(Se reprenant.) Excusez-moi, je suis effectivement fatigué. Où en étions-nous ?
MICHEL. Vous demandez à faire une petite pause.
LE DOCTEUR. Quelle pause ? Ah ! oui… Attendez, je vous prie, dans la salle d’attente. Je vous appellerai.
MICHEL se dirige vers la sortie, mais revient.
MICHEL. À propos, c’est au sujet des relations intimes… Dites, ma maladie n’est pas contagieuse ?
LE DOCTEUR. Fondamentalement, non. Quoique… (Il réfléchit. Une idée désagréable lui vient à l’esprit. Son visage s’assombrit.) Récemment il a été émis l’hypothèse que certaines formes de sclérose seraient dues à des virus et seraient contagieuses.
MICHEL. Donc, vous voulez dire…
LE DOCTEUR. (L’interrompant.) Éloignez-vous de moi. (Il met à la hâte un masque de protection et se regarde, inquiet, dans un miroir.)
MICHEL. Vous n’avez toujours pas répondu à ma question.
LE DOCTEUR. Mais allez-vous me laisser tranquille, ne serait-ce que cinq minutes ?
MICHEL sort. Le DOCTEUR prend sur l’étagère un gros livre médical de référence et commence à le feuilleter fébrilement, puis le jette de côté. Il prend la bouteille thermos et se verse du café, tente de le boire mais est gêné par le masque de protection. Il l’ôte, avale de petites gorgées et petit à petit retrouve son calme. Il remarque la note laissée sur le bureau par MICHEL et, tout en la regardant, compose le numéro.
LE DOCTEUR. Allo ? Irène ? Excusez-moi, c’est à nouveau le docteur. Je voulais vous dire, que, bien que vous m’ayez traité d’insolent, vous avez une voix très agréable. Ce n’est rien. C’était un malentendu. Seulement voilà, un de mes patients affirmait que vous étiez sa femme. Michel Grelot. Comment ?! Vous êtes effectivement sa femme ? Mais vous aviez dit que vous n’aviez pas de mari ! Pardon, je ne voulais absolument pas vous offenser. Dire à une femme qu’elle n’a pas de mari, ça n’est quand même pas lui faire offense. Oui… Oui… Je comprends. Je comprends. Je comprends. (La conversation est interrompue.) C’est à n’y rien comprendre.
Entre MICHEL.
MICHEL. Vous permettez ?
LE DOCTEUR. (Remettant son masque à la hâte.) Je vous en prie.
MICHEL. (Il s’avance vers le Docteur et lui dit à mi-voix à l’oreille.) Docteur, je souffre d’amnésie.
LE DOCTEUR. (S’écartant.) Je sais.
MICHEL. (Étonné.) Comment le savez-vous ?
LE DOCTEUR. C’est vous-même qui l’avez dit.
MICHEL. Quand ?
LE DOCTEUR. À l’instant. Et avant, aussi.
MICHEL. Comment ai-je pu vous le dire, si je vous vois pour la première fois ?
LE DOCTEUR. Pour la première fois ? Moi ?
MICHEL. Et de plus, je le cache à tout le monde. Je ne peux confier ce secret qu’à un médecin.
LE DOCTEUR. Mais je suis médecin, bon sang !
MICHEL. (Réjoui.) C’est vrai ? Enfin ! Alors, voilà, docteur, je souffre d’amnésie.
LE DOCTEUR prend un carafon d’eau et se verse à boire, prend un comprimé et l’avale.
(Compatissant.) Vous vous sentez mal ?
LE DOCTEUR. (Portant sa main au cœur.) Oui.
MICHEL. Vous êtes réellement médecin ?
LE DOCTEUR. Bien entendu.
MICHEL. Alors, pourquoi vous sentez-vous mal ? Seuls les malades se sentent mal, et les docteurs se sentent toujours bien.
LE DOCTEUR. Ne respirez pas si près de moi. Que voulez-vous de moi ?
MICHEL. Ce que je veux ? Rien. C’est vous-même qui êtes venu ici, je ne vous ai pas fait venir.
LE DOCTEUR. Moi ? Venu ? Vous ne m’avez pas fait venir ?
MICHEL. Mon cher, vous avez mauvaise mine. Qu’est-ce qui pourrait bien en être la cause ?
LE DOCTEUR. (Ironique.) En effet, qu’est-ce qui pourrait bien en être la cause ?
MICHEL. Il vous faut prendre davantage soin de votre santé. Mais n’en soyez pas contrarié. Je vous aiderai.
LE DOCTEUR. Merci.
MICHEL. Respirez plus profondément. Détendez-vous. Voilà, comme ça… Prenez ce comprimé. Vous allez mieux ?
LE DOCTEUR. (Le comprimé avalé, morose.) Je vais mieux.
MICHEL. (Prenant place dans le fauteuil du médecin.) Alors, vous pouvez y aller. D’autres patients m’attendent. Appelez le malade suivant.
Confondu, LE DOCTEUR va vers la sortie, mais, se ressaisissant, s’arrête.
LE DOCTEUR. (Avec une fureur contenue.) J’appelle ! J’appelle les ambulanciers et ils vous expédieront, vous savez où ?
MICHEL. Où ?
LE DOCTEUR. (Il hurle.) Silence ! C’est moi, moi qui suis médecin, et pas vous ! retenez cela, bon sang ! (Il a du mal à retrouver une contenance.) Excusez-moi, il est dans mes obligations de vous soigner, pas de crier après vous. Poursuivons notre conversation. (Il s’assoit à sa place.)
Entre une Femme extrêmement piquante, bien habillée.
LA FEMME. Bonjour.
MICHEL. (Joyeux.) C’est toi ?
LA FEMME. Comme tu vois, chéri.
MICHEL. Ça tombe bien, que tu sois venue !
MICHEL et LA FEMME s’enlacent et s’embrassent.
LA FEMME. Arrange ta chemise et coiffe-toi. Comment vas-tu ?
MICHEL. À merveille.
LE DOCTEUR. Permettez, qui êtes-vous ?
MICHEL. C’est ma femme.
LA FEMME. (Tendant la main au docteur.) Je m’appelle, comme vous le savez déjà, Irène. Irène Grelot.
LE DOCTEUR. Enchanté.
IRÈNE. Lorsque vous m’avez téléphoné, j’étais tout proche. Aussi, ai-je décidé de passer ici.
LE DOCTEUR. Et vous avez bien fait.
IRÈNE. Je ne vous dérange pas ?
LE DOCTEUR. Au contraire, vous pouvez nous aider beaucoup. J’ai accumulé grand nombre de questions, auxquelles j’aimerais apporter une réponse sensée.
IRÈNE. (À Michel.) Mon cher, attends-moi un petit moment dans la salle d’attente, puis nous rentrerons ensemble à la maison. (Elle l’accompagne vers la sortie et revient.) Vous ne me proposez pas de m’asseoir ?
LE DOCTEUR. (Ôtant son masque.) Oh ! excusez-moi ! Asseyez-vous. Pas là, c’est la chaise des patients. Sur le canapé, s’il vous plaît. Une tasse de café ?
IRÈNE. Non, merci. Où en êtes-vous au niveau du traitement de mon mari ?
LE DOCTEUR. Je ne vous cacherai pas que nous rencontrons des difficultés de taille.
IRÈNE. Je suis sûr qu’un aussi brillant médecin que vous les surmontera.
LE DOCTEUR. (Flatté.) D’où savez-vous que je suis un bon médecin ?
IRÈNE. C’est une chose que tout le monde sait.
LE DOCTEUR. (Flatté.) Oui bon, tout le monde…
IRÈNE. Je vous assure. Vous avez une telle renommée, n’est-ce pas ? De plus, comment ne pas vous connaître,