deux individus qui ne marchent jamais l'un sans l'autre, se trouvèrent un jour très-sanglés (c'est l'expression dont ils se servent), tous les deux, c'est-à-dire qu'ils avaient un très-pressant besoin d'argent. Le plus âgé dit alors au plus jeune:
—Ecoute j'ai trouvé cette nuit une mine d'or, ou plutôt, ce qui vaut mieux, une mine de billets de banque.
—Comment, lui répondit son ami, tu veux fabriquer de faux billets de banque? Cela ne me va pas. Je me moque de la police correctionnelle, mais je respecte beaucoup la cour d'Assises.
—Et qui diable te parle de fabriquer quoi que ce soit? n'est-il donc plus possible de se procurer de bons véritables billets de banque?
—Pour s'en procurer un nombre raisonnable, je ne connais que deux moyens: les faire soi-même ou voler la banque de France; et je te l'avoue, l'une ou l'autre de ces deux actions m'épouvante; tu sais que je suis honnête homme, et que l'idée seule de commettre une mauvaise action me donne des crispations.
—Mais il ne s'agit, je te l'assure, ni de voler ni de rien de semblable; il ne faut que savoir saisir adroitement un portefeuille bien plein de cet agréable et soyeux papier.
—S'il ne s'agit que de s'emparer avec adresse d'un portefeuille, je consens à t'aider; mais avant tout je désire que tu m'expliques ton plan.
—Mon plan est simple, et si demain il fait aussi beau temps qu'aujourd'hui, je suis certain du succès.
—Tu me fais mourir d'impatience avec tes réticences! dis-moi de suite de quoi il s'agit, je suis tout oreilles: parle!
—Tu as remarqué l'autre jour l'embonpoint du portefeuille de mon banquier?
—Oui, je l'ai vu et convoité. Mais ce portefeuille est comme l'arche sainte, personne ne peut y toucher.
—Cependant si demain le soleil se lève radieux, et si tu veux me seconder, demain nous en serons propriétaires.
—Je crois, mon cher, que tu es devenu fou. Il nous serait plus facile de prendre la lune avec nos dents que de nous approprier le portefeuille de ce brave usurier.
—Demain, s'il fait beau (c'est la condition sine quâ non), tu te promèneras sous les fenêtres de l'usurier en question, et si le portefeuille tombe à tes pieds, tu le ramasseras et tu disparaîtras: voilà tout ce que j'exige de toi, entends-tu?
—Oui, j'entends, mais je ne comprends pas.
—Consens-tu, oui ou non, à faire ce que j'exige de toi?
—Eh bien! oui!
—C'est bien. Alors prie Dieu que la journée de demain soit belle, et s'il exauce tes prières, avant qu'il soit midi nous serons tous deux de la fête.
—En ce cas nous nous retrouverons demain matin à sept heures au Palais-Royal, vis-à-vis de la Rotonde.
Le lendemain les deux amis se rencontrèrent au lieu et à l'heure indiqués. Le ciel était pur, le soleil brillait, tout annonçait un jour exempt d'orage. L'empressement était égal de part et d'autre, ils se dirigèrent ensemble vers le domicile de l'usurier, et le plus âgé dit à son ami:
—Avant d'entrer dans la maison, sois attentif et la fortune te tombera sur la tête.
Le comte palatin du saint-empire romain, se promenait sur le trottoir, attendant avec impatience le bienheureux aérolithe qui devait lui tomber dessus. Enfin, après une heure d'attente qui lui parut aussi longue qu'une journée passée au violon, sans argent, le portefeuille qu'il attendait tomba; il le ramassa et disparut: personne n'avait remarqué ce qui venait de se passer.
Voici ce qui était arrivé dans le cabinet de l'usurier dont, ainsi que l'avait prévu notre escroc, une des fenêtres était ouverte à cause du beau temps. Le plus âgé des deux, qui lui faisait escompter souvent certains billets qui étaient toujours bien payés à leur échéance, lui en avait présenté deux de mille francs chaque, à quatre mois de date. Le compte fait, il revenait à notre homme quinze cent et soixante francs: le brave usurier ne donnait pas ses coquilles. Le portefeuille fut retiré de la caisse, et trois billets de cinq cents francs en furent extraits, tournés et retournés dix fois et remis enfin, accompagnés d'un long soupir; cela fait, l'usurier comme il en avait l'habitude, plaça le portefeuille à côté de lui enfin de puiser dans sa caisse les soixante francs qui devaient compléter la somme qu'il devait remettre à son client, à ce moment l'escroc saisit le portefeuille qu'il jeta par la fenêtre, qui fut fermée aussitôt.
L'usurier avait été si surpris, qu'il resta au moins une minute sans pouvoir dire un mot; enfin il reprit ses sens et poussa des cris perçants, on accourut; l'escroc était assis dans un des coins de la pièce, son bordereau d'escompte et les trois billets de banque qu'il avait reçus, à la main. «Je crois, dit-il aux personnes accourues aux cris de l'usurier, que ce respectable monsieur est subitement devenu fou». Le commissaire de police, mandé d'après les ordres du banquier, arriva enfin; notre héros est fouillé, on ne trouve rien sur lui, il explique par A plus B sa présence chez l'usurier, qui, seulement alors, se rappelle que le portefeuille a été jeté par la fenêtre; tout le monde remarque qu'elle est hermétiquement fermée et que celui qu'on accuse, est placé à une extrémité opposée; de son côté, il assure qu'elle était dans cet état lorsqu'il est entré. Le malheureux usurier qui devine que son argent, ce qu'il a de plus cher au monde, est à jamais, perdu pour lui, se livre à tous les transports du plus furieux désespoir; ses excès font croire qu'il a perdu l'esprit. Cependant, on interroge celui qu'il inculpe. Son air patelin, la vue de ses décorations convainquirent tout le monde de son innocence. On fut chez lui, où il obtint d'excellents renseignements, il fut enfin relaxé.
Comme vous le pensez bien, il craignait d'être suivi, aussi il prit des précautions pour aller rejoindre son ami, enfin, vers six heures du soir, ils se rencontrèrent au café qui fait le coin du boulevard et de la rue Montmartre; ils se saluèrent comme des connaissances qui ont été quelque temps sans se voir, puis ils allèrent dîner chez Véfour.
Entre la poire et le fromage; le plus vieux dit à son ami:
—Eh bien! combien as-tu trouvé? l'usurier prétend qu'il contenait 50,000 francs.
—Que dis-tu? 50,000 francs, comment, où?
—Mais dans le portefeuille de ce matin.
—De quoi me parles-tu, ma parole d'honneur je ne te comprends pas.
—C'est assez plaisanter, combien y avait-il, voilà le principal?
—Mais tu es donc devenu imbécile?
—Tu es un brave camarade, n'est-ce pas?
—Sans doute.
—Eh bien, ne me tiens pas plus longtemps dans l'incertitude, partageons et que tout soit dit.
—Eh! de par tous les diables, est-ce pour me faire tourner en bourrique que tu me payes à dîner, explique-toi, de grâce.
Il s'expliqua. Lorsqu'il eut achevé son discours, le comte palatin, après de nombreux éclats de rire, lui répondit qu'il ne savait ce qu'il voulait dire, alors, mais alors seulement, le plus âgé des deux larrons vit que son camarade voulait s'approprier le contenu du portefeuille, il se leva et lui dit d'une voix solennelle: J'avais cru jusqu'à ce jour que tu étais un honnête homme, je me suis trompé. Adieu; Dieu te punira[221].
Une petite actrice assez gentille d'un petit théâtre du boulevard du Temple, avait un amant. Il n'y a rien là qui doive vous étonner; mais ce qu'il y a d'extraordinaire c'est que cette jeune actrice aimait son amant. Un beau matin l'actrice et son amant furent arrêtés au saut du lit. Le jeune homme était accusé d'un crime assez grave et l'on était assez peu galant pour accuser la jeune prêtresse de Thalie d'être sa complice; mais dame Thémis ayant reconnu son erreur, elle fut rendue aux habitués de son théâtre. La jeune actrice n'était pas de ces gens qui oublient leurs amis lorsqu'ils sont dans l'infortune. Son amant était resté sous les verroux, il fallait essayer de le tirer d'embarras; elle alla trouver l'homme qui est assis à côté des deux