enfant, sa tutelle avait été confiée à un homme trop égoïste pour comprendre les devoirs qu'imposent d'aussi saintes fonctions, cet homme cependant avait administré la petite fortune de son pupille avec assez d'intelligence et de probité, et lorsque celui-ci avait été majeur, il lui avait remis son compte en livres, sous et deniers; puis il s'était fait donner une décharge, avait souhaité au jeune homme toutes sortes de prospérités et ne s'était plus occupé de lui.

      Duchemin s'était donc trouvé à vingt ans maître absolu de ses actions et possesseur d'une somme qu'il se hâta de dissiper.

      C'est ce qui devait arriver.

      Après quelques années durant lesquelles il ne trouva pas un instant pour réfléchir, Duchemin s'aperçut un matin que son coffre était vide. Il fallait dire adieu aux plaisirs, chercher l'emploi de ses facultés, et demander à un travail de tous les instants une fortune peut-être moindre que celle qu'il avait si vite dissipée. Duchemin n'eut pas assez de courage pour faire cela.

      Ce n'étaient donc pas les nécessités d'un commerce honorable qui amenaient Duchemin à Toulouse; il ne venait dans cette ville que pour vendre à un joaillier juif les bijoux et les pièces d'argenterie, fruit des rapines d'une association de malfaiteurs qui infestait le bois de Cuges à laquelle il était affilié.

      Voulant exercer avec sécurité sa dangereuse industrie, Duchemin avait compris que le premier de ses soins devait être celui d'éviter les soupçons qui, à tort ou à raison, atteignent toujours l'étranger dont la présence dans une ville de province ne paraît pas suffisamment justifiée, si surtout il n'a pas eu la précaution de se loger dans ce qu'on appelle une maison bien famée. Aussi échangeait-il une faible partie de la somme que lui comptait le joaillier juif contre des marchandises que souvent il vendait à perte dans une autre ville; et lors de son première voyage à Toulouse, il avait d'abord songé à se procurer un logis tel qu'il le désirait. Le juif lui avait indiqué la maison du père Salvador, dont son extérieur honnête, et l'urbanité de ses manières lui avait fait ouvrir les portes.

      Duchemin, doué d'une assez grande perspicacité, avait découvert, au milieu des brillantes qualités que possédait le jeune Salvador, le germe de plusieurs vices. Cette découverte et l'espérance qu'elle lui fit concevoir de se créer un complice sur lequel il pût compter dans tous les événements de sa vie aventureuse, le déterminèrent à enlever ce jeune homme à sa famille.

      —Il n'eut pas beaucoup de peine à gagner l'amitié et la confiance du jeune Salvador, qui eut bientôt oublié ses parents et qui se lança avec une ardeur toute juvénile au milieu des plaisirs faciles que Duchemin faisait en quelque sorte naître sous ses pas.

      Salvador, pour échapper aux recherches actives qui avaient été faites par sa famille, avait d'abord pris le nom d'Aymard. Ce fut sous ce nom qu'il fit ses premières armes. Arrivé, après avoir parcouru une notable partie de la France, dans une des villes du nord, il fut reçu chez une jeune veuve fort riche à laquelle il avait su inspirer de l'amour; il lui vola, à l'instigation de Duchemin, un écrin d'une valeur considérable. La jeune femme ne pensa pas un seul instant à accuser celui qu'elle aimait, et ce premier succès ayant enhardi Salvador, il fabriqua plusieurs faux, au moyen desquels des sommes considérables furent enlevées à divers banquiers de la France et de la Belgique.

      Un certain jour, la fortune se lassa de favoriser les entreprises du jeune homme, il fut arrêté au moment où il venait de commettre un vol chez un riche bourgeois de Valenciennes où il se trouvait alors, mais aidé par ses complices qui, plus heureux que lui, n'avaient pas été pris, il parvint à se tirer des mains de la gendarmerie.

      Duchemin et le jeune homme qu'il était allé arracher au foyer paternel pour en faire son complice, étaient vivement poursuivis; on savait qu'ils étaient auteurs des faux nombreux qui venaient d'épouvanter le commerce, et le signalement de ces deux malfaiteurs avait été envoyé dans toutes les communes du royaume. Duchemin et Salvador, pour laisser aux recherches le temps de se ralentir, quittèrent la France, qu'ils traversèrent et s'embarquèrent à Marseille sur un paquebot qui faisait voile pour l'Italie.

      L'argent ne leur manquait pas: ils arrivèrent donc à Turin en grand équipage. Salvador prit le nom de vicomte de Lestang, et se fit passer pour un jeune homme de noble famille qui voyageait accompagné de son gouverneur pour achever son éducation. Les maisons les plus honorables de Turin furent ouvertes au jeune gentilhomme français, dont tout le monde, et particulièrement les femmes, admiraient la beauté et les excellentes manières. Salvador avait capté les bonnes grâces de madame Carmagnola, l'une des femmes les plus distinguées de la ville, cette dame, encore très-désirable, avait cependant atteint l'âge auquel une femme peut sans se compromettre témoigner de l'intérêt à un aimable jeune homme, Salvador était devenu un des plus intimes de son petit cercle. Duchemin, en sa qualité de gouverneur, accompagnait partout son élève il examinait les lieux, prenait adroitement une empreinte, des fausses clés étaient fabriquées, et bientôt on entendait parler dans la ville d'un vol, dans les yeux peu exercés de la police turinaise ne pouvaient deviner les moyens d'exécution.

      —Salvador et Duchemin avaient retrouvé à Turin plusieurs de leurs complices, auxquels ils avaient écrit de venir les joindre, ils formèrent entre eux le projet de voler la caisse de la maison Carmagnola. Tout fut préparé pour assurer la réussite de ce crime: des fausses clés furent préparées et, au moment indiqué, les complices se réunirent près du lieu où ils devaient opérer; la nuit était obscure, et grâce à une forte pluie, les rues étaient désertes: toutes les portes de la maison du riche banquier Carmagnola furent ouvertes avec une dextérité surprenante, et les malfaiteurs arrivèrent sans obstacle dans la pièce où se trouvait la caisse qu'il s'agissait de vider; c'était un coffre en bois de chêne recouvert d'une plaque de fer d'une épaisseur raisonnable, scellé dans le mur par de fortes lames de fer, et fermé par trois serrures dont Duchemin n'avait pu se procurer les empreintes, il fallait donc les forcer, ce que les malfaiteurs essayèrent, en se servant d'un cric et de coins en buis, elles allaient céder sous les efforts redoublés de quatre hommes vigoureux, qui croyaient déjà tenir l'or et les billets de banque; lorsque tout à coup une bruyante détonation se fit entendre.

      Les voleurs prirent la fuite; les coups de pistolets qui les avaient si fort effrayés, et les avaient arrêtés au moment où le vol qu'ils projetaient allait être consommé, n'étaient cependant pas dirigés contre eux. Le banquier Carmagnola qui devait le lendemain faire un petit voyage, avait remis ses pistolets à son domestique, en lui ordonnant de les mettre en état, et celui-ci avait déchargé imprudemment ces armes dans le jardin, sur lequel donnait la fenêtre de la petite pièce dans laquelle se trouvaient alors les voleurs.

      Ceux-ci, en se sauvant, renversèrent presque le domestique qui, étonné de rencontrer au milieu de la nuit quatre individus dans le jardin de son maître, se mit sans hésiter à leur poursuite; il allait atteindre l'un d'eux, et les cris qu'il poussait allaient infailliblement amener du monde sur le lieu de la scène: le bandit se retourna l'attendit de pied ferme et lui porta en pleine poitrine un coup de poignard qui l'étendit sur le sol.

      Débarrassés