serait plutôt traduisible par: la vie courante, la vie telle qu'elle se présente rigoureusement aux yeux du peintre.]
II
Hokousaï[11] est né le dix-huitième jour du premier mois de la dixième année de Hôréki, le 5 mars 1760.
[Note 11: Les Japonais mangent le ou du nom et le prononcent Hok'saï. Maintenant encore, les Japonais aspirent très fort l'H du commencement du nom du peintre, et il faudrait peut-être, pour conserver au nom l'aspiration de là-bas, redoubler l'H, mais ce serait changer trop complètement l'orthographe à laquelle le public français est habitué.]
Il est né à Yédo, dans le quartier Honjô, quartier de l'autre côté de la
Soumida, touchant à la campagne, quartier affectionné par le peintre et
qui lui a fait un temps signer ses dessins: le paysan de Katsoushika, —Katsoushika étant le district de la province où se trouve le quartier Honjô.
D'après le testament de sa petite fille Shiraï Tati, il serait le troisième fils de Kawamoura Itiroyémon qui, sous le nom de Bounsei, aurait été un artiste à la profession inconnue. Mais, vers l'âge de quatre ans, Hokousaï, dont le premier nom était Tokitaro, était adopté par Nakajima Issé, fabricant de miroirs de la famille princière de Tokougawa: adoption qui lui faisait faussement donner pour père ce Nakajima Issé.
Hokousaï, encore garçonnet, entrait comme commis de librairie chez un grand libraire de Yédo où, tout à la contemplation des livres illustrés, il remplissait si paresseusement et si dédaigneusement son métier de commis qu'il était mis à la porte.
Ce feuilletage des livres illustrés du libraire, cette vie dans l'image, pendant de longs mois, avait fait naître chez le jeune homme le goût, la passion du dessin, et nous le trouvons vers les années 1773, 1774, travaillant chez un graveur sur bois, et en 1775, sous le nouveau nom de Tétsouzô, gravant les six dernières feuilles d'un roman de Santchô. Et le voilà graveur jusqu'à l'âge de dix-huit ans.
III
En 1778, Hokousaï, alors dit Tétsouzô, abandonne son métier de graveur, ne consent plus à être l'interprète, le traducteur du talent d'un autre, est pris du désir d'inventer, de composer, de donner une forme personnelle à ses imaginations, a l'ambition de devenir un peintre. Et il entre à l'âge de dix-huit ans dans l'atelier de Shunshô où son talent naissant lui mérite un nom: le nom de Katsoukawo Shunrô sous lequel le maître l'autorise à signer ses compositions représentant une série d'acteurs, dans le format en hauteur des dessins de comédiens de Shunshô son maître, et où commence à apparaître chez le jeune Shunrô un rien du dessinateur qui sera plus tard le grand Hokousaï.
Et, avec la persévérance d'un travail entêté, il continue à dessiner et à jeter dans le public, jusqu'en 1786, des compositions portant la signature de Katsoukawo Shunrô ou simplement Shunrô.
Les compositions de ces années d'Hokousaï, ainsi que les premières compositions d'Outamaro, étaient gravées dans des petits livres à cinq sous, ces livres populaires, au tirage en noir, à la couverture jaune, d'où ils tirent leur nom: Kibiôshi, LIVRES JAUNES.
Le premier livre jaune qu'il illustrait, en 1781, à l'âge de vingt et un ans, était un petit roman en trois volumes, intitulé: Arigataï tsouno itiji, GRÂCE À UN MOT GALANT, TOUT EST PERMIS, roman que ni Hayashi, ni les biographes du peintre japonais n'ont rencontré, et dont le texte, à l'époque de la publication, a été attribué à Kitao Masanobou, plus tard le célèbre romancier Kiôdén, tandis que le texte et les dessins sont d'Hokousaï qui avait publié cette plaquette sous le pseudonyme de Koréwasaï, sobriquet signifiant: «Est-ce cela?» le refrain d'une chansonnette du temps.
L'année suivante, en 1782, Hokousaï publie les COURRIERS DE KAMAKOURA, deux fascicules dont il fait le texte et les dessins et qu'il présente au public sous le nom de Guioboutsou pour le texte, et de Shunrô pour les dessins.
C'est le récit d'un fait historique, d'une tentative au XVIIe siècle du renversement du troisième shôgoun par Shôsétsou. Et l'on voit, dans la succession des planches, le jeune ambitieux complotant presque enfant, se livrant aux exercices militaires, apprenant d'un tacticien mystérieux l'art de la guerre,—et le moyen magique d'être vu par le regard des hommes, sous son apparence sept fois répétée. Et il organise la conspiration, qui fait égorger les courriers, et il rêve la protection d'un dieu favorable à ses desseins, et a l'illusion de se voir dans un miroir, en shôgoun, et un de ses affidés en premier ministre, et il tient conseil avec ses partisans, et il bataille bravement avec les soldats envoyés pour le prendre, et enfin, fait prisonnier, il s'ouvre le ventre, tandis qu'au milieu de ses complices enchaînés, sa mère, sa femme et ses enfants sont soumis à la torture,—sa mère à la torture de l'enfumage.
Il publie encore, la même année, un roman en deux volumes: Shiténnô Daïtsou jitaté, LES QUATRE ROIS CÉLESTES DES POINTS CARDINAUX, HABILLÉS À LA DERNIÈRE MODE, avec l'annonce d'un texte de Koréwasaï qui est bien de lui, ainsi que les dessins signés: Shunrô.
Cette année ou la suivante, il publie un autre livre jaune qu'il signe exceptionnellement Katsoukawa Shunrô, et qui est l'histoire de Nitirén, prêtre bouddhique, le créateur d'une nouvelle secte.
C'est le baptême, le commencement des études, la contemplation de la nature, la vie d'ascète dans une grotte de la montagne, l'expulsion de partout du prêtre révolutionnaire pour la nouveauté de ses opinions, sa retraite dans un temple, l'apparition d'une comète annonçant de tragiques évènements, sa défense avec un chapelet contre un guerrier qui veut le tuer, le pouvoir de son influence mystérieuse amenant le naufrage de la flotte mongole, sa condamnation à mort où le sabre du bourreau est brisé par un éclair, son exil dans une île éloignée, ses prédications, ses pèlerinages, sa mort au milieu de ses disciples en pleurs.
En 1784 Hokousaï illustre deux ouvrages: 1° Kaï-oun Aughino Hanaka, LE PARFUM DES FLEURS D'ÉVENTAIL (2 volumes); 2° Nozoki Karakouri Yoshitsouné Yama iri. EXPÉDITION DE YOSHITSOUNÉ À LA MONTAGNE VUE DANS LA BOITE À SPECTACLE (2 volumes). Texte de Ikoujimonaï (propre à rien) et illustration de Shunrô. Cet Ikoujimonaï pourrait bien être Hokousaï.
En 1785 Hokousaï publie deux livres jaunes où il n'est pas parlé du texte, et où seulement est annoncé que l'illustration est de Shunrô. Ce sont: 1° Onnén Oujino Hotaroubi, TRANSFORMATION DE LA HAINE EN FEU DES LUCIOLES DE OUJI (3 volumes).—2° Oya Yuzouri Hanano Kômiô L'HÉRITAGE DU PARENT, LA GLOIRE DU NEZ (3 volumes). Dans ce dernier ouvrage Shunrô devient Goummatei.
Oui, en ces premiers temps, souvent Hokousaï est à la fois l'illustrateur et l'écrivain du roman qu'il publie, et sa littérature est goûtée, grâce à des observations intimes de la vie japonaise, est même parfois attribuée, comme on l'a vu pour son premier roman, à des romanciers de la réputation de Kiôdén. Selon Hayashi, la littérature du peintre a un autre mérite: l'esprit railleur de l'artiste en aurait fait un parodiste de la littérature de ses contemporains, de leur style, de leurs procédés, et surtout de l'entassement des aventures, et du méli-mélo des bonshommes modernes en contact avec des personnages du XIIe et du XIVe siècle, et ce serait très sensible dans LES COURRIERS DE KAMAKOURA, où il aurait employé, sur une légende du XIIe siècle, tous les faits fabuleux et invraisemblables de l'histoire du vieux Japon.
Ce double rôle d'écrivain et de dessinateur ne dure guère que jusqu'en 1804, où il n'est plus que peintre.
IV