Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin


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Il vous semble mal, mon cher monsieur Leduc. Ou c’est alors que votre mémoire est bien affaiblie. Rappelez-vous Versailles… la petite chambre de l’hôtel des Trois-Empereurs…

      – Vous !

      Le jeune homme avait bondi en arrière, avec épouvante.

      – Mon Dieu, oui, moi, le prince Sernine, ou plutôt Lupin, puisque vous savez mon vrai nom ! Pensiez-vous donc que Lupin avait trépassé ? Ah ! Oui, je comprends, la prison… vous espériez… Enfant, va !

      Il lui tapota doucement l’épaule.

      – Voyons, jeune homme, remettons-nous, nous avons encore quelques bonnes journées paisibles à faire des vers. L’heure n’est pas encore venue. Fais des vers, poète !

      Il lui étreignit le bras violemment, et lui dit, face à face :

      – Mais l’heure approche, poète. N’oublie pas que tu m’appartiens, corps et âme. Et prépare-toi à jouer ton rôle. Il sera rude et magnifique. Et par Dieu, tu me parais vraiment l’homme de ce rôle !

      Il éclata de rire, fit une pirouette, et laissa le jeune Leduc abasourdi.

      Il y avait plus loin, au coin de la rue de la Pompe, le débit de vins dont lui avait parlé Mme Kesselbach. Il entra et causa longuement avec le patron. Puis il prit une auto et se fit conduire au Grand-Hôtel, où il habitait sous le nom d’André Beauny.

      Les frères Doudeville l’y attendaient.

      Bien que blasé sur ces sortes de jouissances, Lupin n’en goûta pas moins les témoignages d’admiration et de dévouement dont ses amis l’accablèrent.

      – Enfin, patron, expliquez-nous… Que s’est-il passé ? Avec vous, nous sommes habitués aux prodiges… mais, tout de même, il y a des limites… Alors, vous êtes libre ? Et vous voilà ici, au cœur de Paris, à peine déguisé.

      – Un cigare ? offrit Lupin.

      – Merci… non.

      – Tu as tort, Doudeville. Ceux-là sont estimables. Je les tiens d’un fin connaisseur, qui se targue d’être mon ami.

      – Ah ! Peut-on savoir ?

      – Le Kaiser… Allons, ne faites pas ces têtes d’abrutis, et mettez-moi au courant, je n’ai pas lu de journaux. Mon évasion, quel effet dans le public ?

      – Foudroyant, patron !

      – La version de la police ?

      – Votre fuite aurait eu lieu à Garches, pendant une reconstitution de l’assassinat d’Altenheim. Par malheur, les journalistes ont prouvé que c’était impossible.

      – Alors ?

      – Alors, c’est l’ahurissement. On cherche, on rit, et l’on s’amuse beaucoup.

      – Weber ?

      – Weber est fort compromis.

      – En dehors de cela, rien de nouveau au service de la Sûreté ? Aucune découverte sur l’assassin ? Pas d’indice qui nous permette d’établir l’identité d’Altenheim ?

      – Non.

      – C’est un peu raide ! Quand on pense que nous payons des millions par an pour nourrir ces gens-là. Si ça continue, je refuse de payer mes contributions. Prends un siège et une plume. Tu porteras cette lettre ce soir au Grand Journal. Il y a longtemps que l’univers n’a plus de mes nouvelles. Il doit haleter d’impatience. écris :

      « Monsieur le Directeur,

      « Je m’excuse auprès du public dont la légitime impatience sera déçue.

      « Je me suis évadé de prison, et il m’est impossible de dévoiler comment je me suis évadé. De même, depuis mon évasion, j’ai découvert le fameux secret, et il m’est impossible de dire quel est ce secret et comment je l’ai découvert.

      « Tout cela fera, un jour ou l’autre, l’objet d’un récit quelque peu original que publiera, d’après mes notes, mon biographe ordinaire. C’est une page de l’Histoire de France que nos petits-enfants ne liront pas sans intérêt.

      « Pour l’instant, j’ai mieux à faire. Révolté de voir en quelles mains sont tombées les fonctions que j’exerçais, las de constater que l’affaire Kesselbach-Altenheim en est toujours au même point, je destitue M. Weber, et je reprends le poste d’honneur que j’occupais, avec tant d’éclat, et à la satisfaction générale, sous le nom de M. Lenormand.

      « Arsène LUPIN, Chef de la Sûreté. »

      – 2 –

      À huit heures du soir, Arsène Lupin et Doudeville faisaient leur entrée chez Caillard, le restaurant à la mode ; Lupin, serré dans son frac, mais avec le pantalon un peu trop large de l’artiste et la cravate un peu trop lâche ; Doudeville en redingote, la tenue et l’air grave d’un magistrat.

      Ils choisirent la partie du restaurant qui est en renfoncement et que deux colonnes séparent de la grande salle.

      Un maître d’hôtel, correct et dédaigneux, attendit les ordres, un carnet à la main. Lupin commanda avec une minutie et une recherche de fin gourmet.

      – Certes, dit-il, l’ordinaire de la prison était acceptable, mais tout de même ça fait plaisir, un repas soigné.

      Il mangea de bon appétit et silencieusement, se contentant parfois de prononcer une courte phrase qui indiquait la suite de ses préoccupations.

      – évidemment, ça s’arrangera… mais ce sera dur… Quel adversaire !… Ce qui m’épate, c’est que, après six mois de lutte, je ne sache même pas ce qu’il veut !… Le principal complice est mort, nous touchons au terme de la bataille, et pourtant je ne vois pas plus clair dans son jeu… Que cherche-t-il, le misérable ?… Moi, mon plan est net : mettre la main sur le grand-duché, flanquer sur le trône un grand-duc de ma composition, lui donner Geneviève comme épouse… et régner. Voilà qui est limpide, honnête et loyal. Mais, lui, l’ignoble personnage, cette larve des ténèbres, à quel but veut-il atteindre ?

      Il appela :

      – Garçon !

      Le maître d’hôtel s’approcha.

      – Monsieur désire ?

      – Les cigares.

      Le maître d’hôtel revint et ouvrit plusieurs boîtes.

      – Qu’est-ce que vous me conseillez ? dit Lupin.

      – Voici des Upman excellents.

      Lupin offrit un Upman à Doudeville, en prit un pour lui, et le coupa. Le maître d’hôtel fit flamber une allumette et la présenta. Vivement Lupin lui saisit le poignet.

      – Pas un mot… je te connais… tu t’appelles de ton vrai nom Dominique Lecas…

      L’homme, qui était gros et fort, voulut se dégager. Il étouffa un cri de douleur. Lupin lui avait tordu le poignet.

      – Tu t’appelles Dominique… tu habites rue de la Pompe au quatrième étage, où tu t’es retiré avec une petite fortune acquise au service – mais écoute donc, imbécile, ou je te casse les os – acquise au service du baron Altenheim, chez qui tu étais maître d’hôtel.

      L’autre s’immobilisa, le visage blême de peur.

      Autour d’eux la petite salle était vide. À côté, dans le restaurant, trois messieurs fumaient, et deux couples devisaient en buvant des liqueurs.

      – Tu vois, nous sommes tranquilles… on peut causer.

      – Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ?

      –