attente fut trompée, à leur grand surprise, la plupart de ceux qui s'empressaient autour des femmes jeunes et jolies dont nous venons de parler, les quittèrent pour venir offrir leurs hommages à la vieille madame Juste.
—Il ne faut pas que cela vous étonne, leur dit de Pourrières, monsieur Juste est un très-riche usurier, et il prête de l'argent à la plupart des jeunes gens de famille qui sont ici.
—Nous avons donc ici des jeunes gens de famille?
—Sans doute, croyez-vous par hasard que c'est par moi qu'ont été invités les fripons dont je viens de vous parler?
—S'il n'en est pas ainsi, comment donc se trouvent-ils ici?
—Tous ces gens-là tripotent des affaires, aussi ils cherchent à se lier avec tous les jeunes gens qui débutent dans la vie, et ils réussissent souvent; car on n'est pas ordinairement très-difficile sur le choix de ses liaisons, lorsque l'on ne possède pas encore cette expérience qui ne s'acquiert qu'avec les années; je suis moi-même une preuve vivante de la vérité de ce que j'avance, ne vous ai-je pas dit que durant les premières années de ma vie, je m'étais lié avec Ronquetti?
Huit heures sonnèrent à la magnifique pendule de bronze doré qui ornait la cheminée du salon.
—A table! s'écrièrent tout d'une voix les convives... à table!...
De Pourrières prit la main de Félicité Beaupertuis, l'avocat député franco-russe offrit la sienne à madame Juste, et l'on passa dans la salle du festin.
Lemardelay avait mis à contribution toutes les contrées de la France et de l'étranger. L'air, la mer, les fleuves, les forêts, et les jardins avaient fourni tout ce qu'ils produisent de plus beau et de plus recherché, le pluvier, au plumage doré, le noble faisan, les cailles en caisse, le rouget de la Méditerranée, le saumon de la Loire, l'éperlan délicat, l'esturgeon, le sterlet du Volga, le chevreuil, le lièvre, la hure du sanglier des Ardennes, les pattes de l'ours blanc du Groenland, devaient figurer sur la table.
FIN DU PREMIER VOLUME.
LES VRAIS MYSTÈRES DE PARIS.
LES
LES VRAIS
I.—Histoire de Felicité Beaupertuis.
Le premier service d'un grand repas est habituellement très-silencieux, les convives charmés de pouvoir enfin satisfaire un vigoureux appétit, sont trop agréablement occupés pour perdre le temps en discours inutiles; c'est à peine si quelques paroles sont échangées pour louer la saveur d'un excellent potage aux bisques d'écrevisses ou à la Crécy, ou le fumet odorant d'un délicieux rosbif. Au second service, comme ce n'est plus tout à fait pour satisfaire le plus impérieux des besoins de la nature que l'on mange, chacun alors commence à s'occuper de son voisin, et des digressions politiques et littéraires, des lamentations sur le dernier cours des fonds publics, l'éloge de la danseuse à la mode, viennent se mêler aux acclamations admiratives arrachées aux convives par l'apparition inattendue d'une respectable poularde du Mans, raisonnablement bourrée de ces précieux tubercules récoltés dans le Périgord, ou d'une succulente carpe du Rhin. Mais au dessert, lorsque les vins généreux de la Bourgogne et du Bordelais n'ont pas été épargnés pendant les deux premiers services, la conversation devient générale, alors si les convives sont des gens de joyeuse humeur et pas trop collets montés, c'est un feu roulant d'épigrammes et de gais propos, d'éclats de rire et de refrains recommencés sans cesse et jamais achevés, auquel se mêle la détonation des bouchons qui vont frapper le plafond et le pétillement dans ces verres de cristal de si gracieuse forme de la divine liqueur champenoise.
Le banquet offert par de Pourrières devait se passer comme toutes les fêtes de semblable nature. Le premier et le second services se passèrent très-convenablement, et si durant le temps que l'on mit à les faire disparaître, un étranger était entré dans le salon, la physionomie respectable de quelques-uns des convives, l'air de bonne compagnie et la tenue parfaite de tous, auraient pu lui faire croire qu'il se trouvait au milieu d'une réunion de pairs de France ou de députés. Faisons cependant observer en passant que quelques physionomies, notamment celle de l'usurier, de sa femme et du comte palatin du saint empire romain, faisaient ombre au tableau.
L'apport sur la table du plus beau dessert qui se puisse imaginer, excita de la part des convives des cris unanimes d'admiration. En effet, Lemardelay s'était surpassé, et ce n'est pas peu dire, il avait voulu satisfaire à la fois presque tous les sens des convives; l'odeur parfumée des limons de Barbarie, des oranges de Sétubal et de l'ananas des tropiques, saisissait agréablement l'odorat; les vives couleurs de la cerise de Montmorency, et de la fraise des bois, flattaient les regards. On devait certainement éprouver un bien vif plaisir à enlever aux magnifiques pêches de Montreuil et aux chasselas de Fontainebleau, le duvet velouté qu'ils n'avaient pas encore perdu. Des pâtisseries, petits chefs-d'œuvre de l'illustre Félix, des conserves et des fruits secs de toutes les espèces, des confitures de Bar, des fromages de tous les pays, parmi lesquels le vénérable fromage de Brie, qui, grâce à monsieur de Talleyrand, fit triompher la France au congrès de Vienne, occupait la place d'honneur; des pièces montées, si brillantes d'aspect, si élégantes de formes, que ce n'est pas sans éprouver un vif sentiment de regret que l'on se détermine à les détruire, furent en même temps déposés sur la table.
Des flacons couverts d'une vénérable poussière; les uns, assez allongés, au col légèrement renflé, d'un verre mince, de teinte presque jaune, annonçaient le Joannisberg venu directement du clos de monsieur de Metternich, accompagné de son certificat d'origine; d'autres, délicatement enveloppés de petits joncs tressés avec art qui devaient, lorsque l'on aurait brisé le cachet de cire verte sur lequel on pouvait lire en caractères persans une sentence de l'Alcoran, laisser s'échapper cette liqueur si chère aux sectateurs du prophète, connue sous le nom de vin de Schiras, accompagnaient ce mirifique dessert.
—Messieurs, dit de Préval, je propose la santé de notre Amphytrion, à monsieur de Courtivon!
—A monsieur de Courtivon! s'écrièrent tous les convives en levant leurs verres; à monsieur de Courtivon!
—Nous ne serons pas assez injustes pour oublier l'habile traducteur de ses intentions, ajouta le vicomte de Lussan. Messieurs, je bois à Lemardelay!
Ce toast comme le premier, fut accueilli par d'unanimes acclamations, et l'estimable artiste fut forcé de venir dans le salon recevoir les hommages de ces chaleureux admirateurs de ses talents culinaires.
Jusque-là, tout s'était passé très-convenablement; mais à ce moment, le fumet des vins capiteux servis avec profusion aux convives, leur étant monté à la tête, et le café et les liqueurs françaises et des îles ayant achevé une besogne si bien commencée, la conversation prit tout à coup des allures très-décolletées. Ainsi que cela arrive presque toujours, ce furent les femmes qui donnèrent le signal des propos hasardés et des épigrammes