pour la mettre dans la baratte: c'est la crème. Passez le doigt sur ma cuiller, et goûtez.
La laiterie et la fabrication du beurre.—La France produit d'excellents beurres, principalement la Normandie et la Bretagne; on les expédie jusqu'en Allemagne et en Angleterre. Nous en vendons à l'étranger pour 40,000,000 de francs par an.
Julien goûta.
—C'est meilleur encore que le lait, cette bonne crème.
—Je le crois bien, dit la fermière. Maintenant, avec cette crème, nous allons faire le beurre.
Et versant dans la baratte toute la crème qu'elle avait recueillie, elle se mit à battre avec courage.
Au bout de quelque temps, elle s'arrêta, et levant le couvercle: —Voyez, Julien, dit-elle. L'enfant regarda et vit flotter dans la baratte de légers flocons jaune paille, qui étaient déjà nombreux.—Oh! dit-il enchanté, voilà le beurre qui se fait.
Pendant qu'on causait, le beurre s'acheva. La fermière l'égoutta et le lava avec soin, car le beurre bien égoutté et lavé se conserve mieux. Puis elle le mit en boules et chargea Julien de dessiner avec la pointe du couteau de petits losanges sur le dessus.
Il s'appliqua consciencieusement à cette besogne, et le beurre avait bonne mine quand Julien eut achevé son dessin.
—Mais, s'écria-t-il, toute la crème n'est pas devenue du beurre; qu'est-ce que tout cela qui reste?
—C'est le petit-lait. On le donnera aux porcs délayé avec de la farine pour les engraisser. Au besoin, j'en fais aussi de la soupe quand nous n'avons pas grand'chose à manger.
—Il faut donc bien du lait pour faire le beurre? demanda Julien tout surpris.
—Eh oui, cher enfant. Quinze litres de lait de Bretonne ne font qu'un kilogramme de beurre, et pourtant Bretonne, comme les vaches de sa race, est une merveille. Il y a d'autres vaches dont il faut jusqu'à vingt-cinq litres pour faire un kilogramme de beurre. Mais, Julien, vous allez devenir savant dans les choses de la ferme comme si vous vouliez être un jour fermier, vous aussi.
L'enfant rougit de plaisir.—Vrai, dit-il, c'est un métier que j'aimerais mieux que tous les autres. Mais, dites-moi encore, je vous prie, combien Bretonne vous donne-t-elle de lait par jour?
—Sept litres au plus, l'un dans l'autre.
—Alors il faut donc plus de deux jours à Bretonne pour vous donner un kilogramme de beurre?
—Précisément. Mais comme vous comptez bien, mon enfant! Il y a plaisir à causer avec vous.
Un instant après, la fermière sortit de la laiterie avec le jeune garçon, et tous deux portaient à la main de belles boules de beurre, enveloppées dans des feuilles de vigne que Julien était allé cueillir.
XVI.—Les conseils de la fermière avant le départ.—Les rivières de la Lorraine.—Le souvenir de la terre natale.
Que le souvenir de notre pays natal, uni à celui de nos parents, soit toujours vivant en nos cœurs.
Pendant que la fermière lorraine avait fait le beurre en compagnie de Julien, ses enfants avaient achevé leurs devoirs sous la direction d'André. La veuve les envoya tous jouer et se mit à préparer le souper.
On fit une grande partie de barres, ce qui excita l'appétit de toute cette jeunesse: la friture et la salade parurent excellentes; mais André et Julien, qui se ressentaient de leur course de nuit, trouvèrent bien meilleur encore le bon lit que la fermière leur avait préparé; ils dormirent d'un seul somme jusqu'au lendemain.
Ils auraient dormi plus longtemps sans doute si la fermière n'avait pris soin de les éveiller.
—Levez-vous, enfants; je connais, à deux heures d'ici, un cultivateur qui va chaque semaine à Épinal; il vous prendra dans sa voiture si vous allez le trouver assez matin.
Julien et André sortirent du lit: quoiqu'il leur semblât n'avoir pas dormi la moitié de leur content, ils ne se le firent pas dire deux fois et s'habillèrent à la hâte. Ils se lavèrent à grande eau le visage et les mains, ce qui acheva de les éveiller et de les rendre dispos. Puis ils firent leur prière tous deux et poliment allèrent dire bonjour à la fermière.
Elle leur mit à chacun une écuelle de soupe de lait entre les mains. Ils eurent bientôt mangé, et au bout de peu de temps ils étaient prêts à partir, tenant leur paquet de vêtements et leur bâton.
Tous deux, avant de se mettre en route, allèrent remercier la fermière qui les avait traités comme ses enfants.
—Mes amis, leur répondit-elle, si j'ai eu plaisir à vous aider, c'est que vous m'avez paru dignes d'intérêt par vos bonnes qualités. Si vous continuez à être de braves enfants, désireux de travailler et de rendre service pour service, vous trouverez de l'aide partout: car on aime à secourir ceux qui en sont dignes, tandis qu'on craint d'obliger ceux qui pourraient devenir une charge par leur indolence.
En achevant ces paroles elle embrassa les enfants, et tous deux, la remerciant de nouveau, s'élancèrent rapidement sur la route.
Un défilé des Vosges.—Un défilé est une vallée très étroite resserrée entre des rochers ou des montagnes abruptes. Le plus souvent, des torrents ou des ruisseaux coulent au fond des défilés.
Le soleil n'était pas encore levé, mais une jolie lueur rose empourprait les sommets arrondis des Vosges et annonçait qu'il allait bientôt paraître. La route, formant un défilé entre de hautes collines, suivait tout le temps le bord de l'eau, et les petits oiseaux gazouillaient joyeusement sur les buissons de la rivière.
Nos jeunes voyageurs étaient ravis du beau temps qui s'annonçait, mais ils étaient encore plus satisfaits des bonnes paroles que la fermière leur avait dites au départ, et le petit Julien, qui trouvait en lui-même qu'il est bien facile d'être reconnaissant, s'étonnait qu'on leur en sût tant de gré. Il marchait gaîment, tenant André par la main et sautant de temps à autre comme un petit pinson.
—Où va donc, s'écria-t-il, cette jolie rivière qui coule tout le temps à côté de notre route entre des rochers hauts comme des murailles?
—Tu sais bien, Julien, que les petites rivières vont aux grandes, les grandes aux fleuves, et les fleuves à la mer.
—Oui, mais je voulais demander dans quel pays elle ira.
—Elle ira retrouver la Meurthe, qui se jette elle-même dans la Moselle. Tu te rappelles, Julien, quel pays arrosent la Meurthe et la Moselle?
—Oui, dit l'enfant devenant triste soudain, je sais que la Meurthe et la Moselle sont des rivières de la Lorraine. La Moselle passe en Alsace-Lorraine où nous sommes nés, où nous n'irons plus, et où notre père est resté pour toujours.
Et le petit garçon semblait réfléchir. Tout à coup il quitta la main d'André: il avait vu dans l'herbe les jolies clochettes d'une fleur d'automne; il en fit un bouquet, le lia avec de l'herbe, et le jetant avec un doux sourire dans l'eau limpide de la rivière: «Peut-être s'en ira-t-il jusque là-bas?»
André murmura doucement: «Peut-être.» Et, pris lui aussi d'un cher ressouvenir pour la terre natale, il détacha une branche de chêne et l'envoya rejoindre le bouquet de Julien.
Puis ils continuèrent leur route, suivant de l'œil le bouquet et la branche qui descendaient la rivière, et sans rien dire ils pensaient en leur cœur: «Petite fleur des Vosges, petite branche de chêne, va, cours, que