que nous allons aborder est autrement plus sérieux.
IRÈNE. Eh bien, parlez.
L’HOMME. Vous avez soutiré à la banque une somme, vous savez laquelle. L’argent, il est vrai, n’a pas été transféré sur votre compte, mais vous savez parfaitement ce qui vous attend.
IRÈNE. La prison.
L’HOMME. Tout à fait. Vous étiez considérée comme une employée modèle. Pour vous dire la vérité, à cette heure encore je suis admiratif de l’art avec lequel vous avez mis sur pied cette combinaison. Deux ans durant, la banque est restée sans remarquer qu’une petite ligne superflue du programme informatique conduisait à une fuite d’argent.
IRÈNE. Encore faudra-t-il prouver, que c’est moi qui ai ajouté cette ligne.
L’HOMME. Les experts s’en chargeront.
LA FEMME. Reste à savoir qui a le plus d’expérience, de vos experts ou de moi ? Qu’attendez-vous de moi ?
L’HOMME. Rendez l’argent et la banque ne vous assigne pas en justice.
IRÈNE. Que me vaut cette bienveillance ? Est-ce parce que je ne vous suis pas tout à fait indifférente ?
L’HOMME. Vous ne m’êtes pas pas du tout indifférente, mais dans le cas présent mes considérations sont d’ordre purement commercial. Il n’est pas du tout dans l’intérêt de la banque, que le public sache que nos collaborateurs volent l’argent des déposants. Nous perdrions alors des milliers de clients et des centaines de millions d’euros. C’est pourquoi notre intérêt est d’étouffer l’affaire.
IRÈNE. Quand faut-il rendre l’argent ?
L’HOMME. Aujourd’hui. Dans le cas contraire, vous serez arrêtée demain.
IRÈNE. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Du reste, demain, non plus. Pas plus qu’après-demain.
L’HOMME. Pourquoi ?
IRÈNE. Parce que je n’ai pas d’argent. Et que je n’en aurai pas.
L’HOMME. Bien. J’ai dit, ce que j’avais à dire. Veuillez réfléchir. Il vous reste peu de temps. (Il se lève, va vers la sortie, s’arrête. Son ton change.) Irène, vous savez ce que j’éprouve pour vous.
IRÈNE. Je sais.
L’HOMME. Pourquoi avez-vous fait cela ?
IRÈNE. Parce que… parce que je l’ai fait.
L’HOMME. Mais, tout de même, où est l’argent ?
IRÈNE. Ce n’est pas pour moi que je l’ai pris.
L’HOMME. Je m’en doutais. Alors, que cette personne soit coffrée ! En définitive, c’est lui qui a empoché l’argent, et vous, formellement, vous n’êtes pas coupable. On peut expliquer cette ligne du programme par une erreur technique. Qu’est-ce que vous en dites ?
IRÈNE. (Après un moment de silence.) Donnez-moi un peu de temps pour réfléchir.
L’HOMME sort. Entre LE DOCTEUR.
LE DOCTEUR. Qui est cet homme ?
IRÈNE. Le vice-président de la banque.
LE DOCTEUR. Que vous voulait-il ?
IRÈNE. C’est sans importance. Docteur, je dois vous faire un aveu.
LE DOCTEUR. (Essayant de plaisanter.) D’un amour, j’espère ?
IRÈNE. Non, simplement un aveu. (Elle se tait.)
LE DOCTEUR. Vous vouliez, déjà auparavant, me dire quelque chose de très important, mais l’arrivée de cette personne vous en a empêchée.
IRÈNE. Oui.
LE DOCTEUR. Mais avouez donc, enfin !
IRÈNE. Vous allez me mépriser.
LE DOCTEUR. Ne dites pas de bêtises. (Et, comme Irène se tait, il continue.) Si vous ne vous décidez pas à avouer, alors permettez que je le fasse. Vous êtes la femme que je rêvais de rencontrer depuis longtemps. Si vous n’aviez pas été mariée, je vous aurais fait une proposition. Seulement, ne riez pas de moi.
IRÈNE. J’ai envie de pleurer, pas de rire.
LE DOCTEUR. Réfléchissez : si on ne réussit pas à guérir votre mari, il vous faudra de toute façon vous séparer de lui. Et alors, je m’occuperai de lui et de vous. Je suis bien pourvu et je ferai ce qu’il faut pour vous rendre heureuse. Et, c’est le plus important, j’ai un penchant pour vous.
IRÈNE. C’est effectivement le plus important.
LE DOCTEUR. À présent, dites-moi, ce que vous vouliez me dire.
IRÈNE. Justement, il m’est à présent encore plus difficile de m’y résoudre. Le fait est que…
Entre JEANNE. Ne s’attendant pas à voir IRÈNE en compagnie du DOCTEUR, elle s’arrête médusée.
IRÈNE. Pourquoi restes-tu plantée ? Viens t’asseoir.
LE DOCTEUR. (Étonné.) Vous vous connaissez ?!
IRÈNE. Comme vous le voyez.
LE DOCTEUR. Je ne comprends rien.
IRÈNE. Nous n’allons pas tarder à vous expliquer. Laissez-nous seulement discuter seule à seule, d’abord. Je vous appellerai.
Pause. LE DOCTEUR sort.
Le pot aux roses est découvert. La banque exige le remboursement.
JEANNE. (Elle est abasourdie.) Déjà ?
IRÈNE. Ça devait arriver un jour ou l’autre.
JEANNE. Oui, mais c’est quand même tellement inattendu. Et tellement terrible. (Se ressaisissant.). Il nous faut, sans perdre de temps, mener jusqu’au bout notre manigance contre le docteur.
IRÈNE. Je ne veux pas.
JEANNE. Pourquoi ?
IRÈNE. Réfléchis toi-même aux rôles peu envieux que nous jouons. Pourras-tu, après cela, te respecter ?
JEANNE. Mieux vaut ne pas se respecter à l’air libre, que se respecter dans sa geôle.
IRÈNE. Ce que nous faisons n’est pas bien.
JEANNE. Nous ne faisons que nous battre pour nous.
IRÈNE. Tout en brisant le docteur.
JEANNE. Je ne comprends pas, tu t’es amourachée de lui, ou quoi ?
IRÈNE. Et si c’est le cas, tu dis quoi ?
JEANNE. Je dis qu’il y a un âge où les femmes ne tombent plus amoureuses.
IRÈNE. Cet âge-là n’existe pas pour les femmes.
JEANNE. Reste raisonnable. De toute façon, il n’y a pas d’autre issue.
IRÈNE. Il y a une issue : tout avouer.
JEANNE. Et mettre en l’air toute notre vie.
IRÈNE. Ne t’inquiète pas, je prends tout sur moi.
JEANNE. Tu crois que c’est de l’héroïsme, mais c’est une connerie.
IRÈNE. C’est un calcul. (Avec douceur.) Réfléchis toi-même. Si nous menons à bien notre plan, alors, le plus probable, c’est que nous serons pris tous les quatre : nous trois, pour escroquerie et le docteur pour une fausse carte médicale. Mais en cas d’aveu, je suis seule à faire de la prison et vous restez en liberté. De plus, vous avez des enfants, alors que moi je suis seule. Et je ne parle pas de la conscience nette.
JEANNE. (Après avoir longuement pesé le pour et le contre.) Tu as sûrement raison. (Elle pleure.) Mais quelle ordure je suis : c’est ensemble que nous avons fait des conneries et c’est toi seule qui devras payer. Pardonne-moi. (Elle enlace Irène.)
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