Que c’est la Mme de Réal du château de Crozon ? J’ai des preuves irréfutables. Mais… écoutez… le signal de Folenfant…
Un coup de sifflet avait retenti, Ganimard se leva vivement.
– Il n’y a pas de temps à perdre. Monsieur et madame de Crozon, veuillez passer dans la pièce voisine. Vous aussi, Monsieur d’Hautrec… et vous aussi Monsieur Gerbois… la porte restera ouverte et, au premier signal, je vous demanderai d’intervenir. Restez, chef, je vous en prie.
– Et s’il arrive d’autres personnes ? observa M. Dudouis.
– Non. Cet établissement est nouveau, et le patron qui est un de mes amis ne laissera monter âme qui vive… sauf la Dame blonde.
– La Dame blonde ! Que dites-vous ?
– La Dame blonde elle-même, chef, la complice et l’amie d’Arsène Lupin, la mystérieuse Dame blonde, contre qui j’ai des preuves certaines, mais contre qui je veux en outre, et devant vous, réunir les témoignages de tous ceux qu’elle a dépouillés.
Il se pencha par la fenêtre.
– Elle approche… elle entre… plus moyen qu’elle s’échappe : Folenfant et Dieuzy gardent la porte… la Dame blonde est à nous, chef !
Presque aussitôt, une femme s’arrêtait sur le seuil, grande, mince, le visage très pâle et les cheveux d’un or violent.
Une telle émotion suffoqua Ganimard qu’il demeura muet, incapable d’articuler le moindre mot. Elle était là, en face de lui, à sa disposition !
Quelle victoire sur Arsène Lupin ! Et quelle revanche ! Et en même temps cette victoire lui semblait remportée avec une telle aisance qu’il se demandait si la Dame blonde n’allait pas lui glisser entre les mains grâce à quelques-uns de ces miracles dont Lupin était coutumier.
Elle attendait cependant, surprise de ce silence, et regardait autour d’elle sans dissimuler son inquiétude.
– Elle va partir ! Elle va disparaître ! pensa Ganimard effaré.
Brusquement il s’interposa entre elle et la porte. Elle se retourna et voulut sortir.
– Non, non, fit-il, pourquoi vous éloigner ?
– Mais enfin, Monsieur, je ne comprends rien à ces manières. Laissez-moi…
– Il n’y a aucune raison pour que vous vous en alliez, madame, et beaucoup au contraire pour que vous restiez.
– Cependant…
– Inutile. Vous ne sortirez pas.
Toute pâle, elle s’affaissa sur une chaise et balbutia :
– Que voulezvous ?…
Ganimard était vainqueur. Il tenait la Dame blonde. Maître de lui, il articula :
– Je vous présente cet ami, dont je vous ai parlé, et qui serait désireux d’acheter des bijoux… et surtout des diamants. Vous êtes-vous procuré celui que vous m’aviez promis ?
– Non… non… je ne sais pas… je ne me rappelle pas.
– Mais si… cherchez bien… une personne de votre connaissance devait vous remettre un diamant teinté… « Quelque chose comme le diamant bleu », ai-je dit en riant, et vous m’avez répondu : « Précisément, j’aurai peut-être votre affaire. » Vous souvenez-vous ?
Elle se taisait. Un petit réticule qu’elle tenait à la main tomba. Elle le ramassa vivement et le serra contre elle. Ses doigts tremblaient un peu.
– Allons, dit Ganimard, je vois que vous n’avez pas confiance en nous, madame de Réal, je vais vous donner le bon exemple, et vous montrer ce que je possède, moi.
Il tira de son portefeuille un papier qu’il déplia, et tendit une mèche de cheveux.
– Voici d’abord quelques cheveux d’Antoinette Bréhat, arrachés par le Baron et recueillis dans la main du mort. J’ai vu Mlle Gerbois : elle a reconnu positivement la couleur des cheveux de la Dame blonde… la même couleur que les vôtres d’ailleurs… exactement la même couleur.
Mme Réal l’observait d’un air stupide, et comme si vraiment elle ne saisissait pas le sens de ses paroles. Il continua :
– Et maintenant voici deux flacons d’odeur, sans étiquette, il est vrai, et vides, mais encore assez imprégnés de leur odeur, pour que Mlle Gerbois ait pu, ce matin même, y distinguer le parfum de cette Dame blonde qui fut sa compagne de voyage durant deux semaines. Or l’un de ces flacons provient de la chambre que Mme de Réal occupait au château de Crozon, et l’autre de la chambre que vous occupiez à l’hôtel Beaurivage.
– Que dites-vous !… La Dame blonde… le château de Crozon…
Sans répondre, l’inspecteur aligna sur la table quatre feuilles.
– Enfin ! dit-il, voici, sur ces quatre feuilles, un spécimen de l’écriture d’Antoinette Bréhat, un autre de la dame qui écrivit au Baron Herschmann lors de la vente du diamant bleu, un autre de Mme de Réal, lors de son séjour à Crozon, et le quatrième… de vous-même, madame, … c’est votre nom et votre adresse, donnés par vous, au portier de l’hôtel Beaurivage à Trouville. Or, comparez les quatre écritures. Elles sont identiques.
– Mais vous êtes fou, Monsieur ! Vous êtes fou ! Que signifie tout cela ?
– Cela signifie, madame, s’écria Ganimard dans un grand mouvement, que la Dame blonde, l’amie et la complice d’Arsène Lupin, n’est autre que vous.
Il poussa la porte du salon voisin, se rua sur M. Gerbois, le bouscula par les épaules, et l’attirant devant Mme Réal :
– Monsieur Gerbois, reconnaissez-vous la personne qui enleva votre fille, et que vous avez vue chez Maître Detinan ?
– Non.
Il y eut comme une commotion dont chacun reçut le choc. Ganimard chancela.
– Non ?… Est-ce possible… voyons, réfléchissez…
– C’est tout réfléchi… madame est blonde comme la Dame blonde… pâle comme elle… mais elle ne lui ressemble pas du tout.
– Je ne puis croire… Une pareille erreur est inadmissible… Monsieur d’Hautrec, vous reconnaissez bien Antoinette Bréhat ?
– J’ai vu Antoinette Bréhat chez mon oncle… ce n’est pas elle.
– Et madame n’est pas non plus Mme de Réal, affirma le comte de Crozon.
C’était le coup de grâce. Ganimard en fut étourdi et ne broncha plus, la tête basse, les yeux fuyants. De toutes ses combinaisons il ne restait rien. L’édifice s’écroulait.
M. Dudouis se leva.
– Vous nous excuserez, madame, il y a là une confusion regrettable que je vous prie d’oublier. Mais ce que je ne saisis pas bien c’est votre trouble… votre attitude bizarre depuis que vous êtes ici.
– Mon Dieu, Monsieur, j’avais peur… il y a plus de cent mille francs de bijoux dans mon sac, et les manières de votre ami n’étaient guère rassurantes.
– Mais vos absences continuelles ?…
– N’est-ce pas mon métier qui l’exige ?
M. Dudouis n’avait rien à répondre. Il se tourna vers son subordonné.
– Vous avez pris vos informations avec une légèreté déplorable, Ganimard, et tout à l’heure vous vous êtes conduit envers madame de la façon la plus maladroite. Vous viendrez vous en expliquer dans mon cabinet.
L’entrevue était terminée, et le chef de la Sûreté se disposait à partir, quand il se passa un fait vraiment déconcertant. Mme Réal s’approcha de l’inspecteur