Anonyme

Expérience, force et espoir


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les salles de billard et il était évident que j’apprendrais rapidement à gérer un bock de bière et un « coup » occasionnel. Le travail ne manquait pas. Quand je ne me sentais pas bien le ma-tin, après une nuit avec les « copains du coin », je n’allais pas travailler. J’ai perdu des emplois. Mon compte en banque s’est vidé. Mes nouveaux amis des salles de billard n’étaient pas d’un grand secours. J’étais lessivé.

      C’était l’été, et les bancs de parc, même durs et inconfortables, m’attiraient plus que les sordides « planques » des quartiers défavorisés de la ville. J’ai donc passé quelques nuits à la belle étoile. Jeune et plein d’énergie, je me suis cherché du travail. C’était la guerre et il y avait beaucoup de travail. Je suis devenu manœuvre dans un atelier d’usinage et j’ai rapidement progressé de la perceuse à colonne, à la machine à fraiser, au tour. Je pouvais quitter un emploi un jour et en trouver un mieux rémunéré le lendemain. Bientôt, j’avais une nouvelle pension, des vêtements neufs et de l’argent. Cependant, je n’ai jamais ouvert un nouveau compte en banque. « J’ai bien le temps pour cela », pensais-je. Je passais mes week-ends selon ma conception du « bon temps », qui se sont finalement transformés en beuveries et en débauches le samedi et le dimanche. J’ai été victime moi aussi de la boisson droguée, j’ai été battu et dépouillé de mon argent. Cela n’a eu aucun effet de dissuasion. Je pouvais toujours me trouver un autre emploi pour vivre confortablement en quelques semaines. Cependant, je me suis rapidement lassé de la routine épuisante de la consommation et du travail. J’ai commencé à détester la ville. À bien y penser, mon adolescence à la ferme ne me semblait pas si mauvaise.

      Non, je ne suis pas rentré à la maison ; j’ai plutôt trouvé du travail pas trop loin. Je buvais toujours. Incapable de rester en place, j’ai emprunté un train de marchandise vers une ville du Michigan où je suis arrivé sans le sou tard dans la nuit. Je me suis mis à la recherche d’amis. Ils m’ont aidé à trouver du travail. Lentement, j’ai commencé à progresser de nouveau dans l’échelle industrielle pour atteindre finalement un poste de responsabilité comme ajusteur de machinerie dans une grande usine. J’étais de nouveau au sommet. La satisfaction de la réussite me faisait croire que j’avais désormais le droit de m’amuser de nouveau pendant les week-ends. Les week-ends se sont étendus au mardi et au mercredi, jusqu’à ce que je ne travaille plus que du jeudi au samedi, en pensant constamment à la bouteille. D’une certaine façon, j’avais fixé le moment où j’arrêterais de boire, mais c’était dans une bonne quinzaine d’années et je me disais : « Au diable ! Je vais m’amuser pendant que je suis jeune. »

      Puis, j’ai été congédié. Dans un accès de dépit, j’ai bu mon dernier chèque. Quand j’ai dessaoulé, j’ai trouvé un autre travail, puis un autre, et un autre coup sur coup. J’étais bientôt de nouveau sur les bancs du parc. Une fois de plus, j’ai eu de la veine quand tout semblait bien sombre. Un vieil ami a offert de me trouver du travail comme chauffeur d’autobus. Il a dit qu’il paierait mon uniforme et m’accueillerait chez lui si je promettais d’arrêter de boire. J’ai, bien sûr, promis. Après trois jours en fonction, le superviseur de la ligne d’autobus m’a convoqué à son bureau.

      « Jeune homme, a-t-il dit, dans votre demande d’emploi vous dites ne pas consommer d’alcool. Comme nous vérifions toujours les références de nos candidats, trois des entreprises où vous avez travaillé nous ont dit que vous étiez compétent mais que vous aviez un problème de boisson. »

      Je l’ai regardé. Tout cela était vrai, ai-je admis, mais il y avait si longtemps que je cherchais du travail que je considérais ce poste comme l’occasion de me racheter. Je lui ai répété ce que j’avais promis à mon ami, que je faisais sérieusement des efforts et que je ne buvais pas une goutte. Je lui ai demandé de me donner une chance.

      Il a dit : « Quelque chose me fait croire que vous êtes sérieux. Je crois que vous êtes sincère. Je vais vous donner une chance et vous aider à vous rétablir. »

      Il m’a serré la main en forme d’amitié et d’encouragement. J’ai quitté son bureau rempli d’espoir. « John Barleycorn* ne me conduira jamais plus à ma perte », me suis-je dit, bien déterminé.

      Pendant trois mois, j’ai fait mon trajet régulièrement sans problème. Mes employeurs étaient satisfaits. Je me sentais bien. Cette fois, j’avais vraiment cessé de boire, non ?

      En effet, j’avais bien arrêté de boire.

      J’ai rapidement remboursé mon ami qui m’avait avancé de l’argent et j’ai même fait quelques économies. Je me sentais de plus en plus en sécurité. C’était l’été et, épuisé de fatigue et de chaleur, j’ai commencé à fréquenter un bar clandestin en rentrant à la maison. À cette époque, la bière était bonne à Détroit, presque comme avant la Prohibition. Je me disais : « Voilà comment il faut faire. Me limiter à la bière. Après tout, c’est vraiment une nourriture et ça fait du bien après avoir manœuvré cet engin dans les rues de la ville. C’est l’alcool qui abat l’homme. Ce sera la bière pour moi. »

      Malgré les dures leçons que l’expérience m’avait enseignées, je n’ai pas compris que cette façon de penser était un feu rouge dans ma vie, une véritable alerte au danger.

      Comme d’habitude, le verre de bière du soir s’est allongé jusqu’à la nuit alors que je ne quittais pas le bar avant minuit. Je commençais à avoir besoin du verre du matin. Je savais d’expérience que la bière n’était pas un verre du matin – c’était bon pour se désaltérer, mais cela manquait d’effet et d’autorité le lendemain matin. J’avais besoin d’un remontant.

      Mon remontant du matin est devenu une habitude. Bientôt, il m’a fallu plusieurs remontants jusqu’à ce que je sois plutôt bien « parti » en arrivant au travail. En espaçant bien mes verres au cours de la journée, je réussissais à ne pas avoir l’air ivre, seulement à l’aise en conduisant dans les rues encombrées de la ville. C’est alors qu’est survenu l’accident.

      Dans une rue, un homme est sorti rapidement entre deux voitures stationnées en coupant ma route. J’ai viré brusquement pour éviter de le heurter, mais je n’ai pas réussi à l’éviter. Il est mort à l’hôpital. Les passagers et les témoins sur le trottoir m’ont totalement excusé. Même complètement sobre, je n’aurais pu l’éviter. L’enquête de la compagnie qui a suivi l’accident m’a exonéré, mais mes patrons savaient que j’avais bu. Ils m’ont congédié – pas à cause de l’accident – mais pour avoir bu au travail.

      Ainsi donc, une fois de plus, je sentais que j’en avais assez de vivre en ville et je me suis trouvé du travail dans une ferme. C’est là que j’ai fait la connaissance d’une jeune enseignante, que je suis tombé amoureux d’elle, et elle de moi. Nous nous sommes mariés. Le travail à la ferme n’était pas très rémunérateur pour un jeune couple. Nous sommes allés à Pontiac, Michigan, puis dans une ville industrielle de l’Ohio. Par économie, nous vivions chez les parents de ma femme, mais pour quelque raison, nous n’arrivions pas à progresser. Je buvais toujours, mais pas autant qu’autrefois, du moins selon moi.

      Le nouvel endroit semblait idéal – nous ne connaissions personne, pas d’aventures, pas de joyeux compères pour me tenter. J’ai décidé de mettre l’alcool de côté et de vivre. Cependant, j’avais oublié un compagnon de virée qui était toujours à mes côtés, qui m’avait suivi de la ville à la ferme et de nouveau à la ville. J’avais oublié John Barleycorn.

      Qu’à cela ne tienne, j’ai respecté mon engagement pendant un certain temps – nouvel emploi, maison confortable et une partenaire compréhensive, tout cela a aidé. Nous avons eu un fils, suivi, bientôt, d’un deuxième. Nous avons commencé à nous faire des amis et nous avions un petit cercle de compagnons de travail, leurs femmes et leurs familles. Nous étions toujours à l’époque de la contrebande d’alcool. Il y avait toujours de l’alcool, mais personne ne se saoulait vraiment. Nous avions du plaisir, un répit apprécié après une dure semaine de travail. Ici, il n’y