semblait absent de lui-même. Il n’était pas là, mais ailleurs. Et si peu soucieux de répondre !
– Je m’appelle Léon Massier.
Telle fut l’unique phrase dans laquelle il se renferma.
Et Lupin ripostait :
– Tu mens. Léon Massier, né à Périgueux, orphelin à l’âge de dix ans, est mort il y a sept ans. Tu as pris ses papiers. Mais tu oublies son acte de décès. Le voilà.
Et Lupin envoya au Parquet une copie de l’acte.
– Je suis Léon Massier, affirmait de nouveau le prévenu.
– Tu mens, répliquait Lupin, tu es Louis de Malreich, le dernier descendant d’un petit noble établi en Allemagne au XVIIIe siècle. Tu avais un frère, qui tour à tour s’est fait appeler Parbury, Ribeira et Altenheim : ce frère, tu l’as tué. Tu avais une sœur, Isilda de Malreich : cette sœur, tu l’as tuée.
– Je suis Léon Massier.
– Tu mens. Tu es Malreich. Voilà ton acte de naissance. Voici celui de ton frère, celui de ta sœur.
Et les trois actes, Lupin les envoya.
D’ailleurs, sauf en ce qui concernait son identité, Malreich ne se défendait pas, écrasé sans doute sous l’accumulation des preuves que l’on relevait contre lui. Que pouvait-il dire ? On possédait quarante billets écrits de sa main – la comparaison des écritures le démontra -, écrits de sa main à la bande de ses complices, et qu’il avait négligé de déchirer, après les avoir repris.
Et tous ces billets étaient des ordres visant l’affaire Kesselbach, l’enlèvement de M. Lenormand et de Gourel, la poursuite du vieux Steinweg, l’établissement des souterrains de Garches, etc. était-il possible de nier ?
Une chose assez bizarre déconcerta la justice. Confrontés avec leur chef, les sept bandits affirmèrent tous qu’ils ne le connaissaient point. Ils ne l’avaient jamais vu. Ils recevaient ses instructions, soit par téléphone, soit dans l’ombre, au moyen précisément de ces petits billets que Malreich leur transmettait rapidement, sans un mot.
Mais, du reste, la communication entre le pavillon de la rue Delaizement et la remise du Brocanteur n’était-elle pas une preuve suffisante de complicité ? De là, Malreich voyait et entendait. De là, le chef surveillait ses hommes.
Les contradictions ? Les faits en apparence inconciliables ? Lupin expliqua tout. Dans un article célèbre, publié le matin du procès, il prit l’affaire à son début, en révéla les dessous, en débrouilla l’écheveau, montra Malreich habitant, à l’insu de tous, la chambre de son frère, le faux major Parbury, allant et venant, invisible, par les couloirs du Palace-Hôtel, et assassinant Kesselbach, assassinant le garçon d’hôtel, assassinant le secrétaire Chapman.
On se rappelle les débats. Ils furent terrifiants à la fois et mornes ; terrifiants par l’atmosphère d’angoisse qui pesa sur la foule et par les souvenirs de crime et de sang qui obsédaient les mémoires ; mornes, lourds, obscurs, étouffants, par suite du silence formidable que garda l’accusé.
Pas une révolte. Pas un mouvement. Pas un mot.
Figure de cire, qui ne voyait pas et qui n’entendait pas ! Vision effrayante de calme et d’impassibilité ! Dans la salle on frissonnait. Les imaginations affolées, plutôt qu’un homme, évoquaient une sorte d’être surnaturel, un génie des légendes orientales, un de ces dieux de l’Inde qui sont le symbole de tout ce qui est féroce, cruel, sanguinaire et destructeur.
Quant aux autres bandits, on ne les regardait même pas, comparses insignifiants qui se perdaient dans l’ombre de ce chef démesuré.
La déposition la plus émouvante fut celle de Mme Kesselbach. À l’étonnement de tous, et à la surprise même de Lupin, Dolorès qui n’avait répondu à aucune des convocations du juge, et dont on ignorait la retraite, Dolorès apparut, veuve douloureuse, pour apporter un témoignage irrécusable contre l’assassin de son mari.
Elle dit simplement, après l’avoir regardé longtemps :
– C’est celui-là qui a pénétré dans ma maison de la rue des Vignes, c’est lui qui m’a enlevée, et c’est lui qui m’a enfermée dans la remise du Brocanteur. Je le reconnais.
– Vous l’affirmez ?
– Je le jure devant Dieu et devant les hommes.
Le surlendemain, Louis de Malreich, dit Léon Massier, était condamné à mort. Et sa personnalité absorbait tellement, pourrait-on dire, celle de ses complices que ceux-ci bénéficièrent des circonstances atténuantes.
– Louis de Malreich, vous n’avez rien à dire ? demanda le Président des assises.
Il ne répondit pas.
Une seule question resta obscure aux yeux de Lupin. Pourquoi Malreich avait-il commis tous ces crimes ? Que voulait-il ? Quel était son but ?
Lupin ne devait pas tarder à l’apprendre et le jour était proche où, tout pantelant d’horreur, frappé de désespoir, mortellement atteint, le jour était proche où il allait savoir l’épouvantable vérité.
Pour le moment, sans que l’idée néanmoins cessât de l’effleurer, il ne s’occupa plus de l’affaire Malreich. Résolu à faire peau neuve, comme il disait, rassuré d’autre part sur le sort de Mme Kesselbach et de Geneviève, dont il suivait de loin l’existence paisible, et enfin tenu au courant par Jean Doudeville qu’il avait envoyé à Veldenz, tenu au courant de toutes les négociations qui se poursuivaient entre la Cour d’Allemagne et la Régence de Deux-Ponts-Veldenz, il employait, lui, tout son temps à liquider le passé et à préparer l’avenir.
L’idée de la vie différente qu’il voulait mener sous les yeux de Mme Kesselbach l’agitait d’ambitions nouvelles et de sentiments imprévus, où l’image de Dolorès se trouvait mêlée sans qu’il s’en rendît un compte exact.
En quelques semaines, il supprima toutes les preuves qui auraient pu un jour le compromettre, toutes les traces qui auraient pu conduire jusqu’à lui. Il donna à chacun de ses anciens compagnons une somme d’argent suffisante pour les mettre à l’abri du besoin, et il leur dit adieu en leur annonçant qu’il partait pour l’Amérique du Sud.
Un matin, après une nuit de réflexions minutieuses et une étude approfondie de la situation, il s’écria :
– C’est fini. Plus rien à craindre. Le vieux Lupin est mort. Place au jeune.
On lui apporta une dépêche d’Allemagne. C’était le dénouement attendu. Le Conseil de Régence, fortement influencé par la Cour de Berlin, avait soumis la question aux électeurs du grand-duché, et les électeurs, fortement influencés par le Conseil de Régence, avaient affirmé leur attachement inébranlable à la vieille dynastie des Veldenz. Le comte Waldemar était chargé, ainsi que trois délégués de la noblesse, de l’armée et de la magistrature, d’aller au château de Bruggen, d’établir rigoureusement l’identité du grand-duc Hermann IV, et de prendre avec Son Altesse toutes dispositions relatives à son entrée triomphale dans la principauté de ses pères, entrée qui aurait lieu vers le début du mois suivant.
– Cette fois, ça y est, se dit Lupin, le grand projet de M. Kesselbach se réalise. Il ne reste plus qu’à faire avaler mon Pierre Leduc au Waldemar. Jeu d’enfant ! Demain les bans de Geneviève et de Pierre seront publiés. Et c’est la fiancée du grand-duc que l’on présentera à Waldemar !
Et, tout heureux, il partit en automobile pour le château de Bruggen. Il chantait dans sa voiture, il sifflait, il interpellait son chauffeur.
– Octave, sais-tu qui tu as l’honneur de conduire ? Le maître du monde… Oui, mon vieux, ça t’épate, hein ? Parfaitement, c’est la vérité. Je suis le maître du monde.