un refrain de café-concert.
Une heure s’écoula de la sorte. Lupin commençait à s’inquiéter, sans se résoudre pourtant à partir.
Des minutes encore passèrent, une demi-heure, une heure…
Enfin, l’homme dit à haute voix :
– Entre.
Un des bandits se glissa dans la remise, et, coup sur coup, il en arriva un troisième, un quatrième…
– Nous sommes au complet, dit le Brocanteur. Dieudonné et le Joufflu nous rejoignent là-bas. Allons, pas de temps à perdre… Vous êtes armés ?
– Jusqu’à la gauche.
– Tant mieux. Ce sera chaud.
– Comment sais-tu ça, le Brocanteur ?
– J’ai vu le chef… Quand je dis que je l’ai vu… Non… Enfin, il m’a parlé…
– Oui, fit un des hommes, dans l’ombre, comme toujours, au coin d’une rue. Ah ! J’aimais mieux les façons d’Altenheim. Au moins, on savait ce qu’on faisait.
– Ne le sais-tu pas ? riposta le Brocanteur… On cambriole le domicile de la Kesselbach.
– Et les deux gardiens ? Les deux bonshommes qu’à postés Lupin ?
– Tant pis pour eux. Nous sommes sept. Ils n’auront qu’à se taire.
– Et la Kesselbach ?
– Le bâillon d’abord, puis la corde, et on l’amène ici… Tiens, sur ce vieux canapé… Là, on attendra les ordres.
– C’est bien payé ?
– Les bijoux de la Kesselbach, d’abord.
– Oui, si ça réussit, mais je parle du certain.
– Trois billets de cent francs, d’avance, pour chacun de nous. Le double après.
– Tu as l’argent ?
– Oui.
– À la bonne heure. On peut dire ce qu’on voudra, n’empêche que, pour ce qui est du paiement, il n’y en a pas deux comme ce type-là. Et, d’une voix si basse que Lupin la perçut à peine :
– Dis donc, le Brocanteur, si on est forcé de jouer du couteau, il y a une prime ?
– Toujours la même. Deux mille.
– Si c’est Lupin ?
– Trois mille.
– Ah ! Si nous pouvions l’avoir, celui-là.
Les uns après les autres ils quittèrent la remise.
Lupin entendit encore ces mots du Brocanteur :
– Voilà le plan d’attaque. On se sépare en trois groupes. Un coup de sifflet, et chacun va de l’avant…
En hâte Lupin sortit de sa cachette, descendit l’échelle, contourna le pavillon sans y entrer, et repassa pardessus la grille.
– Le Brocanteur a raison, ça va chauffer… Ah ! C’est à ma peau qu’ils en veulent ! Une prime pour Lupin ! Les canailles ! Il franchit l’octroi et sauta dans un taxi-auto.
– Rue Raynouard.
Il se fit arrêter à trois cents pas de la rue des Vignes et marcha jusqu’à l’angle des deux rues.
À sa grande stupeur, Doudeville n’était pas là.
« Bizarre, se dit Lupin, il est plus de minuit pourtant… Ça me semble louche, cette affaire-là. »
Il patienta dix minutes, vingt minutes. À minuit et demi, personne. Un retard devenait dangereux. Après tout, si Doudeville et ses amis n’avaient pu venir, Charolais, son fils, et lui, Lupin, suffiraient à repousser l’attaque, sans compter l’aide des domestiques.
Il avança donc. Mais deux hommes lui apparurent qui cherchaient à se dissimuler dans l’ombre d’un renfoncement.
« Bigre, se dit-il, c’est l’avant-garde de la bande, Dieudonné et le Joufflu. Je me suis laissé bêtement distancer. »
Là, il perdit encore du temps. Marcherait-il droit sur eux pour les mettre hors de combat et pour pénétrer ensuite dans la maison par la fenêtre de l’office, qu’il savait libre ? C’était le parti le plus prudent, qui lui permettait en outre d’emmener immédiatement Mme Kesselbach et de la mettre hors de cause.
Oui, mais c’était aussi l’échec de son plan, et c’était manquer cette unique occasion de prendre au piège la bande entière, et, sans aucun doute aussi, Louis de Malreich.
Soudain un coup de sifflet vibra quelque part, de l’autre côté de la maison.
étaient-ce les autres, déjà ? Et une contre-attaque allait-elle se produire par le jardin ?
Mais, au signal donné, les deux hommes avaient enjambé la fenêtre. Ils disparurent.
Lupin bondit, escalada le balcon et sauta dans l’office. Au bruit des pas, il jugea que les assaillants étaient passés dans le jardin, et ce bruit était si net qu’il fut tranquille. Charolais et son fils ne pouvaient pas ne pas avoir entendu.
Il monta donc. La chambre de Mme Kesselbach se trouvait sur le palier. Vivement il entra.
À la clarté d’une veilleuse, il aperçut Dolorès, sur un divan, évanouie. Il se précipita sur elle, la souleva, et, d’une voix impérieuse, l’obligeant de répondre :
– écoutez… Charolais ? Son fils ?… Où sont-ils ?
Elle balbutia :
– Comment ?… mais… partis…
– Quoi ! Partis !
– Vous m’avez écrit il y a une heure, un message téléphonique… Il ramassa près d’elle un papier bleu et lut :
Renvoyez immédiatement les deux gardiens… et tous mes hommes… je les attends au Grand-Hôtel. Soyez sans crainte.
– Tonnerre ! Et vous avez cru ! Mais vos domestiques ?
– Partis.
Il s’approcha de la fenêtre. Dehors, trois hommes venaient de l’extrémité du jardin.
Par la fenêtre de la chambre voisine, qui donnait sur la rue, il en vit deux autres, dehors.
Et il songea à Dieudonné, au Joufflu, à Louis de Malreich surtout, qui devait rôder invisible et formidable.
– Bigre, murmura-t-il, je commence à croire que je suis fichu.
7
L’homme noir
– 1 –
En cet instant, Arsène Lupin eut l’impression, la certitude, qu’il avait été attiré dans un guet-apens, par des moyens qu’il n’avait pas le loisir de discerner, mais dont il devinait l’habileté et l’adresse prodigieuses.
Tout était combiné, tout était voulu : l’éloignement de ses hommes, la disparition ou la trahison des domestiques, sa présence même dans la maison de Mme Kesselbach.
évidemment tout cela avait réussi au gré de l’ennemi, grâce à des circonstances heureuses jusqu’au miracle – car enfin il aurait pu survenir avant que le faux message ne fît partir ses amis. Mais alors c’était la bataille de sa bande à lui contre la bande Altenheim. Et Lupin, se rappelant la conduite