consommation se trouvant ainsi réduite au minimum, la rente et, avec elle, le taux d'intérêt moyen dans le monde entier ne pourraient pas, sans danger de ruine pour l'économie, donc réellement, être inférieurs aux dépenses dont l'économie mondiale a besoin pour compléter et agrandir ses installations.
C'est ainsi que, dans son essence et en ce qui concerne son niveau, la rente est déterminée par les placements dont l'économie mondiale a besoin; elle est le fonds de réserve obligatoire, servant au maintien de l'économie mondiale; elle est un impôt que prélève la production, partout où des biens sont produits et un impôt qui vient avant tous les autres; elle serait indispensable, alors même que tous les moyens de production seraient concentrés entre les mains d'un seul, ce seul fût-il un individu, un État ou un ensemble d'États; elle ne peut être diminuée que du montant représentant la satisfaction des besoins du capitaliste.
C'est pourquoi l'étatisation des moyens de production est sans portée au point de vue économique; au contraire, la réunion du capital entre les mains d'un petit nombre présente un danger économique qui découle de l'arbitraire auquel peuvent être soumises la consommation et la forme de placement; or, comme cette dernière, étant donnée la concurrence qui existe entre les rentes, est restée jusqu'à présent à l'abri de tout reproche, le soin purement économique d'une répartition juste ne peut avoir pour objet que la consommation. La rente en elle-même est indispensable, en tant qu'elle sert à satisfaire les besoins annuels d'investissement dans le monde entier; peu importe, en outre, la question de savoir qui la touche pourvu qu'elle remplisse sa mission finale, qui consiste à être investie dans des entreprises; mais ce qui importe, en revanche, c'est de savoir si et dans quelle mesure le bénéficiaire d'une rente a le droit de s'en servir, au préjudice de la collectivité, pour des emplois infructueux ou de la dissiper en jouissances. La politique économique se transforme en politique de la consommation.
Mais les justes préoccupations doivent s'étendre à d'autres objets encore, et avant tout à la question de puissance. Si tout le capital était concentré entre les mains d'un homme raisonnable, sa consommation relative serait insignifiante; toute la rente épargnée serait canalisée, à la suite d'un choix judicieux, vers les entreprises, afin d'augmenter leur rendement, et s'il agissait ainsi, cet homme pourrait être considéré comme un utile administrateur de l'économie mondiale. Mais il n'en serait pas de même sous d'autres rapports. C'est que de son bon plaisir dépendraient toutes les affaires humaines: économiques, politiques et aussi, en dernier lieu, les intérêts culturels. Sur un signe de lui, tel serait élevé, tel autre abaissé; telle région serait privilégiée, telle autre laissée à l'abandon; il imposerait à toutes les conventions un esprit conforme à ses propres convenances; la liberté du monde serait détruite: c'est que, sous sa forme actuelle, possession implique puissance.
À cela se rattache une autre question: celle des revendications injustifiées. Alors même qu'on réussirait, par la limitation du gaspillage, à diminuer la rente, rien ne prouve qu'on augmenterait ainsi la participation des classes inférieures à la richesse générale. Monopoles, revenus tirés de l'agiotage, escroquerie, autant de compensations qui peuvent intervenir pour pallier à la diminution de la rente; des rentiers et des héritiers se laisseront nourrir par la collectivité, sans lui fournir aucun service en échange: des bourdons formeraient un État dans l'État.
Si l'on élimine le moyen socialiste, qui consiste dans l'étatisation du capital, mesure irréalisable et inefficace, on se trouve en présence d'une antinomie en apparence insoluble: l'accumulation des fortunes diminue la consommation relative et, avec elle, la rente, mais est une menace pour l'équilibre de puissance; la répartition des fortunes diminue l'accumulation de puissance, mais augmente la consommation et diminue la productivité de la rente. Dans l'une et l'autre de ces alternatives, nous sommes menacés de revendications injustifiées.
La structure de la terre, dans son grand système d'irrigation, nous offre un exemple d'un dilemme de ce genre. Un système exclusif de torrents violents empêcherait l'épuisement des masses d'eau, mais, impossible à dompter, il laisserait les plaines desséchées; un réseau étroit de sources et de ruisseaux est, certes, susceptible d'épuisement et d'évaporation, mais arrose prairies et bas-fonds et se laisse facilement manier; la nature cependant a ajouté à ces deux systèmes un troisième: par l'évaporation, elle maintient les masses d'eau en suspension; les continents et les bassins maritimes doivent sans cesse charger l'atmosphère de courants, plus puissants que les courants visibles de la terre et répartissant leur humidité sur tout le sol nourricier.
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