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les femmes y sont laides et sales, tous les hommes ivrognes et grossiers; cet Anglais, comme beaucoup d'autres hommes qu'il est facile de rencontrer, sans être forcé de traverser le détroit qui nous sépare du Royaume-Uni, jugeait sur l'étiquette du sac. Eh bien! conduisez le même jour un homme de ce caractère, au café Tortoni, à l'estaminet Hollandais, au café de la Régence, et il vous dira gravement: que la population parisienne est composée de spéculateurs, de militaires en retraite qui rêvent la venue d'un autre Napoléon et de joueurs d'échecs.

      Nous avons à Paris le café des Variétés, rendez-vous ordinaire des gens qui font, qui vendent ou qui achètent des vaudevilles ou des drames entiers, des moitiés, des quarts de vaudevilles ou de drames; le café du Cirque, où l'on peut être sûr de rencontrer, à toute heure, de petits auteurs, de petits comédiens ou de petits musiciens; le café Desmares, qui ouvre chaque jour ses portes à nos modernes Solons, le café des Epiciers, celui des Comédiens, même celui des... Nous n'osons pas imprimer le mot, qui sert de titre à un roman de M. Paul de Kock.

      Il existe encore dans ce vaste pandémonium que l'on nomme Paris, des établissements décorés avec autant et plus de luxe que ceux que nous venons de nommer, qui sont situés dans les quartiers les plus brillants de la capitale, et qui ne sont guère fréquentés que par la grande bohême parisienne: si nous n'avions pas la crainte de nous voir faire un procès en diffamation, rien ne nous serait plus facile que de nommer ces établissements.

      La bohême parisienne (faisons observer en passant que cette dénomination, ainsi que celle de lorette, que nous devons au spirituel auteur des nouvelles à la main, est de création toute récente), est naturellement divisée en grande et en petite Bohême; nous ne parlerons, quant à présent, que de la grande Bohême.

      Il existe à Paris une foule de gens qui habitent de magnifiques appartements, qui ont de beaux chevaux, et qui entretiennent des danseuses, et auxquels cependant on ne connaît ni rentes, ni propriétés; ces gens-là, escrocs, grecs[207], ou chevaliers d'industrie, composent cette société dans la société à laquelle on a donné, depuis quelque temps, le nom de grande bohême. Ces gens-là, cependant, sont moins mal vus dans le monde que ceux qui se bornent à être franchement et ouvertement voleurs. On reçoit dans son salon, on admet à sa table, on salue dans la rue, tel ou tel individu dont la profession n'est peut-être un secret pour personne, et qui ne doit ni à son travail ni à sa fortune, l'or qui brille à travers les réseaux de sa bourse, et l'on honnit, l'on conspue, l'on vilipende celui qui a dérobé à l'étalage d'une boutique un objet de peu de valeur, un petit pain, par exemple. Est-ce parce que messieurs les membres de la grande bohême ont des manières plus douces, un langage plus fleuri, un costume plus élégant que le commun des martyrs que l'on agit ainsi? non sans doute; c'est parce que, égoïstes que nous sommes, nous croyons tous être doués d'assez d'esprit et de perspicacité pour pouvoir facilement défendre notre bourse contre ceux dont nous n'avons pas à redouter les violences.

      Les chevaliers d'industrie, les grecs, les escrocs, quelque soit le nom que l'on donne aux membres de le grande bohême parisienne, sont, nous le croyons, plus dangereux et plus coupables que les autre exploiteurs de la société, plus dangereux parce qu'ils échappent presque toujours aux lois répressives du pays; plus coupables, parce que la plupart d'entre eux, hommes instruits et doués d'une certaine capacité, pourraient certainement ne devoir qu'au travail ce qu'ils demandent à la fraude et à l'indélicatesse.

      C'est presque toujours la nécessité (si l'on excepte quelque individualités semblables à celles dont nous essayons dans ce livre de tracer les portraits), c'est presque toujours la nécessité, disons-nous, qui conduit la main du voleur à ses débuts dans la carrière du crime, et souvent, lorsque cette nécessité n'est plus flagrante, il se corrige et revient à la vertu. Les bohémiens, au contraire, sont presque tous des jeunes gens de bonne famille qui après avoir follement dissipé une fortune péniblement acquise par leurs pères n'ont pas voulu renoncer aux aisances de la vie fashionnable et aux habitudes de luxe qu'ils avaient contractées. Ils ne s'amendent jamais, par la raison toute simple qu'ils peuvent facilement et presque toujours impunément exercer leur pitoyable industrie.

      Quelles que soient au reste les qualités qui distinguent les bohémiens du dix-neuvième siècle, ils n'atteignent pas à la cheville de leurs devanciers. Les Cagliostro, les Casanova, les chevaliers de Saint-Georges et de la Morlière, les comtes de Saint-Germain, et cent autres dont les noms échappent n'ont pas laissé après eux de dignes successeurs.

      Le bohémien qui veut marcher de loin seulement sur les traces de ces grands hommes de la corporation, doit posséder un esprit vif et cultivé, une bravoure à toute épreuve, une présence d'esprit inaltérable, une physionomie à la fois agréable et imposante, une taille élevée et bien prise.

      Le bohémien qui possède toutes ces qualités n'est encore qu'un pauvre sire, s'il ne sait pas les faire valoir. Ainsi il devra, avant de se lancer sur la scène, s'être pourvu d'un nom convenable; un bohémien ne peut se nommer ni Pierre Lelong, ni Eustache Lecourt.

      Sa carrière sera manquée s'il est assez sot pour se donner un nom de saint, le saint de nos jours est usé jusqu'à la corde.

      Pourvu d'un nom, il doit, s'il ne l'est déjà, se pourvoir d'un tailleur à la mode, ses habits, coupés dans le dernier goût, sortiront des ateliers de Roolf ou de Chevreuil, il prendra ses gants chez Boivin, son chapeau chez Gausseran, ses bottes chez Clerx, sa canne chez Thomassin; il ne se servira que de mouchoirs sortis de chez Chapron, il conservera ses cigares dans un étui de paille de manille.

      Il se logera dans une des rues nouvelles de la chaussée d'Antin; des meubles de palissandre, des draperies élégantes, des bronzes, des glaces magnifiques, des tapis de Sallandrouze garniront ses appartements.

      Ses chevaux seront anglais, son tilbury du carrossier à la mode.

      Son domestique ne sera ni trop jeune, ni trop vieux; perspicace, prévoyant, audacieux et fluet, il saura à propos parler des propriétés de monsieur et de ses riches et vieux parents.

      Un portier complaisant est la première nécessité du bohémien de la haute, aussi le sien sera choyé, adulé et surtout généreusement payé.

      Ce qui précède n'est qu'une légère esquisse des traits généraux qui constituent la physionomie du bohémien de la haute, quels que soient les moyens qu'il emploie pour se procurer de l'argent qui doit servir à entretenir le luxe dont il est entouré et à payer les plaisirs qui ne s'achètent qu'au comptant.

      Les bohémiens n'ont pas d'âge, il y a parmi eux de très-jeunes gens, des hommes mûrs et des vieillards à cheveux blancs; beaucoup ont été dupes avant de devenir fripons, et ceux-là sont les plus dangereux, ceux qu'il est le moins facile de reconnaître, car ils ont conservé les manières et le langage des hommes du monde, quant aux autres, quels que soient les titres qu'ils se donnent, et malgré le costume, et les décorations dont ils se parent, il y a toujours dans leurs manières, dans leurs habitudes, quelque chose qui rappelle le fameux baron de Wormspire; quelquefois, des liaisons dangereuses se glisseront dans leurs discours, et souvent, bien qu'ils se tiennent sur la défensive, ils emploieront des expressions qui ne sont pas empruntées au vocabulaire de la bonne compagnie: au reste, si les diagnostics propres à les faire reconnaître ne sont pas aussi faciles à saisir que ceux qui sont propres aux diverses catégories de voleurs, ils n'en sont pas moins visibles, et il devient très-facile de les apercevoir, si l'on veut bien observer ces hommes avec quelque attention.

      Il y a beaucoup d'anciens militaires dans la grande bohême, seulement celui qui, sous les drapeaux n'était que sous-officier, se fait appeler capitaine, le capitaine est au moins colonel, le colonel est toujours général divisionnaire, il serait maréchal de France si le gouvernement lui avait rendu justice.

      Ce serait tenter une entreprise à peu près inexécutable que de vouloir dévoiler toutes les ruses, ou seulement essayer l'esquisse des principaux traits de la physionomie des bohémiens des diverses catégories, car alors il faudrait parler...

      Des journalistes qui exploitent les artistes