Fortuné du Boisgobey

La main froide


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quel plaisir peut-il prendre à s'entourer de ces créatures?

      L'une d'elles est sa maîtresse, n'est-ce pas?

      —Je devrais vous répondre que je n'en sais rien, mais je veux bien vous dire la vérité… Jean n'a rien de commun avec le lierre… il ne s'attache pas.

      —Il n'y a que demi-mal.

      —Alors, vous l'approuvez de n'aimer sérieusement aucune femme?

      —Je ne dis pas cela, répliqua vivement la dame; je l'approuve de ne pas aimer à tort et à travers, mais je ne désespère pas d'apprendre un jour qu'il a trouvé enfin une femme digne de lui… et qu'il l'aime.

      —C'est la grâce que je lui souhaite. Elle ne l'a pas encore touché et elle pourra se faire attendre.

      Maintenant, Madame, oserai-je vous demander en quoi sa conversion vous intéresse?

      Et comme elle ne paraissait pas disposée à répondre, Paul reprit:

      —Je me permets de vous poser cette question parce que vous ne m'avez encore parlé que de lui.

      —N'êtes-vous pas son meilleur ami?

      —Je le crois, mais avouez que je pousserais l'amitié jusqu'à l'abnégation la plus invraisemblable, si je ne vous disais pas que je serais heureux de vous plaire et que je m'étonne d'être appelé à l'honneur de vous fournir des renseignements sur Jean de Mirande.

      Vous auriez pu les lui demander à lui-même, au lieu de l'éconduire… et je pourrais ajouter: pour qui me prenez-vous?

      La dame rougit et ce fut d'un ton peiné qu'elle répondit:

      —Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous ai offensé. J'avais cru, en m'adressant à vous, que je pourrais, sans vous blesser, vous interroger sur M. de Mirande… et je n'ai pas craint de tenter une démarche… que j'espère ne pas avoir à regretter.

      —Oh! protesta Paul Cormier, je n'abuserai pas de la situation.

      Elle n'a cependant rien de flatteur ni d'agréable pour moi, convenez-en. Me voilà réduit au rôle de confident… et encore!… jusqu'à présent vous ne m'avez pas confié grand'chose…

      J'espérais mieux et quand vous avez bien voulu m'inviter à monter dans cette voiture, si j'avais pu prévoir qu'il ne serait question que de Mirande et de sa famille…

      —Ne vous repentez pas d'avoir fait une bonne action, interrompit la blonde inconnue.

      —Une bonne action, dites-vous?… voilà un bien gros mot!… je n'aperçois pas encore quel service j'ai pu vous rendre.

      —Un grand service… vous le reconnaîtrez plus tard et… pourquoi ne l'avouerais-je pas?… je compte vous en demander d'autres…

      —Je vous reverrai donc!

      —Oui… si vous voulez me promettre de ne pas chercher à savoir qui je suis…

      —Voilà une condition un peu dure!

      —Et de ne rien dire à votre ami.

      —Il ne m'en coûtera guère d'être discret, mais… quelle sera ma récompense, si je me soumets à l'autre condition?

      —Fiez-vous-en à ma reconnaissance et comptez qu'un jour vous saurez tout.

      —Soit! j'accepte; mais comment vous reverrai-je? Vous ne m'avez pas dit votre nom… je suppose que vous ne voulez pas me le dire… et vous ne savez pas le mien.

      —Il ne tient qu'à vous de me l'apprendre. Je m'en souviendrai, je vous le jure.

      Ce fut dit avec un accent de sincérité chaleureuse qui toucha Paul

       Cormier, sans le convaincre tout à fait.

      Il se défiait encore un peu des intentions de la dame et le rôle effacé qu'elle semblait lui réserver ne le tentait guère. Mais elle était, comme a écrit La Bruyère, si jeune, si belle et si sérieuse, qu'il se laissait aller à la croire.

      Il allait peut-être s'ouvrir pour lui ce grand monde qu'il rêvait et

       Paul n'était pas homme à refuser d'y entrer, même par une porte secrète.

      L'inconnue en était certainement et elle lui offrait d'emblée une sorte de traité d'alliance.

      Après l'amitié, l'amour viendrait peut-être et cette chance valait bien qu'il acceptât le compromis qu'elle lui proposait.

      Et pourtant sa réponse se fit attendre. Il lui en coûtait de décliner

       son nom roturier à une femme qui connaissait à fond l'armorial du

       Languedoc où figurait si brillamment l'aristocratique famille de

       Mirande.

      Il s'y décida cependant.

      C'était le seul moyen de la revoir, puisqu'elle ne voulait pas lui dire le sien.

      —Je m'appelle Paul Cormier, dit-il brusquement, comme un homme qui prend tout à coup son parti de subir une nécessité désagréable.

      Et ne voulant pas faire les choses à demi, il ajouta:

      —Je n'ai plus que ma mère qui n'habite pas avec moi. Je finis ma dernière année de droit et je demeure rue Gay-Lussac, nº 9.

      Vous voilà renseignée, Madame. Je ne vous demande pas de me rendre la pareille.

      —Je vous ai promis que plus tard vous sauriez tout. Je vous le promets encore. En attendant que je puisse tenir ma promesse, vous vous contenterez de me voir.

      —Pas chez vous, je suppose?

      —Ni chez vous, Monsieur, dit en souriant la mystérieuse blonde.

      Je vous écrirai pour vous faire savoir où nous pourrons nous rencontrer.

      Et vous ne croyez pas, je l'espère, que j'attends de vous d'autres services que ceux qu'un galant homme peut, sans déchoir, rendre à une honnête femme qui a recours à son obligeance, sinon à sa protection.

      Ce langage ferme et net fit sur Paul une impression profonde.

      Son consentement ne tenait plus qu'à un fil et s'il hésitait encore, c'est qu'un point à éclaircir lui tenait au cœur.

      —Eh! bien? demanda la dame; est-ce convenu?

      —Oui… si…

      —Quoi! il y a un: si!

      —Ne vous fâchez pas de ce que je vais vous dire…

      —C'est donc bien terrible?

      —Non… c'est enfantin… Donnez-moi votre parole d'honneur que vous n'aimez pas Jean de Mirande… que vous ne l'aimez pas… d'amour.

      —Je vous la donne. Je n'ai pas d'amour pour lui et je n'en aurai jamais.

      —Jamais, c'est beaucoup dire.

      —Je ne puis pas l'aimer. Un jour je vous apprendrai pourquoi.

      —C'est bien… je vous crois, dit gravement Paul Cormier. Je ferai tout ce que vous voudrez.

      —Merci, Monsieur!… à dater de cet instant vous pouvez compter sur moi comme je compte sur vous… et avant de nous séparer…

      —Déjà!…

      —Il le faut. Nous approchons du rond-point et je vous prierai de descendre un peu avant d'y arriver.

      —Vous craignez qu'on ne nous voie ensemble?

      —Probablement.

      —Votre mari, n'est-ce pas?

      —Prenez garde!… voilà que vous manquez à nos conventions!

      —C'est juste. Je retire ma question… et je ne recommencerai plus. Mais j'ai une grâce à vous demander… Je vais vous quitter et je ne sais quand je vous reverrai, mais