DOCTEUR. Le voudrions-nous que nous ne pourrions parler de femme à femme.
L’HOMME. Vous avez raison.
LE DOCTEUR. Eh bien, accouchez, ne craignez rien, qu’est-ce qui vous amène ?
L’HOMME. Je ne sais par quoi commencer…
LE DOCTEUR. Soyez plus hardi, vous n’avez pas à avoir honte du tout. La quasi-totalité des hommes rencontrent ces problèmes-là.
L’HOMME. Comment connaissez-vous mes problèmes ?
LE DOCTEUR. Je les devine.
L’HOMME. Vous ne pouvez pas les connaître. Le fait est que… Comment le dire…
LE DOCTEUR. Allons, allons, ne rougissez pas. Vous êtes venu voir un médecin. Et ici, les secrets sont gardés.
L’HOMME. (Après hésitation.) Bon, ça va. Pour être honnête, j’avais d’abord décidé de me faire passer pour malade. Mais maintenant, je me dis, pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?
LE DOCTEUR. Ainsi, vous n’êtes pas malade ?
L’HOMME. Non.
LE DOCTEUR. Que faites-vous donc ici ?
L’HOMME. Je cherche une femme.
LE DOCTEUR. Puis-je vous confier un secret ? Je ne suis pas une femme.
L’HOMME. Ce n’est pas le moment de plaisanter. L’affaire est très sérieuse.
LE DOCTEUR. Qui est-elle pour vous ? Votre épouse, peut-être ?
L’HOMME. (Après une certaine hésitation.) Oui.
LE DOCTEUR. Mais qu’est-ce que je viens faire là ?
L’HOMME. Je sais, qu’elle sort juste d’ici.
L’HOMME. Je ne diffuse pas d’informations concernant mes visiteurs.
L’HOMME. Cette fois-ci, vous devez faire une exception.
LE DOCTEUR. J’aimerais bien savoir pourquoi !
L’HOMME. Parce que je l’aime à en perdre la mémoire.
LE DOCTEUR. Vous aimez votre femme ?!
L’HOMME. Oui. Et alors ?
LE DOCTEUR. Non, rien. C’est très touchant.
L’HOMME. Bon, où est-elle ?
LE DOCTEUR. Votre femme n’est pas venue ici.
L’HOMME. Elle est venue, je le sais avec certitude.
LE DOCTEUR. Son nom ?
L’HOMME. Grelot.
LE DOCTEUR. (Stupéfait.) Grelot ? Vous en êtes sûr ?
L’HOMME. Certain.
LE DOCTEUR. Pas Goulot ?
L’HOMME. Non.
LE DOCTEUR. Bibelot ? Angelot ?
L’HOMME. Je vous dis que non.
LE DOCTEUR. M-m-m, m-m-m… (Gagné par l’émotion, il arpente la pièce.) Donc, votre femme s’appelle… Vous pouvez me rappeler comment ?
L’HOMME. Grelot.
LE DOCTEUR. Fantastique. En entrant dans ce cabinet, vous avez, ce me semble, croisé à la porte une personne. Vous vous rappelez ?
L’HOMME. Vous avez en vue la femme en costume prince de galles ajusté, aux yeux sombres, avec un grain de beauté sur la joue gauche, une petite écharpe de gaze lilas autour du cou et un sac à main noir ?
LE DOCTEUR. Elle, en effet. Que pouvez-vous dire sur elle ?
L’HOMME. Rien. Je ne lui ai pas prêté la moindre attention.
LE DOCTEUR. M-m-m, m-m-m… vous ne lui avez pas prêté attention. Pas la moindre. (Explosant.) Foutez le camp, et que je ne vous revoie plus ici !
L’HOMME. Docteur, je ne vous comprends pas. Pourquoi…
LE DOCTEUR. (L’interrompant.) Mais parce que vous vous êtes retrouvé nez à nez, à l’instant, avec madame Grelot. Admettons que vous ne lui ayez pas prêté attention. Mais elle aussi vous est passée devant tranquillement !
L’HOMME. Mais qui elle est, je n’en ai aucune idée ! Je ne l’ai jamais vue auparavant !
LE DOCTEUR. Donc, ce n’est pas votre femme ?
L’HOMME. Bien sûr, que non ! De plus, je suis divorcé depuis longtemps. Depuis deux ans.
LE DOCTEUR. Comment ça « divorcé » ? Mais vous aimez votre femme à en perdre la mémoire !
L’HOMME. Oui-oui, bien sûr… Ensuite, je me suis remarié.
LE DOCTEUR. Vous vous êtes remarié ? Très bien. Et votre femme s’appelle, vous m’avez dit…
L’HOMME. Grelot. Irène Grelot.
LE DOCTEUR. Comment avez-vous dit ? Irène ?
L’HOMME. Oui, Irène.
LE DOCTEUR. Mais, voyons, elle est mariée ! Avec Michel.
L’HOMME. (Il est stupéfait.) Avec quel Michel ?
LE DOCTEUR. Son mari.
L’HOMME. Ça ne se peut pas ! Elle n’est pas mariée ! Je veux dire, qu’elle est mariée avec moi.
LE DOCTEUR. Mais qu’est-ce que vous attendez de moi ?
L’HOMME. Je sais qu’elle est venue ici. Il est probable qu’elle revienne encore. Aidez-moi à la rencontrer.
LE DOCTEUR. Mon métier n’est pas de rechercher les femmes des autres. Et je ne suis pas certain qu’Irène soit votre femme. Et qu’elle s’appelle Irène. Et qu’elle viendra ici. Et je suis encore moins certain qu’elle existe vraiment.
L’HOMME. Elle existe !
LE DOCTEUR. Alors, rentrez chez vous et attendez-la là-bas. (Il le pousse vers la sortie.)
L’HOMME. (Opposant une résistance.) Docteur, je vous en supplie…
LE DOCTEUR. Je ne peux vous aider en rien. Au revoir. Pas par là, cette porte n’est destinée qu’à l’entrée des patients. Par ici, s’il vous plaît.
LE DOCTEUR accompagne L’HOMME vers la sortie de secours et reste seul près de la table où est posée la valériane. Son visage reflète une évidente perplexité.
FIN DU PREMIER ACTE
ACTE II
LE DOCTEUR est dans son cabinet. Entre IRÈNE, dans une robe très élégante.
IRÈNE. (Gaiement.) Bonjour, docteur ! Me revoilà !
LE DOCTEUR. (Extrêmement froid.) Si je peux me permettre, qui êtes-vous ?
IRÈNE. (Étonnée, mais non sans coquetterie.) Dieu, que se passe-t-il avec votre mémoire ? Trente petites minutes et vous m’avez oubliée ! Il a suffi que je change de robe pour que vous ne me reconnaissiez plus !
LE DOCTEUR. Je vous reconnais parfaitement. Et c’est précisément pour cela que j’aimerais savoir, qui vous êtes. Montrez-moi vos papiers d’identité.
IRÈNE. Pour quoi faire ? Je m’appelle Irène, vous le savez, voyons.
LE DOCTEUR. Comment puis-je savoir que vous vous appelez vraiment Irène ? Du reste, quand bien même ce serait Irène, cela ne signifie rien. Vos papiers, s’il vous plaît.
IRÈNE. Je ne les ai pas avec moi.
LE DOCTEUR. Et moi, je vous redemande encore une fois : vos papiers !
IRÈNE ouvre son sac, fouille, mais au lieu de la carte d’identité prend un mouchoir, sanglote et commence à essuyer ses larmes.
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