Гастон Леру

Le fauteuil hanté


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Lalouette se trouva séparé des professeurs par un grand remous de foule. C'étaient les amis de Maxime d'Aulnay qui, après lui avoir fait escorte et l'avoir embrassé avec émotion, essayaient de pénétrer dans la salle des séances publiques. Ce fut un beau tapage, car leurs cartes d'entrée ne leur servirent de rien. Certains d'entre eux qui avaient pris la sage précaution de se faire retenir leurs places par des gens à gages, en furent pour leurs frais, car ceux qui étaient venus pour les autres restèrent pour eux-mêmes. La curiosité, plus forte que leur intérêt, les cloua à demeure. Cependant, comme M. Lalouette se trouvait acculé entre les griffes pacifiques du lion de pierre qui veille au seuil de l'Immortalité, un commissionnaire lui tint ce langage:

      —Si vous voulez entrer monsieur, c'est vingt francs!

      M. Gaspard Lalouette, tout marchand de bric-à-brac et de tableaux qu'il était, avait un grand respect pour les lettres.

      Lui-même était auteur. Il avait publié deux ouvrages qui étaient l'orgueil de sa vie, l'un sur les signatures des peintres célèbres et sur les moyens de reconnaître l'authenticité de leurs œuvres, l'autre sur l'art de l'encadrement, à la suite de quoi il avait été nommé officier d'Académie; mais jamais il n'était entré à l'Académie, et surtout jamais l'idée qu'il avait pu se faire d'une séance publique à l'Académie n'avait concordé avec tout ce qu'il venait d'entendre et de voir depuis un quart d'heure. Jamais, par exemple, il n'eût pensé qu'il fût si utile, pour prononcer un discours de réception, d'être veuf, sans enfants, de n'avoir peur de rien et d'avoir fait son testament. Il donna ses vingt francs et, à travers mille horions, se vit installé tant bien que mal dans une tribune où tout le monde était debout, regardant dans la salle.

      C'était Maxime d'Aulnay qui entrait.

      Il entrait un peu pâle, flanqué de ses deux parrains, M. le comte de Bray et le professeur Palaiseaux, plus pâles que lui.

      Un long frisson secoua l'assemblée. Les femmes qui étaient nombreuses et de choix ne purent retenir un mouvement d'admiration et de pitié. Une pieuse douairière se signa.

      Sur tous les gradins on s'était levé, car toute cette émotion était infiniment respectueuse, comme devant la mort qui passe.

      Arrivé à sa place, le récipiendaire s'était assis entre ses deux gardes du corps, puis il releva la tête et promena un regard ferme sur ses collègues, l'assistance, le bureau et aussi sur la figure attristée du membre de l'illustre assemblée chargé de le recevoir.

      A l'ordinaire, ce dernier personnage apporte à cette sorte de cérémonie une physionomie féroce, présage de toutes les tortures littéraires qu'il a préparées à l'ombre de son discours. Ce jour-là, il avait la mine compatissante du confesseur qui vient assister le patient à ses derniers moments.

      M. Lalouette, tout en considérant attentivement le spectacle de cette tribu habillée de feuilles de chêne, ne perdait pas un mot de ce qui se disait autour de lui. On disait:

      —Ce pauvre Jehan Mortimar était beau et jeune, comme lui!

      —Et si heureux d'avoir été élu!

      —Vous rappelez-vous quand il s'est levé pour prononcer son discours?

      —Il semblait rayonner... Il était plein de vie...

      —On aura beau dire, ça n'est pas une mort naturelle...

      —Non, ça n'est pas une mort naturelle...

      M. Gaspard Lalouette ne put en entendre davantage sans se retourner vers son voisin pour lui demander de quelle mort on parlait là, et il reconnut que celui à qui il s'adressait n'était autre que le professeur qui, tout à l'heure, l'avait renseigné déjà, d'une façon un peu bourrue. Cette fois encore, le professeur ne prit pas de gants:

      —Vous ne lisez donc pas les journaux, monsieur?

      Eh bien, non, M. Lalouette ne lisait pas les journaux! Il y avait à cela une raison que nous aurons l'occasion de dire plus tard et que M. Lalouette ne criait pas par-dessus les toits. Seulement, à cause qu'il ne lisait pas les journaux, le mystère dans lequel il était entré en pénétrant, pour vingt francs, sous la voûte de l'Institut, s'épaississait à chaque instant davantage. C'est ainsi qu'il ne comprit rien à l'espèce de protestation qui s'éleva quand une noble dame, que chacun dénommait: la belle Mme de Bithynie, entra dans la loge qui lui avait été réservée. On trouvait généralement qu'elle avait un joli toupet. Mais encore M. Lalouette ne sut pas pourquoi.

      Cette dame considéra l'assistance avec une froide arrogance, adressa quelques paroles brèves à de jeunes personnes qui l'accompagnaient et fixa de son face-à-main M. Maxime d'Aulnay.

      —Elle va lui porter malheur! s'écria quelqu'un.

      Et la rumeur publique répéta:

      —Oui, oui, elle va lui porter malheur!...

      M. Lalouette demanda:

      —Pourquoi va-t-elle lui porter malheur?

      Mais personne ne lui répondit. Tout ce qu'il put apprendre d'à peu près certain, c'est que l'homme qui était là-bas, prêt à prononcer un discours, s'appelait Maxime d'Aulnay, qu'il était capitaine de vaisseau, qu'il avait écrit un livre intitulé: «Voyage autour de ma cabine», et qu'il avait été élu au fauteuil occupé naguère par Mgr d'Abbeville. Et puis le mystère recommença avec des cris, des gestes de fous. Le public, dans les tribunes, se soulevait, et criait des choses comme celle-ci:

      —Comme l'autre!... N'ouvrez pas!... Ah! la lettre!... comme l'autre!... comme l'autre!... Ne lisez pas!...

      M. Lalouette se pencha et vit un appariteur qui apportait une lettre à Maxime d'Aulnay. L'apparition de cet appariteur et de cette lettre semblait avoir mis l'assemblée hors d'elle.

      Seuls les membres du bureau s'efforçaient de garder leur sang-froid, mais il était visible que M. Hippolyte Patard, le sympathique secrétaire perpétuel, tremblait de toutes ses feuilles de chêne.

      Quant à Maxime d'Aulnay, il s'était levé, avait pris des mains de l'appariteur la lettre et l'avait décachetée. Il souriait à toutes les clameurs. Et puisque la séance n'était pas encore ouverte, à cause que l'on attendait M. le chancelier, il lut, et il sourit. Alors, dans les tribunes, chacun reprit:

      —Il sourit!... Il sourit!... L'autre aussi a souri!

      Maxime d'Aulnay avait passé la lettre à ses parrains, qui, eux, ne souriaient pas. Le texte de la lettre fut bientôt dans toutes les bouches et comme il faisait, de bouche en oreille et d'oreille en bouche, le tour de la salle, M. Lalouette apprit ce que contenait la lettre: «Il y a des voyages plus dangereux que ceux que l'on fait autour de sa cabine!» Ce texte semblait devoir porter à son comble l'émoi de la salle, quand on entendit la voix glacée du président annoncer après quelques coups de sonnette, que la séance était ouverte. Un silence tragique pesa immédiatement sur l'assistance.

      Mais Maxime d'Aulnay était déjà debout, plus que brave, hardi!

      Et le voilà qui commence de lire son discours.

      Il le lit d'une voix profonde, sonore. Il remercie d'abord, sans bassesse, la Compagnie qui lui fait l'honneur de l'accueillir; puis, après une brève allusion à un deuil qui est venu frapper récemment l'Académie jusque dans son enceinte, il parle de Mgr d'Abbeville.

      Il parle... il parle...

      A côté de M. Gaspard Lalouette, le professeur murmure entre ses dents cette phrase que M. Lalouette crut, à tort du reste, inspirée par la longueur du discours: «Il dure plus longtemps que l'autre!...» Il parle et il semble que l'assistance, à mesure qu'il parle, respire mieux. On entend des soupirs, des femmes se sourient comme si elles se retrouvaient après un gros danger...

      Il parle et nul incident imprévu ne vient l'interrompre...

      Il arrive à la fin de l'éloge de Mgr d'Abbeville, il s'anime. Il s'échauffe quand, à l'occasion des