sa plus grande consolation était de parler de ses parents avec un homme qu'elle révérait beaucoup, et qui, sous un extérieur peu agréable, cachait un cœur si sensible, un esprit si distingué.
Plusieurs semaines se passèrent dans une retraite paisible, et le chagrin d'Emilie se transformait en une mélancolie douce; elle pouvait déjà lire, et même lire les livres qu'elle avait lus avec son père, s'asseoir à sa place dans sa bibliothèque, arroser les fleurs qu'il avait plantées, toucher les instruments qu'il avait fait parler, et même de temps en temps jouer son air favori.
Madame Chéron ne répondant point, Emilie commençait à se flatter qu'elle pourrait prolonger sa retraite; elle se sentait alors tant de force, qu'elle osa visiter les lieux où le passé se retraçait le plus vivement à son esprit, de ce nombre était la pêcherie; et pour augmenter dans cette promenade la mélancolie qu'elle aimait, elle emporta son luth, et s'y rendit à cette heure de la soirée qui convient si bien à l'imagination et à la douleur. Quand Emilie fut dans les bois et se vit près du bâtiment, elle s'arrêta, s'appuya contre un arbre, et pleura quelques minutes avant de pouvoir avancer. Le petit sentier qui menait au pavillon était alors tout embarrassé d'herbes; les fleurs que Saint-Aubert avait semées sur les bords en paraissaient presque étouffées; les orties, le houx croissaient par touffes; elle regardait tristement cette promenade négligée, où tout semblait morne et flétri. Elle serait sans doute restée bien plus longtemps dans cette situation, si le bruit de quelques pas, derrière le bâtiment, n'eût tout à coup excité son attention. L'instant d'après, une porte s'ouvrit, un étranger parut, et, stupéfait de voir Emilie, il la supplia d'excuser son indiscrétion. Au son de cette voix, Emilie perdit sa crainte, et son émotion augmenta. Cette voix lui était familière, et quoiqu'elle ne pût distinguer aucun trait sa mémoire la servait trop bien pour qu'elle conservât de la frayeur.
L'étranger répéta ses excuses; Emilie répondit quelques mots; alors celui-ci, s'avançant avec vivacité, s'écria:—Grand Dieu? se peut-il? Sûrement. Je ne m'abuse point. C'est mademoiselle Saint-Aubert!
—Il est vrai, dit Emilie qui reconnut Valancourt, dont les traits semblaient animés. Mille souvenirs pénibles se pressèrent dans son esprit, et l'effort qu'elle fit pour se contenir ne servit, en effet, qu'à l'agiter davantage. Valancourt, pendant ce temps, s'informait soigneusement de la santé de M. Saint-Aubert. Un torrent de larmes lui apprit la fatale nouvelle. Il conduisit Emilie à un siége, et s'assit auprès d'elle. Elle continuait de pleurer, et Valancourt tenait sa main; mais elle ne s'en aperçut qu'en la sentant inondée des pleurs qu'il versait.
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