Valentin Krasnogorov

Pièces choisies


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un chiffre approximatif ?

      LE VICE-PRÉSIDENT. Deux millions d’euros.

      LE DOCTEUR. Deux millions d’euros ?!

      LE VICE-PRÉSIDENT. Oui, dans ces eaux-là. Comme vous le comprenez, pour une banque cela ne saurait passer pour un dommage. Beaucoup plus graves apparaissent le vol en lui-même et l’escroquerie. Croyez-moi, il me sera très difficile d’étouffer l’affaire.

      LE DOCTEUR. Je comprends et j’apprécie beaucoup. (Il range son portefeuille. À Irène.) Je crains, ma chère, de n’être pas en état de rendre cette modique somme à la banque. Et comment, tout de même, votre frère s’y est-il pris pour perdre si grande quantité d’argent ?

      IRÈNE. (Soupirant.) Au casino, on peut dépenser de telles sommes en trente minutes.

      LE DOCTEUR. Mais ne m’aviez-vous pas vous-même dit, qu’il était le meilleur joueur de cartes ?

      IRÈNE. De cartes, mais pas à la roulette. Et Michel, pour notre malheur, a la passion du jeu.

      JEANNE. (Troublée.) À propos, où est-il ?

      IRÈNE. En effet, où est Michel ? (Elle regarde, inquiète, tout autour d’elle.) Va voir, il est peut-être dans la salle d’attente.

      JEANNE sort précipitamment et revient. Le désarroi se lit sur son visage.

      JEANNE. Il n’y est pas.

      IRÈNE. (D’une voix qui tombe.) Nous l’avons laissé encore échapper.

      LE DOCTEUR. Je ne comprends pas pourquoi vous vous faites autant de soucis pour lui. Vous dites bien qu’il est en parfaite santé ?

      JEANNE. Oui, il est en bonne santé, mais…

      LE DOCTEUR. Mais quoi ?

      IRÈNE. Vous comprenez, il vit très mal le fait que nous soyons dans le malheur à cause de lui.

      LE DOCTEUR. Et alors ?

      IRÈNE. Et il a cette manie : jouer tout son argent. Et plus il joue, plus il perd. C’est pourquoi, ces dernières semaines nous nous efforçons de ne pas le perdre de vue.

      JEANNE. Irène, calme-toi. Il ne peut pas être au casino car en ce moment il n’a simplement pas de quoi jouer. Je lui ai confisqué tout l’argent, même la monnaie.

      LE DOCTEUR. Hum… J’ai peur d’avoir commis un impair.

      Les femmes fixent un regard interrogatif sur LE DOCTEUR. Il avoue, l’air contrit.

      Je lui ai avancé de l’argent.

      JEANNE. Combien ?

      LE DOCTEUR. Mille euros.

      JEANNA. Vous avez perdu la tête ?!

      LE DOCTEUR. (L’air coupable.) Oui, depuis ce matin.

      Un téléphone sonne. IRÈNE sort le sien de son sac.

      IRÈNE. Allo ! Oui, chéri. Où es-tu ? (Elle écoute longuement. Tous sont tendus et l’observent. Sur son visage alternent la peur, l’espoir, la déception, la joie. Ces changements se retrouvent au même moment sur le visage des autres. IRÈNE achève de parler.)

      JEANNE. Alors ?

      IRÈNE. Naturellement, après avoir reçu de l’argent, il a tout de suite filé au casino.

      JEANNE. (Affectée.) Je savais bien.

      IRÈNE. Et il a presque tout perdu.

      JEANNE. Comme toujours.

      IRÈNE. (D’un air triomphal.) Mais ensuite, il a gagné deux millions d’euros ! Il a déjà appelé un taxi et il arrive avec l’argent !

      Euphorie générale.

      JEANNE. (Enlaçant Irène.) Quel bonheur ! (Au vice-président.) Vous aurez votre argent tout de suite.

      LE VICE-PRÉSIDENT. Croyez-moi, je me réjouis de cela plus que tout autre. Un scandale à la banque, Irène sur le banc des accusés, les titres des journaux… Cela m’aurait rendu fou.

      LE DOCTEUR. Tout est bien qui finit bien. Arrosons cela avec du champagne ! (Il ouvre une bouteille et verse le champagne dans les verres.)

      IRÈNE. Aux jours heureux !

      Entre MICHEL, une petite mallette à la main. Il est accueilli par un brouhaha de salutations et de félicitations.

      LE DOCTEUR. Je vous salue, mon cher. Bien sûr, il faudrait vous couper la tête, mais on ne juge pas les vainqueurs. Je vous pardonne, à cause de votre sœur.

      JEANNE. (Enlaçant son mari.) Si tu savais par quels états nous sommes passés !

      IRÈNE. Donne-lui (faisant un signe de tête en direction du banquier) ce maudit argent.

      MICHEL. (Confus.) Quel argent ?

      IRÈNE. Celui que tu as gagné. Où est-il ? Dans la mallette ?

      MICHEL reste silencieux, l’air coupable. Frappée par une intuition soudaine, IRÈNE ouvre en un éclair la mallette. Elle est vide.

      Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu n’as rien gagné ?

      MICHEL. Si, j’ai gagné ! J’ai gagné deux millions. Tu imagines, deux millions !

      IRÈNE. (Avec un soupir de soulagement.) Eh bien, alors, rends-les à la banque.

      MICHEL. Tu comprends, je les ai mis dans la mallette, j’ai appelé un taxi et je t’ai téléphoné. Et après, je me suis dit : vu que ça me réussit autant aujourd’hui, je vais tout risquer. Pas seulement pour rembourser la dette, mais aussi pour assurer nos besoins matériels.

      JEANNE. Et tu as tout perdu ?

      MICHEL. Non, pas tout.

      JEANNE. (Soupirant de soulagement.) Dieu merci.

      MICHEL. Pas tout, mais deux fois plus. (Il se tait.)

      LE VICE-PRÉSIDENT. Et à combien se monte la dette ?

      MICHEL. (Confus.) À quatre millions.

      Tous sont assommés. IRÈNE s’assoit dans le fauteuil, sans aucune force. Le DOCTEUR boit un autre verre de cognac. LE VICE-PRÉSIDENT se prend la tête à deux mains.

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      Примечания

      1

      Eugène Onéguine, Roman en vers d’Alexandre Pouchkine, traduit par Charles Weinstein, éditions L’Harmattan, Janvier 2016.

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