George Sand

Le Piccinino


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allait se disposer à monter le grand escalier et à parcourir l'intérieur du palais, où tout était ouvert et éclairé, lorsqu'en se retournant il vit, à deux pas de lui, un détail de la fête, dont il avait oublié d'observer l'effet.

      C'était une grotte en rocaille, qui formait, sous le profil du grand escalier, un assez vaste enfoncement. Lui-même avait orné de coquillages, de branches de corail et de plantes pittoresques ce frais réduit, au fond duquel une naïade d'albâtre versait son urne dans une vaste conque toujours pleine d'eau limpide et courante.

      Le goût que Michel avait montré dans tous les détails dont il avait été chargé, avait déterminé le majordome à lui laisser arranger beaucoup de choses à sa guise; et, comme il avait trouvé cette naïade charmante, il s'était plu à placer dans sa grotte les plus jolis vases, les plus fraîches guirlandes et les plus beaux tapis. Il avait bien perdu une heure à encadrer la conque nacrée d'une bordure de mousse fine et douce comme du velours, à choisir et à disposer avec grâce et mollesse des touffes d'iris, de nénuphar; et de ces longues feuilles rubanées qui s'harmonisent si bien avec les mouvements onduleux des eaux courantes.

      Maintenant la grotte était éclairée d'une pâle lumière cachée derrière des feuillages, et, comme tout le monde était occupé à voir la danse, l'entrée en était libre. Michel y entra furtivement; mais, à peine y eut-il fait trois pas, qu'il vit au fond une personne assise ou plutôt couchée, dans le demi-jour, aux pieds de la naïade. Il se dissimula précipitamment derrière une saillie du rocher, et il allait se retirer lorsqu'une invincible fascination le retint.

       Table des matières

      LA GROTTE DE LA NAIADE.

      La princesse Agathe était assise sur un divan de velours sombre, où sa forme élégante et noble se dessinait pâle comme une ombre au clair de la lune. Michel la voyait de profil, dans la demi-teinte, et un reflet de la lumière voilée, placée derrière elle, dessinait avec une admirable pureté cette silhouette fine et suave comme celle d'une jeune vierge. Sa longue et ample robe blanche prenait, sous cette molle clarté, toutes les nuances de l'opale, et les diamants de sa couronne lançaient des feux changeants tantôt comme le saphir, tantôt comme l'émeraude. Cette fois, Michel perdit tout à fait la notion qu'il avait pu prendre de son âge à la première vue. Il lui sembla que c'était une enfant, et, quand il se souvint qu'il lui avait attribué une trentaine d'années, il se demanda si c'était un rayon céleste qui la transfigurait désormais, ou une lueur infernale dont, comme une magicienne, elle savait s'envelopper pour tromper les sens.

      Car il y avait en elle quelque chose d'inouï. Elle était naturelle; seule de toutes les femmes que Michel venait de voir, elle ne paraissait pas songer à elle-même; elle ne s'était composé aucun air, aucun maintien; elle ne savait pas ou ne voulait pas savoir ce qu'on penserait d'elle, ce qu'on sentirait pour elle en la regardant: elle avait la tranquillité d'un esprit détaché de toutes les choses humaines, et l'abandon qu'elle aurait eu dans une solitude complète.

      Et pourtant elle était parée comme une vraie princesse; elle donnait un bal, elle étalait son luxe, elle jouait son rôle de grande dame et de femme du monde, tout comme une autre, apparemment. Pourquoi donc cet air de madone, cette méditation intérieure, ou ce ravissement de l'âme au-dessus des vanités terrestres?

      Elle était une énigme vivante pour l'imagination inquiète du jeune artiste. Quelque chose de plus étrange encore le bouleversait, c'est qu'il lui semblait ne pas l'avoir vue ce jour-là pour la première fois.

      Où pouvait-il l'avoir déjà rencontrée? Il rassemblait en vain tous ses souvenirs. Lorsqu'il était arrivé à Catane, son nom même avait été nouveau pour lui. Une personne d'aussi grande maison et si remarquable par sa richesse, sa beauté et sa réputation de vertu, n'avait pu venir à Rome incognito. Michel se creusait l'esprit. Il ne se rappelait aucune circonstance où il eût pu la voir; d'autant plus qu'en la regardant, il ne se figurait pas la connaître un peu, mais la connaître intimement depuis longtemps, depuis qu'il était au monde.

      Quand il eut bien cherché, il se dit qu'il y avait à cela une raison abstraite. C'est qu'elle était le vrai type de beauté qu'il avait toujours rêvé sans pouvoir le saisir et le produire. C'était un lieu commun poétique. Il lui fallait bien s'en contenter, faute de mieux.

      Mais la princesse n'était pas seule, car elle parlait, et Michel s'aperçut bientôt qu'elle était là, tête à tête avec un homme. C'était certainement une raison pour l'engager à se retirer, mais la retraite était difficile. Pour conserver à la grotte son obscurité mystérieuse et empêcher l'éclat des lumières de la salle de bal d'y pénétrer, on avait masqué l'entrée par un grand rideau de velours bleu, que notre curieux venait, par le plus grand hasard du monde, d'écarter un peu pour passer, sans que les deux personnes occupées à causer y fissent attention. L'entrée de cette grotte, étant de moitié moins grande que l'intérieur, formait un cadre, non de rochers factices, comme cela pourrait être arrangé chez nous, dans nos imitations de rococo, mais de véritables blocs de lave vitrifiés ou nuancés de diverses couleurs, échantillons étranges et précieux qu'on avait recueillis jadis dans le cratère même du volcan, pour les enchâsser comme des joyaux dans la maçonnerie. Cette corniche brillante formait donc une saillie assez considérable pour cacher Michel, qui pouvait regarder à travers ses anfractuosités. Mais, pour sortir tout à fait, il fallait encore toucher au rideau, et, cette fois, il était difficile d'espérer que la princesse ou son interlocuteur fussent assez distraits pour ne pas s'en apercevoir.

      Michel s'avisa de tout cela trop tard pour réparer son imprudence. Il n'était plus temps de sortir naturellement, comme il était entré. Et puis, il était cloué à sa place par une inquiétude et une curiosités ardentes. Cet homme, qui était là, c'était sans doute l'amant de la princesse.

      C'était un homme de trente-cinq ans environ, d'une haute stature et d'une figure grave et douce, admirablement belle et régulière. Dans sa manière d'être assis en face d'Agathe, à une distance qui tenait le milieu entre le respect et l'intimité, il n'y avait pourtant rien à reprendre; mais quand Michel eut recouvré assez de sang-froid pour entendre les paroles qui frappaient ses oreilles, il crut voir un indice certain d'affection partagée dans cette phrase que prononça la princesse:

      —Dieu merci, personne ne s'est encore avisé de lever ce rideau et de découvrir cette retraite charmante: malgré l'espèce de coquetterie que je pourrais mettre à y conduire mes hôtes (car elle est décorée à ravir, ce soir), je voudrais pouvoir y passer cette nuit toute seule, ou avec vous, marquis, pendant que le bal, le bruit et la danse iraient leur train derrière le rideau.

      Le marquis répondit, d'un ton qui n'indiquait pas un homme avantageux:

      —Vous auriez dû faire fermer tout à fait la grotte, par une porte dont vous auriez eu la clé, et vous en faire un salon réservé, où vous seriez venue de temps en temps vous