Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin


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      M. Lenormand lâcha l’appareil, sauta sur son chapeau, se précipita dans le couloir, rencontra Dieuzy et l’Allemand, et leur cria :

      – À six heures… rendez-vous ici…

      Il dégringola l’escalier, suivi de Gourel et de trois inspecteurs qu’il avait cueillis au passage, et s’engouffra dans son automobile.

      – À Garches… dix francs de pourboire. Un peu avant le parc de Villeneuve, au détour de la ruelle qui conduit à l’école, il fit stopper. Jean Doudeville, qui l’attendait, s’écria aussitôt :

      – Le coquin a filé par l’autre côté de la ruelle, il y a dix minutes.

      – Seul ?

      – Non, avec la jeune fille.

      M. Lenormand empoigna Doudeville au collet :

      – Misérable ! Tu l’as laissé partir ! Mais il fallait…

      – Mon frère est sur sa piste.

      – Belle avance ! Il le sèmera, ton frère. Est-ce que vous êtes de force ? Il prit lui-même la direction de l’auto et s’engagea résolument dans la ruelle, insouciant des ornières et des fourrés. Très vite, ils débouchèrent sur un chemin vicinal qui les conduisit à un carrefour où s’embranchaient cinq routes. Sans hésiter, M. Lenormand choisit la route de gauche, celle de Saint-Cucufa. De fait, au haut de la côte qui descend vers l’étang, ils dépassèrent l’autre frère Doudeville qui leur cria :

      – Ils sont en voiture… à un kilomètre.

      Le chef n’arrêta pas. Il lança l’auto dans la descente, brûla les virages, contourna l’étang et soudain jeta une exclamation de triomphe.

      Au sommet d’une petite montée qui se dressait au-devant d’eux, il avait vu la capote d’une voiture.

      Malheureusement, il s’était engagé sur une mauvaise route. Il dut faire machine arrière.

      Quand il fut revenu à l’embranchement, la voiture était encore là, arrêtée. Et, tout de suite, pendant qu’il virait, il aperçut une femme qui sautait de la voiture. Un homme apparut sur le marchepied. La femme allongea le bras. Deux détonations retentirent.

      Elle avait mal visé sans doute, car une tête surgit de l’autre côté de la capote, et l’homme, avisant l’automobile, cingla d’un grand coup de fouet son cheval qui partit au galop. Et aussitôt un tournant cacha la voiture.

      En quelques secondes, M. Lenormand acheva la manœuvre, piqua droit sur la montée, dépassa la jeune fille sans s’arrêter et, hardiment, tourna.

      C’était un chemin forestier qui descendait, abrupt et rocailleux, entre des bois épais, et qu’on ne pouvait suivre que très lentement, avec les plus grandes précautions. Mais qu’importait ! À vingt pas en avant, la voiture, une sorte de cabriolet à deux roues, dansait sur les pierres, traînée, retenue plutôt, par un cheval qui ne se risquait que prudemment et à pas comptés. Il n’y avait plus rien à craindre, la fuite était impossible.

      Et les deux véhicules roulèrent de haut en bas, cahotés et secoués. Un moment même, ils furent si près l’un de l’autre que M. Lenormand eut l’idée de mettre pied à terre et de courir avec ses hommes. Mais il sentit le péril qu’il y aurait à freiner sur une pente aussi brutale, et il continua, serrant l’ennemi de près, comme une proie que l’on tient à portée de son regard, à portée de sa main.

      – Ça y est… chef… ça y est !… murmuraient les inspecteurs, étreints par l’imprévu de cette chasse.

      En bas de la route s’amorçait un chemin qui se dirigeait vers la Seine, vers Bougival. Sur terrain plat, le cheval partit au petit trot, sans se presser, et en tenant le milieu de la voie.

      Un effort violent ébranla l’automobile. Elle eut l’air, plutôt que de rouler, d’agir par bonds ainsi qu’un fauve qui s’élance, et, se glissant le long du talus, prête à briser tous les obstacles, elle rattrapa la voiture, se mit à son niveau, la dépassa…

      Un juron de M. Lenormand… Des clameurs de rage… La voiture était vide !

      La voiture était vide. Le cheval s’en allait paisiblement, les rênes sur le dos, retournant sans doute à l’écurie de quelque auberge environnante où on l’avait pris en location pour la journée.

      étouffant sa colère, le chef de la Sûreté dit simplement :

      – Le major aura sauté pendant les quelques secondes où nous avons perdu de vue la voiture, au début de la descente.

      – Nous n’avons qu’à battre les bois, chef, et nous sommes sûrs…

      – De rentrer bredouilles. Le gaillard est loin, allez, et il n’est pas de ceux qu’on pince deux fois dans la même journée. Ah ! Crénom de crénom !

      Ils rejoignirent la jeune fille qu’ils trouvèrent en compagnie de Jacques Doudeville, et qui ne paraissait nullement se ressentir de son aventure.

      M. Lenormand, s’étant fait connaître, s’offrit à la ramener chez elle, et, tout de suite, il l’interrogea sur le major anglais Parbury. Elle s’étonna :

      – Il n’est ni major ni anglais, et il ne s’appelle pas Parbury.

      – Alors il s’appelle ?

      – Juan Ribeira, il est espagnol, et chargé par son Gouvernement d’étudier le fonctionnement des écoles françaises.

      – Soit. Son nom et sa nationalité n’ont pas d’importance. C’est bien celui que nous cherchons. Il y a longtemps que vous le connaissez ?

      – Une quinzaine de jours. Il avait entendu parler d’une école que j’ai fondée à Garches, et il s’intéressait à ma tentative, au point de me proposer une subvention annuelle à la seule condition qu’il pût venir de temps à autre constater les progrès de mes élèves. Je n’avais pas le droit de refuser.

      – Non, évidemment, mais il fallait consulter autour de vous… N’êtes-vous pas en relation avec le prince Sernine ? C’est un homme de bon conseil.

      – Oh ! J’ai toute confiance en lui, mais actuellement il est en voyage.

      – Vous n’aviez pas son adresse ?

      – Non. Et puis, que lui aurais-je dit ? Ce monsieur se conduisait fort bien. Ce n’est qu’aujourd’hui… Mais je ne sais…

      – Je vous en prie, mademoiselle, parlez-moi franchement… En moi aussi vous pouvez avoir confiance.

      – Eh bien, M. Ribeira est venu tantôt. Il m’a dit qu’il était envoyé par une dame française de passage à Bougival, que cette dame avait une petite fille dont elle désirait me confier l’éducation, et qu’elle me priait de venir sans retard. La chose me parut toute naturelle. Et comme c’est aujourd’hui congé, comme M. Ribeira avait loué une voiture qui l’attendait au bout du chemin, je ne fis point de difficulté pour y prendre place.

      – Mais enfin, quel était son but ? Elle rougit et prononça :

      – M’enlever tout simplement. Au bout d’une demi-heure il me l’avouait.

      – Vous ne savez rien sur lui ?

      – Non.

      – Il demeure à Paris ?

      – Je le suppose.

      – Il ne vous a pas écrit ? Vous n’avez pas quelques lignes de sa main, un objet oublié, un indice qui puisse nous servir ?

      – Aucune indice… Ah ! Cependant… mais cela n’a sans doute aucune importance…

      – Parlez !… parlez !… je vous en prie.

      –