Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris


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cela ne m'inquiète guère; quoique vous fassiez, il me restera quelque chose que vous ne pourrez pas m'enlever.

      —Eh quoi? s'il vous plaît.

      —Les talents que je possède, de la jeunesse et peut-être quelques attraits, ajouta Silvia, en adressant à Salvador le plus gracieux des sourires.

      —Vous êtes une infernale coquette, lui répondit son amant, tout à fait désarmé, mais croyez-moi, Silvia, tâchons de marcher d'accord sur le chemin que nous devons suivre ensemble, plus de ces luttes dont les suites nous seraient fatales à tous deux.

      —Vous vous trompez de moitié, mon cher.

      —Comment l'entendez-vous?

      —Je veux dire que si la bataille s'engage de nouveau, toutes les chances seront en votre faveur; car vous possédez tous les secrets de l'ennemi, qui de son côté, ne sait absolument rien de ce qui vous regarde.

      —Oh! je vous assure, que vous savez de ma vie, tout ce qu'il est possible d'en savoir.

      —Peut-être; mais si vous avez des secrets que vous ayez intérêt à cacher, faites en sorte que je ne puisse pas les découvrir, si jamais vous veniez à me tromper, j'en ferais peut-être un usage qui ne vous conviendrait pas.

      —A bon entendeur, salut.

      —Et il demeure constant?...

      —Que je vous adore, et que vous voulez bien ne pas me détester; et que si jamais je vous trompe, vous aurez acquis le droit de vous venger.

      —Convenu! dit Silvia, en tendant sa main à Salvador, qui y déposa le plus ardent des baisers.

      —Et vous me suivrez à Pourrières, et de là à Paris, dit-il sans quitter la main de sa maîtresse qu'il tenait serrée dans les siennes, et en attachant sur ses yeux un regard qui cherchait à deviner sa pensée.

      —Partout où vous voudrez, répondit-elle et cette fois le sourire sardonique qui venait toujours se placer sur ses lèvres lorsqu'elle répondait à ses adorateurs, ne vint pas démentir l'expression de sa voix et de son regard.

      Elle était sincère.

      Salvador fit de suite les préparatifs de son départ, et après avoir cent fois recommandé à Silvia que la crainte de blesser les convenances l'empêchait d'emmener avec lui, de ne pas trop se faire attendre, il quitta Lyon.

      Roman était absent lorsqu'il arriva au château de Pourrières; et lorsqu'il demanda aux domestiques où il était allé, on lui répondit que M. l'intendant était parti depuis environ huit jours, pour aller rejoindre, à Lyon, M. le marquis, et que, depuis lors, on n'avait pas reçu de ses nouvelles.

      L'absence de son complice aurait inquiété Salvador dans tout autre moment; mais l'impatience avec laquelle il attendait sa maîtresse, et les préparatifs qu'il faisait faire pour la recevoir, occupaient tous ses instants et ne lui laissaient pas le temps de penser à autre chose.

      Il savait qu'il ne pouvait, sans blesser les convenances, recevoir chez lui une femme, qu'il avait l'intention de faire admettre dans le monde qu'il fréquentait. Aussi, son premier soin en arrivant au château de Pourrières, avait été d'aller trouver un châtelain de ses voisins, que les honneurs qu'il avait obtenus depuis qu'il s'était rallié au nouveau gouvernement n'avaient pas éloigné de lui, afin de prier son épouse de vouloir bien recevoir chez elle, pendant quelques jours, la noble marquise de Roselly, qu'il avait annoncée comme la veuve d'un gentilhomme italien avec lequel il s'était lié pendant ses voyages.

      De semblables services ne se refusent jamais; aussi Silvia, lors de son arrivée à Pourrières, fut accueillie dans la famille du voisin de Salvador avec l'empressement et la cordialité que l'on croyait devoir témoigner à une femme que sa jeunesse, sa beauté, son esprit et sa position de veuve rendait très-intéressante.

      Salvador avait laissé entrevoir à ses voisins qu'il désirait captiver les bonnes grâces de la marquise de Roselly qu'il avait l'intention de prendre pour épouse si elle voulait bien y consentir; aussi les fréquentes visites qu'il lui faisait, paraissaient toutes naturelles au brave gentilhomme et à son épouse, qui sans y mettre d'affectation, saisissaient toutes les occasions de les laisser seuls.

      Salvador avait terminé toutes les affaires qui le retenaient à Pourrières, et Silvia avait annoncé à ses hôtes son prochain départ: ils devaient se mettre en route à un jour d'intervalle et se rejoindre à Valence, où le premier arrivé devait attendre l'autre à l'hôtel de la Poste, après une fête d'adieu qui allait être donnée au château de Pourrières, et à laquelle avaient été invités tous les voisins du marquis. Celui-ci autant pour plaire à sa maîtresse que pour laisser à ses amis des souvenirs agréables, avait voulu que rien ne manquât à cette fête. Un festin magnifique devait être servi aux invités, les meilleurs musiciens d'Aix avaient été mis en réquisition afin de composer un orchestre digne des nobles danseurs auxquels il était destiné, le parc tout entier devait être illuminé en verres de couleurs, enfin un admirable feu d'artifice devait la terminer.

      La fête était arrivée à son apogée et Salvador allait prier Silvia de donner le signal du feu d'artifice qui devait précéder le souper, lorsqu'un domestique vint le trouver dans la partie du parc où l'orchestre avait été établi, afin de lui annoncer que monsieur Lebrun venait d'arriver, et qu'après s'être retiré dans son appartement, il faisait prier monsieur le marquis de venir lui parler.

      Le domestique s'était acquitté de sa mission devant Silvia, que Salvador tenait sous le bras et à laquelle il faisait les honneurs de la fête; il parut singulier à cette dernière, qu'un intendant fît prier son maître de venir le trouver dans sa chambre, et elle ne pût s'empêcher de témoigner son étonnement.

      —Oh! mon intendant est un ancien serviteur de la famille, répondit Salvador à ses observations, et je lui permets des petites licences que je ne tolérerais chez aucun autre.

      Et comme le domestique attendait la réponse de son maître:

      —Dites à mon intendant, ajouta-t-il en appuyant sur ce dernier mot, de venir me trouver ici.

      Le domestique alla transmettre à Roman, l'ordre qu'il avait reçu, et celui-ci, qui s'était déjà débarrassé de son costume de voyage, fut assez vivement contrarié d'être forcé de se déranger pour aller se mêler à la foule des invités.

      —Il paraît, se dit-il, qu'il y a quelque chose de nouveau, puisqu'il ne peut pas disposer d'un instant; nous allons voir cela.

      Après avoir fait un peu de toilette, il se rendit dans le parc; lorsqu'il aborda Salvador, celui-ci lui fit un signe qui, tout imperceptible qu'il était, n'échappa pas aux regards clairvoyants de Silvia.

      —Ne pouviez-vous, dit Salvador, prendre quelques instants sur votre repos, afin de venir me communiquer ce que vous avez de si pressé à me dire?

      —Je prie monsieur le marquis, de vouloir bien m'excuser, répondit Roman, qui avait compris le signe de son ami: mais ce que j'ai à lui dire ne souffrant aucun retard et ne regardant que lui, et tous les appartements du château étant envahis par la foule, j'ai pensé que nous serions plus commodément chez moi.

      —C'est bien; maintenant vous pouvez vous expliquer.

      Et comme Roman ne répondait pas.

      —Vous pouvez parler devant madame, ajouta Salvador.

      —Je demande bien pardon à monsieur le marquis, mais ce que j'ai à lui dire m'étant à peu près personnel, il est nécessaire que je ne m'explique que devant lui.

      Salvador devina aux regards de Roman, que lui seul devait entendre ce que son complice voulait lui dire, il conduisit Silvia dans la partie du parc réservée pour le bal, et il revint joindre son ami.

      —Puis-je savoir, dit-il, lorsqu'ils se trouvèrent dans une partie écartée du parc, d'où tu sors et ce que tu as fait depuis quinze jours que tu as quitté le château?

      —Ah!