Valentin Krasnogorov

Pièces choisies


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Si vous voulez, appelez-moi Constance. Ou Nadine. Ou Aimée.

      LUI. Et en réalité?

      ELLE. (Sans répondre à la question, elle s’approche de la fenêtre.). Quel sale temps dehors…

      LUI. (Il s’approche d’elle et regarde aussi par la fenêtre.). Oui, il fait froid et c’est inconfortable… Il y a quelque chose qui coince dans notre rencontre.

      ELLE. Ne vous désolez pas, nous avons toute une nuit devant nous. Tout peut changer.

      LUI. Vous le promettez?

      ELLE. Je l’espère. Tout dépend de vous.

      LUI. Et pourquoi ne me demandez-vous pas mon nom?

      ELLE. Parce que je le connais.

      LUI. (Stupéfait.). Comment ça?

      ELLE. Comme ça. Je ne sais pas, cependant, comment je dois vous appeler. Il est un peu tôt pour vous appeler Serge, et « Monsieur Odintsov » me paraît trop formel.

      LUI. Prenons un juste milieu. Vous pouvez m’appeler Serguéï.

      ELLE. J’espère mériter le droit de vous appeler de façon plus intime.

      LUI. Mais, tout de même, comment connaissez-vous mon nom? (Après un temps de réflexion :) Peut-être, en bas, à l’accueil?

      ELLE. Peu importe. Je le connais, voilà tout.

      Quelqu’un frappe légèrement à la porte.

      LUI. (Étonné.). On frappe, ou je rêve?

      ELLE. Non, vous ne rêvez pas.

      LUI. (Troublé.). Qui cela peut-il être?

      ELLE. Ouvrez, vous saurez bien.

      LUI. Non.

      ELLE. Vous craignez que l’on me voie dans votre chambre? N’ayez crainte, maintenant il n’y a pas de police des mœurs.

      Après quelque hésitation, l’homme part. On entend un bruit sourd, des voix puis le bruit de la porte qui se ferme. L’homme réapparaît, poussant devant lui un chariot sur lequel il n’est pas difficile d’apercevoir une bouteille de champagne dans un seau à glace, des flûtes et quelques hors-d’œuvre. L’homme a l’air très perplexe.

      LUI. Voici… Le champagne… Il nous vient du restaurant. Le garçon a même refusé l’argent. Il dit que c’est réglé. Bizarre. Je n’ai rien commandé.

      ELLE. Il n’y a rien de bizarre. C’est un don du ciel.

      LUI. (Comprenant.). Voilà pourquoi vous cherchiez le garçon, lorsque nous sortions!… Vous m’obligez à rougir. C’était à moi de le faire, mais ça ne m’est pas venu à l’esprit. Je suis un âne.

      ELLE. Essayez de rectifier ça à l’avenir. (Elle prend son sac à main et se dirige vers la sortie.)

      LUI. Attendez, où allez-vous de nouveau?

      ELLE. Rassurez-vous, je reviens.

      LUI. Vous revenez, c’est sûr?

      ELLE. Pensez-vous que je veuille rester sans champagne? (Elle sort.)

      L’homme, ne sachant que penser, regarde dans le couloir, revient, ôte sa veste, va à nouveau à la porte mais, à ce moment-là, la femme revient. Elle est vêtue d’une robe de soirée et tient dans ses mains une boîte et un petit bouquet de fleurs.

      LUI. (Réjoui et étonné.). Où et comment avez-vous eu le temps de vous métamorphoser si vite?

      ELLE. J’ai décidé de réactiver votre curiosité. (Embrassant du regard la pièce :) Eh bien, qu’attendez-vous? Pourquoi rien n’est-il prêt?

      LUI. Et que faut-il préparer?

      ELLE. Tout de même, quel empoté! Mettons la table ici.

      Ils transportent la table au centre de la pièce.

      ELLE. À présent, versez de l’eau dans le vase.

      La femme sort une nappe de la boîte, en recouvre la table, pose des chandeliers et des chandelles sortis de la même boîte. L’homme, apportant un vase rempli d’eau, y met les fleurs, aide la femme à enlever du chariot le champagne, le couvert et le hors-d’œuvre. La femme installe le vase et allume les chandelles. À présent la table prend un vrai air de fête.

      LUI. Où vous êtes-vous procuré tout cela? Votre absence n’a duré que deux minutes.

      ELLE. C’est un secret.

      LUI. Vous êtes un vrai mystère. Et d’où viennent les fleurs?

      ELLE. De la forêt. Que pouvais-je faire d’autre quand vous-même n’y avez pas pensé?

      LUI. Vous êtes une femme rare.

      ELLE. Visiblement, c’est qu’avant vous n’avez pas eu de chance avec les femmes, c’est tout. Éteignez la lumière.

      LUI. Maintenant c’est confortable et beau. J’aurais été incapable de faire pareil.

      ELLE. Mais vous voyez notre rencontre comme un arrangement alors que moi je veux qu’elle soit un rendez-vous. Eh bien? C’est vous l’hôte. Peut-être, allez-vous m’inviter à m’asseoir et allez-vous ouvrir la bouteille?

      LUI. C’est vous qui avez tout organisé et c’est moi qui me sens invité.

      ELLE. En ce cas, je m’assois sans cérémonie.

      La femme s’assoit. L’homme ouvre la bouteille de champagne et remplit les flûtes.

      LUI. Vous m’offrez une fête remarquable.

      ELLE. Alors buvons à cette fête. Faisons de ce jour notre première fête et nommons cette fête séparation.

      Ils boivent.

      LUI. Je dois avouer que, quand vous le voulez, vous savez être très charmante.

      ELLE. C’est ce que je veux toujours, mais ça ne réussit pas toujours.

      LUI. Ça réussit, croyez-moi. (Il veut à nouveau l’étreindre.)

      ELLE. (S’écartant calmement de ses étreintes.). Si vous ne savez pas où mettre vos mains, versez plutôt du vin. Mon verre est vide, ne le voyez-vous pas?

      LUI. (Regagnant sa place et remplissant les flûtes.). À quoi buvons-nous, à présent?

      ELLE. (Haussant les épaules.). À l’amour. Au succès. À la rencontre. (Avec un ton légèrement moqueur :) Ou bien, vous pouvez boire debout à la santé des belles femmes. N’êtes-vous pas un amateur follement expérimenté et connaisseur du sexe féminin?

      LUI. Eh bien… Alors, je propose de passer au tutoiement.

      ELLE. Pas la peine. Je n’aime pas le tutoiement entre deux personnes qui se connaissent très peu. Par exemple, un supérieur hiérarchique, allez savoir pourquoi, se croit autorisé à tutoyer ses subalternes. Très souvent ce n’est pas un signe d’intimité mais une manifestation de familiarité et de goujaterie. (Regardant l’homme :) Il ne faut pas chercher bien loin les exemples.

      LUI. J’entends votre reproche. Mais maintenant ce « tu » sera tout autre, rien à voir avec celui d’avant. Pas méprisant, mais amical. Et il sera mutuel. Vous êtes d’accord?

      ELLE. Attendons un peu. Le temps n’est pas encore venu pour cela. À propos, au sujet du «tu» méprisant. Je crois comprendre que vous n’avez pas aimé que je vienne m’asseoir à votre table et que, pour le dire simplement, je commence à vous allumer.

      LUI. Eh bien, pour être honnête, ce n’était pas très beau.

      ELLE. Comme vous l’avez dit auparavant, c’était immoral. Pour vous, seules les femmes d’une certaine catégorie peuvent se conduire ainsi.

      LUI. En gros, oui.

      ELLE. Mais si ça n’avait pas été moi mais