Морис Леблан

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur


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      – Vous n’avez jamais peur ?

      – Quelle idée !

      – Dame, ce pavillon est tellement isolé ! Pas de voisins… des terrains vagues… Vrai, je ne suis pas poltron, et cependant…

      – Eh bien ! Vous êtes gai, vous !

      – Oh ! Je dis cela comme je dirais autre chose. Les Saint-Martin m’ont impressionné avec leurs histoires de brigands.

      M’ayant serré la main, il s’éloigna. Je pris ma clef et j’ouvris.

      – Allons ! Bon, murmurai-je. Antoine a oublié de m’allumer une bougie.

      Et soudain je me rappelai : Antoine était absent, je lui avais donné congé.

      Tout de suite l’ombre et le silence me furent désagréables. Je montai jusqu’à ma chambre, à tâtons, le plus vite possible, et aussitôt, contrairement, à mon habitude, je tournai la clef et poussai le verrou. Puis j’allumai.

      La flamme de la bougie me rendit mon sang-froid. Pourtant j’eus soin de tirer mon revolver de sa gaine, un gros revolver à longue portée, et je le posai à côté de mon lit. Cette précaution acheva de me rassurer. Je me couchai et, comme à l’ordinaire, pour m’endormir, je pris sur la table de nuit le livre qui m’y attendait chaque soir.

      Je fus très étonné. À la place du coupe-papier dont je l’avais marqué la veille, se trouvait une enveloppe, cachetée de cinq cachets de cire rouge. Je la saisis vivement. Elle portait comme adresse mon nom et mon prénom, accompagnés de cette mention :

      « Urgent. »

      Une lettre ! Une lettre à mon nom ! Qui pouvait l’avoir mise à cet endroit ? Un peu nerveux, je déchirai l’enveloppe et je lus :

      « À partir du moment où vous aurez ouvert cette lettre, quoi qu’il arrive, quoi que vous entendiez, ne bougez plus, ne faites pas un geste, ne jetez pas un cri. Sinon, vous êtes perdu. »

      Moi non plus je ne suis pas un poltron, et, tout aussi bien qu’un autre, je sais me tenir en face du danger réel, ou sourire des périls chimériques dont s’effare notre imagination. Mais je le répète, j’étais dans une situation d’esprit anormale, plus facilement impressionnable, les nerfs à fleur de peau. Et d’ailleurs, n’y avait-il pas dans tout cela quelque chose de troublant et d’inexplicable qui eût ébranlé l’âme du plus intrépide ?

      Mes doigts serraient fiévreusement la feuille de papier, et mes yeux relisaient sans cesse les phrases menaçantes… « Ne faites pas un geste… ne jetez pas un cri… sinon vous êtes perdu… » Allons donc ! Pensai-je, c’est quelque plaisanterie, une farce imbécile.

      Je fus sur le point de rire, même je voulus rire à haute voix. Qui m’en empêcha ? Quelle crainte indécise me comprima la gorge ?

      Du moins je soufflerais la bougie. Non, je ne pus la souffler. « Pas un geste, ou vous êtes perdu », était-il écrit.

      Mais pourquoi lutter contre ces sortes d’autosuggestions plus impérieuses souvent que les faits les plus précis ? Il n’y avait qu’à fermer les yeux. Je fermai les yeux.

      Au même moment, un bruit léger passa dans le silence, puis des craquements. Et cela provenait, me sembla-t-il, d’une grande salle voisine où j’avais installé mon cabinet de travail et dont je n’étais séparé que par l’antichambre.

      L’approche d’un danger réel me surexcita, et j’eus la sensation que j’allais me lever, saisir mon revolver, me précipiter dans la salle. Je ne me levai point : en face de moi, un des rideaux de la fenêtre de gauche avait remué.

      Le doute n’était pas possible : il avait remué. Il remuait encore ! Et je vis – oh ! Je vis cela distinctement – qu’il y avait entre les rideaux et la fenêtre, dans cet espace trop étroit, une forme humaine dont l’épaisseur empêchait l’étoffe de tomber droit.

      Et l’être aussi me voyait, il était certain qu’il me voyait à travers les mailles très larges de l’étoffe. Alors je compris tout. Tandis que les autres emportaient leur butin, sa mission à lui consistait à me tenir en respect. Me lever ? Saisir un revolver ? Impossible… Il était là ! Au moindre geste, au moindre cri, j’étais perdu.

      Un coup violent secoua la maison, suivi de petits coups groupés par deux ou trois, comme ceux d’un marteau qui frappe sur des pointes et qui rebondit. Ou du moins voilà ce que j’imaginais, dans la confusion de mon cerveau. Et d’autres bruits s’entrecroisèrent, un véritable vacarme qui prouvait que l’on ne se gênait point, et que l’on agissait en toute sécurité.

      On avait raison : je ne bougeai pas. Fût-ce lâcheté ? Non, anéantissement plutôt, impuissance totale à mouvoir un seul de mes membres. Sagesse également, car enfin, pourquoi lutter ? Derrière cet homme il y en avait dix autres qui viendraient à son appel. Allai-je risquer ma vie pour sauver quelques tapisseries et quelques bibelots ?

      Et toute la nuit ce supplice dura. Supplice intolérable, angoisse terrible ! Le bruit s’était interrompu, mais je ne cessais d’attendre qu’il recommençât. Et l’homme ! L’homme qui me surveillait, l’arme à la main ! Mon regard effrayé ne le quittait pas. Et mon cœur battait, et de la sueur ruisselait de mon front et de tout mon corps !

      Et tout à coup un bien-être inexprimable m’envahit : une voiture de laitier dont je connaissais bien le roulement, passa sur le boulevard, et j’eus en même temps l’impression que l’aube se glissait entre les persiennes closes et qu’un peu de jour dehors se mêlait à l’ombre.

      Et le jour pénétra dans la chambre. Et d’autres voitures passèrent. Et tous les fantômes de la nuit s’évanouirent.

      Alors je glissai un bras vers la table, lentement, sournoisement. En face rien ne remua. Je marquai des yeux le pli du rideau, l’endroit précis où il fallait viser, je fis le compte exact des mouvements que je devais exécuter, et, rapidement, j’empoignai mon revolver et je tirai.

      Je sautai hors du lit avec un cri de délivrance, et je bondis sur le rideau. L’étoffe était percée, la vitre était percée. Quant à l’homme, je n’avais pu l’atteindre… pour cette bonne raison qu’il n’y avait personne.

      Personne ! Ainsi, toute la nuit, j’avais été hypnotisé par un pli du rideau ! Et pendant ce temps, des malfaiteurs… Rageusement, d’un élan que rien n’eût arrêté, je tournai la clef dans la serrure, j’ouvris ma porte, je traversai l’antichambre, j’ouvris une autre porte, et je me ruai dans la salle.

      Mais une stupeur me cloua sur le seuil, haletant, abasourdi, plus étonné encore que je ne l’avais été de l’absence de l’homme : rien n’avait disparu. Toutes les choses que je supposais enlevées : meubles, tableaux, vieux velours et vieilles soies, toutes ces choses étaient à leur place !

      Spectacle incompréhensible ! Je n’en croyais pas mes yeux ! Pourtant ce vacarme, ces bruits de déménagement ? Je fis le tour de la pièce, j’inspectai les murs, je dressai l’inventaire de tous ces objets que je connaissais si bien. Rien ne manquait ! Et ce qui me déconcertait le plus, c’est que rien non plus ne révélait le passage des malfaiteurs, aucun indice, pas une chaise dérangée, pas une trace de pas.

      « Voyons, voyons, me disais-je, en me prenant la tête à deux mains, je ne suis pourtant pas un fou ! J’ai bien entendu !… »

      Pouce pour pouce, avec les procédés d’investigation les plus minutieux, j’examinai la salle. Ce fut en vain. Ou plutôt… mais pouvais-je considérer cela comme une découverte ? Sous un petit tapis persan, jeté sur le parquet, je ramassai une carte, une carte à jouer. C’était un sept de cœur, pareil à tous les sept de cœur des jeux de cartes français, mais qui retint mon attention par un détail assez curieux. La pointe extrême de chacune des sept marques rouges en forme de cœur, était percée d’un trou, le trou rond et régulier qu’eût pratiqué l’extrémité d’un poinçon.

      Voilà