Морис Леблан

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur


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Je le savais, monsieur le Président.

      – Pas possible.

      – Sans quoi, me serais-je dérangé ? Aujourd’hui vous voyez mon plan de bataille. D’un côté je tends des pièges où l’assassin finira par se prendre : Pierre Leduc ou Steinweg me le livreront. De l’autre côté je rôde autour de Lupin. Deux de ses agents sont à ma solde et il les croit ses plus dévoués collaborateurs. En outre, il travaille pour moi, puisqu’il poursuit, comme moi, l’auteur du triple assassinat. Seulement il s’imagine me rouler, et c’est moi qui le roule. Donc, je réussirai, mais à une condition.

      – Laquelle ?

      – C’est que j’aie les coudées franches, et que je puisse agir selon les nécessités du moment sans me soucier du public qui s’impatiente et de mes chefs qui intriguent contre moi.

      – C’est convenu.

      – En ce cas, monsieur le Président, d’ici quelques jours je serai vainqueur ou je serai mort.

      – 2 –

      À Saint-Cloud. Une petite villa située sur l’un des points les plus élevés du plateau, le long d’un chemin peu fréquenté. Il est onze heures du soir. M. Lenormand a laissé son automobile à Saint-Cloud, et, suivant le chemin avec précaution, il s’approche.

      Une ombre se détache.

      – C’est toi, Gourel ?

      – Oui, chef.

      – Tu as prévenu les frères Doudeville de mon arrivée ?

      – Oui, votre chambre est prête, vous pouvez vous coucher et dormir… À moins qu’on n’essaie d’enlever Pierre Leduc cette nuit, ce qui ne m’étonnerait pas, étant donné le manège de l’individu que les Doudeville ont aperçu.

      Ils franchirent le jardin, entrèrent doucement, et montèrent au premier étage. Les deux frères, Jean et Jacques Doudeville, étaient là.

      – Pas de nouvelles du prince Sernine ? leur demanda-t-il.

      – Aucune, chef.

      – Pierre Leduc ?

      – Il reste étendu toute la journée dans sa chambre du rez-de-chaussée, ou dans le jardin. Il ne monte jamais nous voir.

      – Il va mieux ?

      – Bien mieux. Le repos le transforme à vue d’œil.

      – Il est tout dévoué à Lupin ?

      – Au prince Sernine plutôt, car il ne se doute pas que les deux ça ne fait qu’un. Du moins, je le suppose, on ne sait rien avec lui. Il ne parle jamais. Ah ! C’est un drôle de pistolet. Il n’y a qu’une personne qui ait le don de l’animer, de le faire causer, et même rire. C’est une jeune fille de Garches, à laquelle le prince Sernine l’a présenté, Geneviève Ernemont. Elle est venue trois fois déjà… Encore aujourd’hui…

      Il ajouta en plaisantant :

      – Je crois bien qu’on flirte un peu… C’est comme Son Altesse le prince Sernine et Mme Kesselbach… il paraît qu’il lui fait des yeux !… ce sacré Lupin !…

      M. Lenormand ne répondit pas. On sentait que tous ces détails, dont il ne paraissait pas faire état, s’enregistraient au plus profond de sa mémoire, pour l’instant où il lui faudrait en tirer les conclusions logiques.

      Il alluma un cigare, le mâchonna sans le fumer, le ralluma et le laissa tomber.

      Il posa encore deux ou trois questions, puis, tout habillé, il se jeta sur son lit.

      – S’il y a la moindre chose, qu’on me réveille… Sinon, je dors. Allez chacun à son poste.

      Les autres sortirent. Une heure s’écoula, deux heures… Soudain, M. Lenormand sentit qu’on le touchait, et Gourel lui dit :

      – Debout, chef, on a ouvert la barrière.

      – Un homme, deux hommes ?

      – Je n’en ai vu qu’un… La lune a paru à ce moment… il s’est accroupi contre un massif.

      – Et les frères Doudeville ?

      – Je les ai envoyés dehors, par derrière. Ils lui couperont la retraite quand le moment sera venu.

      Gourel saisit la main de M. Lenormand, le conduisit en bas, puis dans une pièce obscure.

      – Ne bougez pas, chef, nous sommes dans le cabinet de toilette de Pierre Leduc. J’ouvre la porte de l’alcôve où il couche… Ne craignez rien… il a pris son véronal comme tous les soirs… rien ne le réveille… Venez là… Hein, la cachette est bonne ?… ce sont les rideaux de son lit… D’ici, vous voyez la fenêtre et tout le côté de la chambre qui va du lit à la fenêtre.

      Elle était grande ouverte, cette fenêtre, et une confuse clarté pénétrait, très précise par moments, lorsque la lune écartait le voile des nuages.

      Les deux hommes ne quittaient pas des yeux le cadre vide de la croisée, certains que l’événement attendu se produirait par là.

      Un léger bruit… un craquement…

      – Il escalade le treillage, souffla Gourel.

      – C’est haut ?

      – Deux mètres… deux mètres cinquante…

      Les craquements se précisèrent.

      – Va-t’en, Gourel, murmura Lenormand, rejoins les Doudeville… ramène-les au pied du mur, et barrez la route à quiconque descendra d’ici.

      Gourel s’en alla.

      Au même moment une tête apparut au ras de la fenêtre, puis une ombre enjamba le balcon. M. Lenormand distingua un homme mince, de taille au-dessous de la moyenne, vêtu de couleur foncée, et sans chapeau.

      L’homme se retourna et, penché au-dessus du balcon, regarda quelques secondes dans le vide comme pour s’assurer qu’aucun danger ne le menaçait. Puis il se courba et s’étendit sur le parquet. Il semblait immobile. Mais, au bout d’un instant, M. Lenormand se rendit compte que la tache noire qu’il formait dans l’obscurité avançait, s’approchait.

      Elle gagna le lit.

      Il eut l’impression qu’il entendait la respiration de cet être, et même qu’il devinait ses yeux, des yeux étincelants, aigus, qui perçaient les ténèbres comme des traits de feu, et qui voyaient, eux, à travers ces ténèbres.

      Pierre Leduc eut un profond soupir et se retourna.

      De nouveau le silence.

      L’être avait glissé le long du lit par mouvements insensibles, et la silhouette sombre se détachait sur la blancheur des draps qui pendaient.

      Si M. Lenormand avait allongé le bras, il l’eût touché. Cette fois il distingua nettement cette respiration nouvelle qui alternait avec celle du dormeur, et il eut l’illusion qu’il percevait aussi le bruit d’un cœur qui battait.

      Tout à coup un jet de lumière… L’homme avait fait jouer le ressort d’une lanterne électrique à projecteur, et Pierre Leduc se trouva éclairé en plein visage. Mais l’homme, lui, restait dans l’ombre, et M. Lenormand ne put voir sa figure.

      Il vit seulement quelque chose qui luisait dans le champ de la clarté, et il tressaillit. C’était la lame d’un couteau, et ce couteau, effilé, menu, stylet plutôt que poignard, lui parut identique au couteau qu’il avait ramassé près du cadavre de Chapman, le secrétaire de M. Kesselbach.

      De toute sa volonté il se retint pour ne pas sauter sur l’homme. Auparavant, il voulait voir ce qu’il venait faire…