Jules Verne

Un billet de loterie (Le numéro 9672)


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ces agréables fonctions sont réservées aux femmes mariées. C'était donc un peu par dérogation, au profit de Joël, que Siegfrid Helmboë devait assister en cette qualité Hulda Hansen.

      Grosse question, pour la fiancée comme pour la fille d'honneur, cette toilette qu'elles mettront le jour de la cérémonie.

      Siegfrid, jolie blonde de dix-huit ans, avait la ferme intention d'y paraître tout à son avantage. Prévenue par un petit mot de son amie Hulda — Joël avait tenu à le lui remettre en main propre — elle s'occupa, sans perdre un instant, de ce travail qui n'est pas sans donner quelque souci.

      Il s'agissait, en effet, d'un certain corsage dont la broderie, à dessins réguliers, devait être combinée de manière à renfermer la taille de Siegfrid comme dans un émail cloisonné. Puis, on parlait aussi d'une jupe recouvrant une série de jupons, dont le nombre serait en rapport avec la fortune de Siegfrid, mais sans rien lui faire perdre des grâces de sa personne. Quant aux bijoux, quelle affaire que de choisir la plaque centrale du collier à filigrane d'argent mêlé de perles, les broches du corsage en argent doré ou en cuivre, les pendeloques en forme de coeur avec disques mobiles, les doubles boutons qui servent à agrafer le col de la chemise, la ceinture de laine ou de soie rouge, d'où partent quatre rangées de chaînettes, les bagues avec petits glands qui s'entrechoquent harmonieusement, les boucles d'oreilles et les bracelets en argent ajouré, enfin toute cette joaillerie campagnarde, dans laquelle, à vrai dire, l'or n'est qu'en mince feuille, l'argent en étamage, l'orfèvrerie en estampage, dont les perles sont du verre soufflé et les diamants du cristal! Mais encore convenait-il que l'oeil fût satisfait de l'ensemble. Et, s'il le fallait, Siegfrid n'hésiterait pas à aller visiter les riches magasins de M. Benett, de Christiania, pour y faire ses emplettes. Son père ne s'y opposerait point. Loin de là! L'excellent homme laissait volontiers faire sa fille. Siegfrid, d'ailleurs, était assez raisonnable pour ne pas mettre à sec la bourse paternelle. Enfin, ce qui importait par-dessus tout, c'était que, ce jour-là, Joël la trouvât tout à son avantage.

      Quant à Hulda, c'était non moins grave. Mais les modes sont impitoyables et donnent bien du mal aux fiancées dans le choix de leur toilette de mariage.

      Hulda allait enfin abandonner les longues nattes enrubannées qui s'échappaient de son bonnet de jeune fille, et la haute ceinture à fermoir, retenant son tablier sur sa jupe écarlate. Elle ne porterait plus les fichus de fiançailles que Ole lui avait donnés en partant, ni le cordon auquel pendent ces petits sacs en cuir brodé où sont renfermés la cuiller d'argent à manche court, le couteau, la fourchette, l'étui à aiguilles — autant d'objets dont une femme doit faire un constant emploi dans le ménage.

      Non! Au jour prochain des noces, la chevelure de Hulda flotterait librement sur ses épaules, et elle était si abondante qu'il ne serait pas nécessaire d'y mêler ces postiches de lin dont abusent les jeunes Norvégiennes moins favorisées de la nature. En somme, pour son vêtement comme pour ses bijoux, Hulda n'aurait qu'à puiser dans le coffre de sa mère. En effet, ces éléments de toilette se transmettent de mariage en mariage à toutes les générations de la même famille. Ainsi voit-on réapparaître le pourpoint brodé d'or, la ceinture de velours, la jupe de soie unie ou bariolée, les bas de wadmel, la chaîne d'or du cou et la couronne — cette fameuse couronne scandinave, conservée dans le mieux fermé des bahuts, magnifique cartonnage doré qui se relève en bosses, tout constellé d'étoiles ou tout enguirlandé de feuillage, enfin, l'équivalent de la couronne de fleurs d'oranger en d'autres pays de l'Europe. Ce qui est certain, c'est que ce nimbe rayonnant avec ses filigranes délicats, ses pendeloques sonores, ses verroteries de couleur, devait encadrer d'une façon charmante le joli visage de Hulda. La «fiancée couronnée», comme on dit, ferait honneur à son époux. Lui, serait digne d'elle dans son flambant costume de mariage — jaquette courte à boutons d'argent très rapprochés, chemise empesée à corolle droite, gilet à liséré soutaché de soie, culotte étroite, rattachée au genou avec des bouquets de floches laineuses, feutre mou, bottes jaunâtres, et, à la ceinture, dans sa gaine de cuir, le couteau scandinave, le «dolknif», dont est toujours muni le vrai Norvégien.

      Ainsi donc, de part et d'autre, il y aurait de quoi s'occuper sérieusement. Ce ne serait pas trop de quelques semaines, si l'on voulait que tout fût fini avant l'arrivée de Ole Kamp. Après tout, si Ole était de retour un peu plus tôt qu'il ne l'avait dit, et si Hulda n'était pas prête, Hulda ne s'en plaindrait pas, Ole non plus.

      C'est à ces diverses occupations que se passèrent les dernières semaines d'avril et les premières de mai. De son côté, Joël était allé faire lui-même ses invitations, profitant de ce que son métier de guide lui laissait alors quelques loisirs.

      On remarqua même qu'il devait avoir nombre d'amis à Bamble, car il y alla souvent. S'il ne s'était pas rendu à Bergen, afin d'inviter MM. Help frères, du moins leur avait-il écrit. Et, comme il le pensait, ces honnêtes armateurs, avaient accepté, non sans empressement, l'invitation d'assister au mariage de Ole Kamp, le jeune maître du Viken.

      Cependant, le 15 mai était arrivé. D'un jour à l'autre, on pouvait donc s'attendre à voir Ole descendre de sa kariol, ouvrir la porte, s'écrier de sa voix joyeuse:

      — C'est moi!… Me voilà! Il ne fallait plus qu'un peu de patience. D'ailleurs, tout était prêt. Siegfrid, de son côté, n'avait besoin que d'un signe pour apparaître dans tous ses atours.

      Le 16, le 17, rien encore, et pas de nouvelle lettre que les courriers eussent apportée de Terre-Neuve.

      — Il ne faut pas s'en étonner, petite soeur, répétait souvent Joël. Un navire à voiles peut avoir des retards. La traversée est longue de Saint-Pierre-Miquelon à Bergen. Ah! que n'est-ce un bateau à vapeur, ce _Viken, _et que n'en suis-je la machine! Comme je le pousserais contre vents et marée, quand je devrais éclater en arrivant au port!

      Il disait tout cela parce qu'il voyait bien l'inquiétude de Hulda grandir de jour en jour.

      Précisément, il y avait alors grand mauvais temps au Telemark. De rudes vents balayaient les hauts fields, et ces vents, qui soufflaient de l'ouest, venaient d'Amérique.

      — Ils devraient pourtant favoriser la marche du _Viken! _répétait souvent la jeune fille.

      — Sans doute, répondait Joël, mais s'ils sont trop forts, ils peuvent le gêner aussi et l'obliger à tenir tête à l'ouragan. On ne fait pas ce qu'on veut sur mer!

      — Ainsi, tu n'es pas inquiet, Joël?

      — Non, Hulda, non! Cela est très fâcheux, mais rien de plus naturel que ces retards! Non! Je ne suis pas inquiet, et il n'y a vraiment pas lieu de l'être!

      Le 19, il arriva à l'auberge un voyageur qui eut besoin d'un guide. Il s'agissait de le conduire jusque sur la limite du Hardanger en passant par les montagnes. Bien que très contrarié de laisser Hulda à elle-même, son frère ne pouvait refuser ses services. Ce serait une absence de quarante-huit heures au plus, et Joël comptait bien trouver Ole à son retour. La vérité est que le brave garçon commençait à être très tourmenté. Il partit donc dans la matinée, le coeur gros, il faut bien le dire.

      Le lendemain, précisément, vers une heure après midi, on frappait à la porte de l'auberge.

      — Serait-ce Ole! s'écria Hulda. Elle alla ouvrir. Sur le seuil se tenait un homme en manteau de voyage, juché sur le siège de sa kariol, et dont le visage lui était inconnu.

VI

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