Louvre.—La Chambre des députés, le Sénat et le palais de la Présidence.—Les Ministres.—Les impressions de Julien à Paris.—Le départ.
CXX.—La ferme du père Guillaume dans l'Orléanais.—Les ruines de la guerre.
COURS MOYEN
PARIS
LIBRAIRIE CLASSIQUE EUGÈNE BELIN
Vve EUGÈNE BELIN ET FILS
RUE DE VAUGIRARD, No 52
1884
Droits de traduction et de reproduction réservés
Tout exemplaire de cet ouvrage non revêtu de ma griffe sera réputé contrefait.
PRÉFACE
La connaissance de la patrie est le fondement de toute véritable instruction civique.
On se plaint continuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur pays: s'ils le connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l'aimeraient encore davantage et pourraient encore mieux le servir. Mais nos maîtres savent combien il est difficile de donner à l'enfant l'idée nette de la patrie, ou même simplement de son territoire et de ses ressources. La patrie ne représente pour l'écolier qu'une chose abstraite à laquelle, plus souvent qu'on ne croit, il peut rester étranger pendant une assez longue période de la vie. Pour frapper son esprit, il faut lui rendre la patrie visible et vivante. Dans ce but, nous avons essayé de mettre à profit l'intérêt que les enfants portent aux récits de voyages. En leur racontant le voyage courageux de deux jeunes Lorrains à travers la France entière, nous avons voulu la leur faire pour ainsi dire voir et toucher; nous avons voulu leur montrer comment chacun des fils de la mère commune arrive à tirer profit des richesses de sa contrée et comment il sait, aux endroits mêmes où le sol est pauvre, le forcer par son industrie à produire le plus possible.
En même temps, ce récit place sous les yeux de l'enfant tous les devoirs en exemples, car les jeunes héros que nous y avons mis en scène ne parcourent pas la France en simples promeneurs désintéressés: ils ont des devoirs sérieux à remplir et des risques à courir. En les suivant le long de leur chemin, les écoliers sont initiés peu à peu à la vie pratique et à l'instruction civique en même temps qu'à la morale; ils acquièrent des notions usuelles sur l'économie industrielle et commerciale, sur l'agriculture, sur les principales sciences et leurs applications. Ils apprennent aussi, à propos des diverses provinces, les vies les plus intéressantes des grands hommes qu'elles ont vus naître: chaque invention faite par les hommes illustres, chaque progrès accompli grâce à eux devient pour l'enfant un exemple, une sorte de morale en action d'un nouveau genre, qui prend plus d'intérêt en se mêlant à la description des lieux mêmes où les grands hommes sont nés.
En groupant ainsi toutes les connaissances morales et civiques autour de l'idée de la France, nous avons voulu présenter aux enfants la patrie sous ses traits les plus nobles, et la leur montrer grande par l'honneur, par le travail, par le respect religieux du devoir et de la justice[1].
SAINT-CLOUD,—IMPRIMERIE Vve EUG. BELIN ET FILS
LE
TOUR DE LA FRANCE
PAR DEUX ENFANTS
I.—Le départ d'André et de Julien.
Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée d'un devoir à remplir.
Par un épais brouillard du mois de septembre deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu'on appelle porte de France.
Chacun d'eux était chargé d'un petit paquet de voyageur, soigneusement attaché et retenu sur l'épaule par un bâton. Tous les deux marchaient rapidement, sans bruit; ils avaient l'air inquiet. Malgré l'obscurité déjà grande, ils cherchèrent plus d'obscurité encore et s'en allèrent cheminant à l'écart le long des fossés.
Porte fortifiée.—Les portes des villes fortifiées sont munies de ponts-levis jetés sur les fossés qui entourent les remparts, le soir on lève ces ponts, on ferme les portes, et nul ennemi ne peut entrer dans la ville.—La petite ville de Phalsbourg été fortifiée par Vauban. Traversée par la route de Paris à Strasbourg, elle n'a que deux portes: la porte de France à l'ouest et la porte d'Allemagne au sud-est, qui sont des modèles d'architecture militaire.
L'aîné des deux frères, André, âgé de quatorze ans, était un robuste garçon, si grand et si fort pour son âge qu'il paraissait avoir au moins deux années de plus. Il tenait par la main son frère Julien, un joli enfant de sept ans, frêle et délicat comme une fille, malgré cela courageux et intelligent plus que ne le sont d'ordinaire les jeunes garçons de cet âge. A leurs vêtements de deuil, à l'air de tristesse répandu sur leur visage, on aurait pu deviner qu'ils étaient orphelins. Lorsqu'ils se furent un peu éloignés de la ville, le grand frère s'adressa à l'enfant et, à voix très basse, comme s'il avait eu crainte que les arbres mêmes de la route ne l'entendissent:
—N'aie pas peur, mon petit Julien, dit-il; personne ne nous a vus sortir.
—Oh! je n'ai pas peur, André, dit Julien; nous faisons notre devoir, Dieu nous aidera.
—Je sais que tu es courageux, mon Julien, mais, avant d'être arrivés, nous aurons à marcher pendant plusieurs nuits; quand tu seras trop las, il faudra me le dire: je te porterai.
—Non, non, répliqua l'enfant; j'ai de bonnes jambes et je suis trop grand pour qu'on me porte.
Tous les deux continuèrent à marcher résolument sous la pluie froide qui commençait à tomber. La nuit, qui était venue, se faisait de plus en plus noire. Pas une étoile au ciel ne se levait pour leur sourire; le vent secouait les grands arbres en sifflant d'une voix lugubre et envoyait des rafales d'eau au visage des enfants. N'importe, ils allaient sans hésiter, la main dans la main.
A un détour du chemin, des pas se firent entendre. Aussitôt, sans bruit, les enfants se glissèrent dans un fossé et se cachèrent sous les buissons. Immobiles, ils laissèrent les passants traverser. Peu à peu, le bruit lourd des pas s'éloigna, sur la grande route; André et Julien reprirent alors leur marche avec une nouvelle ardeur.
Après plusieurs heures de fatigue et d'anxiété ils virent enfin, tout au loin, à travers les arbres, une petite lumière se montrer,