Гастон Леру

Le fauteuil hanté


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humaine...

      Le geste du nouvel académicien prend une ampleur inusitée comme pour frapper, pour fustiger à son tour, cette science, île de l'impiété et de l'orgueil!... Et dans un élan admirable qui, certes! n'a rien d'académique, mais qui n'en est que plus beau, car il est bien d'un marin de la vieille école, Maxime d'Aulnay s'écrie:

      —Il y a six mille ans, messieurs, que la vengeance divine a enchaîné Prométhée sur son rocher! Aussi, je ne suis pas de ceux qui redoutent la foudre des hommes. Je ne crains que le tonnerre de Dieu!

      Le malheureux avait à peine fini de prononcer ces derniers mots qu'on le vit chanceler, porter d'un geste désespéré la main au visage, puis s'abattre, telle une masse.

      Une clameur d'épouvante monta sous la Coupole... Les académiciens se précipitèrent... On se pencha sur le corps inerte...

      Maxime d'Aulnay était mort!

      Et l'on eut toutes les peines du monde à faire évacuer la salle.

      Mort comme était mort deux mois auparavant, en pleine séance de réception, Jehan Mortimar, le poète des Parfums tragiques, le premier élu à la succession de Mgr d'Abbeville.

      Lui aussi avait reçu une lettre de menaces, apportée à l'Institut par un commissionnaire que l'on ne retrouva jamais, lettre où il avait lu:

      «Les Parfums sont quelquefois plus tragiques qu'on ne le pense», et lui aussi, quelques minutes après, avait culbuté: voici ce qu'apprit enfin, d'une façon un peu précise, M. Gaspard Lalouette, en écoutant d'une oreille avide les propos affolés que tenait cette foule qui tout à l'heure emplissait la salle publique de l'Institut et qui venait d'être jetée sur les quais dans un désarroi inexprimable. Il eût voulu en savoir plus long et connaître au moins la raison pour laquelle, Jehan Mortimar étant mort, on avait tant redouté le décès de Maxime d'Aulnay. Il entendit bien parler d'une vengeance, mais dans des termes si absurdes qu'il n'y attacha point d'importance. Cependant il crut devoir demander par acquit de conscience, le nom de celui qui aurait eu à se venger dans des conditions aussi nouvelles; alors on lui sortit une si bizarre énumération de vocables qu'il pensa qu'on se moquait de lui. Et, comme la nuit était proche, car on était en hiver, il se décida à rentrer chez lui, traversant le pont des Arts où quelques académiciens attardés et leurs invités, profondément émus par la terrible coïncidence de ces deux fins sinistres, se hâtaient vers leurs demeures.

      Tout de même, M. Gaspard Lalouette, au moment de disparaître dans l'ombre qui s'épaississait déjà aux guichets de la place du Carrousel, se ravisa. Il arrêta l'un de ces messieurs qui descendait du pont des Arts et qui, avec son allure énervée, semblait encore tout agité par l'événement. Il lui demanda:

      —Enfin! monsieur! sait-on de quoi il est mort?

      —Les médecins disent qu'il est mort de la rupture d'un anévrisme.

      —Et l'autre, monsieur de quoi était-il mort?

      —Les médecins ont dit: d'une congestion cérébrale!...

      Alors une ombre s'avança entre les deux interlocuteurs et dit:

      —Tout ça, c'est des blagues!... Ils sont morts tous deux parce qu'ils ont voulu s'asseoir sur le Fauteuil hanté!

      M. Lalouette tenta de retenir cette ombre par l'ombre de sa jaquette, mais elle avait déjà disparu...

      Il rentra chez lui, pensif...

       Table des matières

      Le lendemain de ce jour néfaste, M. le secrétaire perpétuel Hippolyte Patard pénétra sous la voûte de l'Institut sur le coup d'une heure. Le concierge était sur le seuil de sa loge. Il tendit son courrier à M. le secrétaire perpétuel et lui dit:

      —Vous voilà bien en avance aujourd'hui, monsieur le secrétaire perpétuel, personne n'est encore arrivé.

      M. Hippolyte Patard prit son courrier qui était assez volumineux, des mains du concierge, et se disposa à continuer son chemin, sans dire un mot au digne homme.

      Celui-ci s'en étonna.

      —Monsieur le secrétaire perpétuel a l'air bien préoccupé.

      Du reste, tout le monde est bouleversé ici, après une pareille histoire!

      Mais M. Hippolyte Patard ne se détourna même pas.

      Le concierge eut le tort d'ajouter:

      —Est-ce que monsieur le secrétaire perpétuel a lu ce matin l'article de L'Époque sur le Fauteuil hanté?

      M. Hippolyte Patard avait cette particularité d'être tantôt un petit vieillard frais et rose, aimable et souriant, accueillant, bienveillant, charmant, que tout le monde à l'Académie appelait «mon bon ami» excepté les domestiques bien entendu, bien qu'il fût plein de prévenances pour eux, leur demandant alors des nouvelles de leur santé; et tantôt, M. Hippolyte Patard était un petit vieillard tout sec, jaune comme un citron, nerveux, fâcheux, bilieux. Ses meilleurs amis appelaient alors M. Hippolyte Patard: «Monsieur le secrétaire perpétuel», gros comme le bras, et les domestiques n'en menaient pas large. M. Hippolyte Patard aimait tant l'Académie qu'il s'était mis ainsi en deux pour la servir, l'aimer et la défendre. Les jours fastes, qui étaient ceux des grands triomphes académiques, des belles solennités, des prix de vertu, il les marquait du Patard rose, et les jours néfastes, qui étaient ceux où quelque affreux plumitif avait osé manquer de respect à la divine institution, il les marquait du Patard citron.

      Le concierge, évidemment, n'avait pas remarqué, ce jour là, à quelle couleur de Patard il avait affaire, car il se fût évité la réplique cinglante de M. le secrétaire perpétuel. En entendant parler du Fauteuil hanté, M. Patard s'était retourné d'un bloc.

      —Mêlez-vous de ce qui vous regarde, fit-il; je ne sais pas s'il y a un fauteuil hanté! Mais je sais qu'il y a une loge ici qui ne désemplit pas de journalistes! A bon entendeur salut!

      Et il fit demi-tour laissant le concierge foudroyé.

      Si M. le secrétaire perpétuel avait lu l'article sur le Fauteuil hanté! mais il ne lisait plus que cet article-là dans les journaux, depuis des semaines! Et après la mort foudroyante de Maxime d'Aulnay, suivant de si près la mort non moins foudroyante de Jehan Mortimar il n'était pas probable, avant longtemps, qu'on se désintéressât dans la presse d'un sujet aussi passionnant!

      Et cependant, quel était l'esprit sensé (M. Hippolyte Patard s'arrêta pour se le demander encore)... quel était l'esprit sensé qui eût osé voir, dans ces deux décès, autre chose qu'une infiniment regrettable coïncidence? Jehan Mortimar était mort d'une congestion cérébrale, cela était bien naturel.

      Et Maxime d'Aulnay, impressionné par la fin tragique de son prédécesseur et aussi par la solennité de la cérémonie, et enfin par les fâcheux pronostics dont quelques méchants garnements de lettres avaient accompagné son élection, était mort de la rupture d'un anévrisme. Et cela n'était pas moins naturel.

      M. Hippolyte Patard, qui traversait la première cour de l'Institut et se dirigeait à gauche vers l'escalier qui conduit au secrétariat, frappa le pavé inégal et moussu de la pointe ferrée de son parapluie.

      «Qu'y a-t-il donc de plus naturel, se fit-il à lui-même, que la rupture d'un anévrisme? C'est une chose qui peut arriver à tout le monde que de mourir de la rupture d'un anévrisme, même en lisant un discours à l'Académie française!...» Il ajouta:

      «Il suffit pour cela d'être académicien!» Ayant dit, il s'arrêta pensif, sur la première marche de l'escalier. Quoiqu'il s'en défendît, M. le secrétaire perpétuel était assez superstitieux. Cette idée que, tout Immortel que l'on est, on peut mourir