La cousine courut chercher une baguette; pendant qu'elle la ramassait, Charles saisit les allumettes, en fit partir une, courut au rideau:
«Si vous approchez, je mets le feu aux rideaux, à la maison, à vos jupes, à tout!»
Mme Mac'Miche s'arrêta; l'allumette était à dix centimètres de la frange du rideau de mousseline. Pourpre de rage, tremblante de terreur, ne voulant pas renoncer à la raclée qu'elle s'était proposé de donner à Charles, n'osant pas le pousser à exécuter sa menace, ne sachant quel parti prendre, elle fit peur à Charles par l'expression menaçante et presque diabolique de toute sa personne. Voyant son allumette prête à s'éteindre, il en alluma une seconde avant de lâcher la première et résolut de conclure un arrangement avec sa cousine.
Charles:—-Promettez que vous ne me toucherez pas, que vous ne me punirez en aucune façon, et j'éteins l'allumette.
—Misérable! dit la cousine écumant.
Charles:—Décidez-vous, ma cousine! Si j'allume une troisième allumette, je n'écoute plus rien, vos rideaux seront en feu!
Madame Mac'Miche:—Jette ton allumette, malheureux!
Charles:—Je la jetterai quand vous aurez jeté votre baguette (la Mac'Miche la jette); quand vous aurez promis de ne pas me battre, de ne pas me punir!... Dépêchez-vous, l'allumette se consume.
—Je promets, je promets! s'écria la cousine haletante.
Charles:—-De me donner à manger à ma faim?... Eh bien?... Je tire la troisième allumette.
Madame Mac'Miche:—Je promets! Fripon! brigand!
Charles:—Des injures, ça m'est égal.! Et faites bien attention à vos promesses, car, si vous y manquez, je mets le feu à votre maison sans seulement vous prévenir... C'est dit? Je souffle.»
Charles éteignit son allumette.
«Avez-vous besoin de moi? dit-il.
Madame Mac'Miche:-Va-t'en! Je ne veux pas te voir, drôle, scélérat!
Charles:—Merci, ma cousine. Je cours chez Juliette.
Madame Mac'Miche:—Je te défends d'aller chez Juliette.
Charles:—Pourquoi ça? Elle me donne de bons conseils pourtant.
Madame Mac'Miche:—Je ne veux pas que tu y ailles.»
Pendant que Charles restait indécis sur ce qu'il ferait, la cousine s'était avancée vers lui; elle saisit la boîte d'allumettes que Charles avait posée sur une table, donna prestement deux soufflets et un coup de pied dans les jambes de Charles stupéfait, s'élança hors de sa chambre et ferma la porte à double tour.
«Amuse-toi, mon garçon, amuse-toi là jusqu'au souper; je vais donner de tes nouvelles à Juliette!» cria Mme Mac'Miche à travers la porte.
III
UNE AFFAIRE CRIMINELLE
Charles, furieux de se trouver pris comme un rat dans une ratière, se jeta sur la porte pour la défoncer; mais la porte était solide; trois fois il se lança dessus de toutes ses forces, mais il ne réussit qu'à se meurtrir l'épaule; après le troisième élan il y renonça.
«Méchante femme! Mon Dieu, que je la déteste! Et Juliette qui voulait que je lui demandasse pardon! Une pareille mégère!... Que puis-je faire pour me venger?...»
Charles regarda de tous côtés, ne trouva rien.
«Je pourrais bien déchirer son ouvrage qu'elle a laissé; mais à quoi cela servirait-il? elle en prendra un autre! Que je suis donc malheureux d'être obligé de vivre avec cette furie!»
Charles s'assit, appuya ses coudes sur ses genoux, sa tête dans ses mains et réfléchit. A mesure qu'il pensait, son visage perdait de son expression méchante, son regard s'adoucissait, ses yeux devenaient humides, et, enfin une larme roula le long de ses joues.
«Je crois que Juliette a raison, dit-il; elle serait moins méchante si j'étais meilleur; je serais moins malheureux si j'étais plus patient, si je pouvais être doux et résigné comme Juliette!... Pauvre Juliette! Elle est aveugle! Elle est seule tout le temps que sa soeur Mary travaille! Elle s'ennuie toute la journée!... Et jamais elle ne se plaint, jamais elle ne se fâche! toujours bonne, toujours souriante!...il est vrai qu'elle est plus vieille que moi! Elle a quinze ans, et moi je n'en ai que treize... C'est égal, à quinze ans je ne serai pas bon comme elle! Non, non, avec cette cousine abominable, je ne pourrai jamais m'empêcher d'être méchant...
Tiens! qu'est-ce que j'entends? dit-il en se levant. Quel bruit!...
Qu'est-ce que c'est donc?... Et cette maudite porte qui est fermée! Ah! une idée! Je brise un carreau et je passe.»
Charles saisit une pincette, donna un coup sec dans un des carreaux de la porte qui était vitrée, et engagea sa tête et ses épaules dans le carreau cassé; il passa après de grands efforts et en se faisant plusieurs petites coupures aux mains et aux épaules, une fois dehors, il descendit l'escalier, courut à la cuisine, où il n'y avait personne; puis à la porte de la rue, qu'il ouvrit. Il se trouva en face d'un groupe nombreux qui escortait et ramenait Mme Mac'Miche; un homme en blouse suivait, mené, tiré par ceux qui l'accompagnaient; Mme Mac'Miche criait l'homme jurait, l'escorte criait et jurait; à ce bruit se mêlaient les cris discordants de Betty, qui, pour complaire à Mme Mac'Miche, accablait d'injures et de reproches tous les gens de l'escorte. La porte se trouvant ouverte par Charles, tout le monde entra: On plaça Mme Mac'Miche sur une chaise, Betty tira de l'eau fraîche de la fontaine et bassina les yeux de sa maîtresse qui ne cessait de crier:
«Le juge de paix, je veux le juge de paix, pour faire ma plainte contre ce monstre d'homme, qui m'a aveuglée. Qu'on aille me chercher le juge de paix!
Betty:—On y est allé, Madame; M. le juge de paix sera ici dans un quart d'heure.
Madame Mac'Miche:-Qu'on garde bien le scélérat! Qu'on le garrotte! Qu'on ne le laisse pas échapper!
L'Homme en blouse:—Est-ce que je cherche à m'échapper, la vieille? En voilà-t-il des cris et des embarras pour un coup de fouet! J'en ai donné je ne sais combien dans ma vie; c'est le premier qui amène tout ce tapage.
Betty:—Je crois bien! Un coup de fouet que vous lui avec lancé dans les yeux, mauvais homme!
L'Homme en blouse:—Et pourquoi qu'elle m'agonisait de sottises? Sapristi! quelle langue! On dit que les femmes l'ont bien pendue! Jamais je n'en avais vu une pareille! Quel chapelet elle m'a défilé!
Un Homme:—Ce n'était pas une raison pour frapper avec votre fouet.
L'Homme en blouse:—Tiens! mais... c'est que la patience échappe à la fin; avec ça que je n'en ai jamais eu beaucoup.
Autre Homme:—Une femme, ce n'est pas un homme; on rit, on ne tape pas.
L'Homme en blouse:—Une femme comme ça! Tiens! ça vaut deux hommes, s'il vous plait.»
Toute l'escorte se mit à rire, ce qui augmenta l'exaspération de Mme Mac'Miche. Betty voyait que sa maîtresse n'était pas sérieusement blessée; elle riait aussi tout bas, et employait toutes ses forces à la faire tenir tranquille. Elle continuait à lui bassiner les yeux, qui commençaient à se dégonfler. Charles s'était prudemment tenu éloigné de sa cousine, et avait demandé à un jeune homme de l'escorte ce qui s'était passé.
«Il paraîtrait que la dame a failli être renversée par ce charretier