jamais on me libérait, je ne laisserais pas le démon alcool me remettre dans un tel pétrin. Dans les moments de grande détresse comme ceux-ci, je demandais à Dieu de m’aider.
J’ai eu de la chance, on m’a relâché après onze jours et onze nuits d’internement dans cette « académie de fous » – l’asile. J’en avais assez. Je ne souhaitais pas y revenir. Je me suis trouvé un emploi de gérant d’un club et j’ai voulu tester ma résistance. J’allais vraiment affirmer ma volonté. J’ai même tenu le bar pendant quelque temps, mais je n’ai jamais bu. Cela a duré environ trois mois.
Je me suis rendu au congrès annuel de mon ancienne division et je me suis réveillé enfermé dans une chambre d’un hôtel minable, sans mes chaussures, ma veste, mon chapeau et mon porte-monnaie. J’avais évidemment fait une vilaine rechute.
Puis vint une période de grande consommation accompagnée de grosses difficultés. Après quelques arrestations pour ivrognerie, le tribunal a décidé qu’un autre séjour à l’hôpital d’État me calmerait. Cette fois, mon séjour est passé de onze jours à onze semaines. Je commençais à trouver la situation difficile. Je suis sorti en bonne forme physique et avec la peur d’être interné une nouvelle fois, cette fois pour onze mois. Je suis resté abstinent pendant environ deux mois et je suis re-parti sur la bringue.
J’étais terriblement faible – je ne pouvais manger et j’essayais de me nourrir à l’alcool, la plupart du temps frelaté. Une fois, je me suis rendu de justesse à l’hôpital et, une autre fois, une patrouille de police m’a amené à l’hôpital au lieu de la prison. Je souffrais beaucoup d’insomnie. Trois injections au bras n’ont produit aucun résultat.
Je me requinquais et je repartais une nouvelle fois sur la bringue. C’était une lutte à mort. Je devais recevoir ma prime de militaire. J’avais droit au maximum. Des amis ont conseillé à mes parents de m’envoyer dans un hôpital pour anciens combattants avant que je ne touche l’argent. J’ai été de nouveau interné, détenu dans une prison de comté puis envoyé une nouvelle fois à l’asile. C’est devenu ma résidence d’été pendant trois mois. J’étais sur la liste d’attente pour l’hôpital des anciens combattants, mais j’avais tellement repris la forme en mangeant et en travaillant à l’extérieur qu’on m’a libéré.
Je suis rentré à la maison avec beaucoup de ressentiment à l’égard de mes parents qui avaient mis mon argent en tutelle. Je suis sorti, je me suis saoulé et je me suis retrouvé en prison – j’avais quitté l’asile à peine huit heures plus tôt. Quel pétrin – derrière les barreaux de nouveau et si rapidement ! Cependant, on m’a libéré le lendemain et cela a été mon dernier internement légal. J’ai commencé à me servir de ma tête, j’ai continué à boire mais je l’ai fait en cachette ou perdu dans les « jungles » parmi les malfrats.
Quelques mois plus tard, j’ai rencontré un vieil ami. Il m’avait vu à quelques reprises dans les bars. Dans notre jeunesse, nous avions bu ensemble, particulièrement dans les clubs sociaux. Il avait entendu parler de mes difficultés. Il avait cessé de boire et semblait bien. Il m’a encouragé à lui rendre visite dans une ville voisine.
Je voulais cesser de boire, mais je ne croyais pas pouvoir y parvenir. J’ai accepté d’entrer à l’hôpital en tant que patient d’un médecin qui avait été alcoolique pendant des années et qui était devenu un nouvel homme.
C’est presque troublant – je suis sorti huit jours plus tard à peine, un nouvel homme. En langage clair, ce médecin était un homme merveilleux – il a passé plusieurs heures à me raconter son expérience avec l’alcool. D’autres membres de son groupe, peu nombreux à l’époque, m’ont rendu visite et m’ont raconté leur histoire. Je ne les connaissais pas, mais ils m’ont traité en ami. J’ai été impressionné par leur intérêt et leur camaraderie. J’ai appris leur secret. Ils avaient eu une expérience religieuse. J’étais prêt et j’ai fait de nouveau connaissance avec Dieu et j’ai reconnu Sa réalité.
J’ai trouvé que c’était facile. Je suis revenu à la vie et je suis libre depuis maintenant deux ans. J’espère ne plus jamais prendre un verre. Je refais ma réputation et presque chaque jour, on me complimente sur mon apparence.
Je vois la vie d’une manière différente. J’attends chaque jour avec bonheur parce que la vraie joie pour moi, c’est d’être sain, abstinent et respectable. Je vivais d’un verre à l’autre, sans me rendre compte des circonstances, des conditions ou même de la nature. Ma conscience de Dieu – que j’ai perdue jeune homme – est renouvelée. Dieu est amour et pardon. Les souvenirs de mon passé s’effacent peu à peu grâce à la vie à laquelle j’aspire maintenant.
PORTÉ PAR LES RAILS
Quatorze ans et en bonne santé, j’étais prêt – un Whittington américain qui avait mieux à faire pour se déplacer que de marcher. Le sifflet qui disait « libérez la voie » d’un train de marchandise traversant le passage à niveau au loin m’appelait comme une sirène. Un soir, je me suis enfui de la ferme familiale et je me suis rendu à la cour de triage lointaine. Me faufilant entre deux trains le long d’un sentier qui semblait sans fin, je me suis rendu à l’extrémité de la cour. Parfois, je passais devant une ombre silencieuse, immobile. Plus loin, un petit groupe qui discutait. Me rapprochant, j’ai écouté avec attention. Je venais de faire connaissance avec mes premiers clochards. Ils parlaient d’endroits qui m’étaient inconnus. Cette ville était bien. On pouvait se débrouiller sur le Bowery tout l’hiver si on savait s’y prendre ; cette autre ville était « hostile » ; trente jours pour « vagabondage » vous attendaient si vous ne descendiez pas du train avant que les « bœufs » ne passent le train au peigne fin.
C’est alors qu’ils m’ont aperçu. Un p’tit nouveau est toujours intéressant pour les aventuriers du rail. « Où tu vas, le jeune ? »
Je les avais entendus parler de « Dee-troit » et cela m’a semblé une bonne réponse. Je n’avais pas fait de plan, je voulais seulement partir, n’importe où, mais partir !
« Le Michigan Manifest ne devrait pas tarder ; je crois qu’il s’apprête à partir. » Le grand clochard qui m’avait parlé a saisi mon bras. « Arrive, le jeune, nous allons t’aider. »
Soudain, je me suis senti important. Je m’étais échappé ! Les deux clochards discutaient, le plus grand à propos du travail qu’il trouverait à Détroit, l’autre préférant rester sur la route. Tout à coup, celui qui m’avait soulevé a commencé à me poser des questions. Je lui ai dit que j’avais fui la ferme. De façon un peu hésitante, il m’a mis en garde contre l’habitude des trains car elle m’ensorcellerait jusqu'à ce que je ne désire que bouger. Le balancement du wagon à mesure que le train prenait de la vitesse eut sur moi l’effet d’une berceuse. Je me suis endormi.
Je me suis éveillé, il faisait jour. Mes deux compagnons étaient déjà en train de discuter. Le temps a passé. Nous avons traversé des villages. Bientôt, le train serpentait entre les usines et les énormes entrepôts, croisant les rails dans un cliquetis sonore et il est entré dans une cour de triage. Ils m’ont aidé à descendre. Nous étions à Détroit.
Mes amis clochards se sont séparés à une intersection. Le plus grand m’a emmené avec lui en ville et nous a pris une chambre chez la « Mère Kelly », une gentille propriétaire irlandaise. « Prends patience, le jeune, a-t-il dit. Je t’aiderai de mon mieux. Je vais me trouver du travail. »
Il a trouvé du travail. Pendant près de deux ans, il s’est occupé de moi. Il était toujours vigilant, me guidant au travers des pièges et des embûches qui guettent toujours un jeune garçon. Ce clochard, Tom Casey, qui ne parlait jamais de sa vie sauf comme exemple de « ce qu’il ne faut pas faire », m’a fait ouvrir un compte à la banque et m’a forcé à le faire profiter. C’est grâce à lui que je ne suis pas devenu un « enfant des rues », que je ne suis jamais devenu clochard. Puis, un jour, il est parti. La route