entrer.
LE DOCTEUR revient dans son cabinet. Les deux femmes essuient leurs larmes.
Eh bien, vous ne comprenez toujours rien ?
LE DOCTEUR. Absolument rien.
IRÈNE. Nous allons tout vous expliquer. Le fait est que… (À Jeanne.) Je préfère que tu racontes.
JEANNE. Bien. (Au docteur.) D’abord, buvez vos gouttes. Et asseyez-vous.
LE DOCTEUR s’exécute docilement.
Commençons à faire les présentations. Moi je suis la femme de Michel, il est mon mari. Marina est sa sœur et il est son frère. Vous saisissez ?
LE DOCTEUR. (Tout déconcerté.) « Il est mon mari, Marina est sa sœur… » (Radieux.) Mais c’est merveilleux ! Voilà qui change complètement la donne ! Nous allons le guérir, et alors…
JEANNE. Patientez. Il n’a absolument pas besoin de soins car plus sain que lui tu meurs.
LE DOCTEUR. Attendez, et son amnésie…
JEANNE. C’était de la simulation. Il a une excellente mémoire. Ce n’est pas pour rien qu’il a la réputation de meilleur joueur de cartes de notre ville.
LE DOCTEUR. Alors pourquoi avez-vous…
JEANNE. (Sur le ton d’un avocat.) Docteur, si vous ne cessez pas de poser des questions, nous ne terminerons jamais.
LE DOCTEUR. Pardon.
JEANNE. À présent, écoutez. Il y a deux ans, Michel perd, au casino, une grosse somme. Il supplie Irène de lui donner cette somme et lui promet de la lui rendre rapidement. Sinon, dit-il, on peut l’abattre. Irène lui fait un transfert d’argent par la banque et moi, malheureusement, je n’ai pas tenté de l’en dissuader. Je craignais pour mon mari et les enfants.
LE DOCTEUR. Et ensuite ?
JEANNE. Michel, au lieu de rendre cet argent, le perd, là aussi, au jeu. La dette double. Il court à nouveau voir ma sœur et la supplie de le sauver. Irène aime mon frère à perdre la mémoire et cède. Et de cette façon, nous nous enfonçons tous petit à petit dans un trou dont il n’est plus possible de sortir. Vous n’imaginez pas comme c’est dur : savoir que votre mari joue, qu’il est sur la pente descendante et qu’il entraîne avec lui toute la famille… L’aimer, vouloir le sauver et ne pas être en état de rien changer…
LE DOCTEUR. Bon… Et qu’ai-je à voir avec tout ça ?
JEANNE. (Embarrassée.) Pour être honnête, cette partie de l’histoire n’est pas très agréable à raconter, mais on ne change pas les mots de la chanson. Il y avait un recours, vous, et ça, c’est ma contribution.
LE DOCTEUR. Et en quoi a-t-elle consisté ?
JEANNE. Nous comprenions que l’on ne tarderait pas à être démasqués. J’ai échafaudé un plan : faire en sorte, au plus vite, que Michel soit reconnu irresponsable. Alors, il pourrait éviter le jugement et la condamnation. Mais pour ça, il fallait les conclusions d’un médecin reconnu et honnête. Dans votre genre.
LE DOCTEUR. Ah ! c’est donc ça…
JEANNE. Nous comprenions qu’obtenir de vous par la voie normale une carte médicale était impossible.
LE DOCTEUR. C’est juste.
JEANNE. C’est pourquoi j’ai imaginé de faire donner la grosse artillerie pour vous mettre dans un état de profond désarroi et obtenir de cette manière ce qu’il nous fallait. Nous avons étudié dans le guide médical les symptômes de la maladie et tous les trois nous avons monté cette comédie. (L’air repenti.) Je reconnais que c’était stupide, malhonnête et cruel. Nous regrettons beaucoup.
IRÈNE, durant tout ce temps reste assise, tête baissée.
LE DOCTEUR. Quoi d’autre ?
JEANNE. Rien. C’est tout.
LE DOCTEUR. Irène, est-ce cela que vous vouliez m’avouer ?
IRÈNE. (Sans lever la tête.) Oui.
JEANNE. À présent, vous pouvez nous chasser. D’ailleurs, nous partons de nous-mêmes. Nous ne demandons pas votre pardon, nous ne le méritons pas. (Elle prend Irène par le bras et se dirige avec elle vers la sortie.)
LE DOCTEUR. Attendez. (Plein d’entrain.) Vous croyez m’avoir blessé, mais en réalité vous m’avez extrêmement réjoui.
JEANNE. Comment ?
LE DOCTEUR. (Il a retrouvé optimisme et assurance en soi.) Premièrement, en reconnaissant votre faute et en renonçant. Deuxièmement, il y a encore dix minutes je croyais être tombé dans le marasme et je me croyais malade de la sclérose et, à présent, je me suis convaincu que j’étais en parfaite santé. Et, ce qui est le principal, Irène, voyez-vous, n’est pas mariée, elle est libre !
JEANNE. Oui, libre. Si on fait abstraction du fait qu’on va la coffrer pour huit ans.
LE DOCTEUR. (Effrayé.) Comment « pour huit ans » ? (À Irène.) C’est vrai ?
IRÈNE, muette, hausse les épaules.
JEANNE. On l’arrête demain.
LE DOCTEUR. Je ne laisserai pas faire !
JEANNE. Que pouvez-vous faire ?
LE DOCTEUR. Je ne sais pas encore, mais je ne laisserai pas faire ! Je protesterai ! Je… Je vous donnerai mes conclusions d’expertise sur votre irresponsabilité. À tous les trois. Et à moi aussi, on ne sait jamais.
JEANNE. Docteur, soyez sérieux. La banque exige le remboursement immédiat de la somme.
LE DOCTEUR. Qui exige ? Ce vice-président aux allures de détective ? Faites-le venir. Je vais régulariser cette affaire.
JEANNE. Docteur, c’est impossible.
LE DOCTEUR. J’en ai vu d’autres. Faites venir votre banquier.
JEANNE et IRÈNE échangent des regards. IRÈNE sort.
JEANNE. Comment comptez-vous arranger l’affaire avec la banque ?
LE DOCTEUR. C’est tout simple, je lui verserai ce maudit argent.
JEANNE. Vous n’avez aucune idée de ce que représente la somme.
LE DOCTEUR. Cela ne m’intéresse pas.
JEANNE. Je crains que votre bourse ne soit pas assez ronde.
LE DOCTEUR. N’ayez crainte. Je suis un homme très fortuné.
JEANNE. Et pourquoi vous priveriez-vous de votre argent pour des inconnus, qui, de plus, vous ont trompé ? L’argent vous encombre, peut-être ?
LE DOCTEUR. Et il me sert à quoi ? Comme tous les gens riches je suis un régime et je ne mange rien de gras, de salé, d’épicé, de cher et de goûteux. Et le reste du temps, je travaille.
Entrent IRÈNE et LE VICE-PRÉSIDENT. LE DOCTEUR s’adresse à lui.
Mon cher, peut-on, pour quelques misérables billets poursuivre une si charmante femme ?
LE VICE-PRÉSIDENT. L’argent, bien sûr, compte pour rien. Il est des choses, dans la vie, autrement plus importantes : l’amour, la beauté, la santé, la bonté…
LE DOCTEUR. Je ne vous le fais pas dire.
LE VICE-PRÉSIDENT. D’un autre côté, si l’argent compte pour rien, alors pourquoi ne pas le rendre ?
LE DOCTEUR. Parce que son frère l’a perdu en jouant au casino. Elle n’a pas un centime.
LE VICE-PRÉSIDENT. (À Irène.) Est-ce vrai ?
IRÈNE ne répond pas.
Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?
IRÈNE. Qu’est-ce que ça aurait changé ?
LE