Морис Леблан

LUPIN: Les aventures complètes


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corps avait eu deux ou trois convulsions. Les jambes avaient instinctivement cherché un point d’appui. Plus rien maintenant ne bougeait…

      Quelques secondes encore… La petite porte vitrée s’ouvrit.

      Sernine entra.

      Sans la moindre hâte, il saisit la feuille de papier où le jeune homme avait apposé sa signature et il lut :

      « Las de la vie, malade, sans argent, sans espoir, je me tue. Qu’on n’accuse personne de ma mort.

      « 30 avril. – Gérard Baupré. »

      Il remit la feuille sur la table, bien en vue, approcha la chaise et la posa sous les pieds du jeune homme. Lui-même il escalada la table, et, tout en tenant le corps serré contre lui, il le souleva, élargit le nœud coulant et dépassa la tête.

      Le corps fléchit entre ses bras. Il le laissa glisser sur le long de la table, et, sautant à terre, il l’étendit sur le lit.

      Puis, toujours avec le même flegme, il entrebâilla la porte de sortie.

      – Vous êtes là tous les trois ? murmura-t-il.

      Près de lui, au pied de l’escalier de bois, quelqu’un répondit :

      – Nous sommes là. Faut-il hisser notre paquet ?

      – Allez-y !

      Il prit le bougeoir et les éclaira.

      Péniblement les trois hommes montèrent l’escalier en portant le sac où était ficelé l’individu.

      – Déposez-le ici, dit-il en montrant la table.

      À l’aide d’un canif il coupa les ficelles qui entouraient le sac. Un drap blanc apparut qu’il écarta.

      Dans ce drap, il y avait un cadavre, le cadavre de Pierre Leduc.

      – Pauvre Pierre Leduc, dit Sernine, tu ne sauras jamais ce que tu as perdu en mourant si jeune ! Je t’aurais mené loin, mon bonhomme. Enfin, on se passera de tes services… Allons, Philippe, grimpe sur la table, et toi, Octave, sur la chaise. Soulevez-lui la tête et engagez le nœud coulant.

      Deux minutes plus tard le corps de Pierre Leduc se balançait au bout de la corde.

      – Parfait, ce n’est pas plus difficile que cela, une substitution de cadavres. Maintenant vous pouvez vous retirer tous. Toi, Docteur, tu repasseras ici demain matin, tu apprendras le suicide du sieur Gérard Baupré, tu entends, de Gérard Baupré – voici sa lettre d’adieu – tu feras appeler le médecin légiste et le commissaire, tu t’arrangeras pour que ni l’un ni l’autre ne constatent que le défunt a un doigt coupé et une cicatrice à la joue…

      – Facile.

      – Et tu feras en sorte que le procès-verbal soit écrit aussitôt et sous ta dictée.

      – Facile.

      – Enfin, évite l’envoi à la Morgue et qu’on donne le permis d’inhumer séance tenante.

      – Moins facile.

      – Essaie. Tu as examiné celui-là ?

      Il désignait le jeune homme qui gisait inerte sur le lit.

      – Oui, affirma le Docteur. La respiration redevient normale. Mais on risquait gros… la carotide eût pu…

      – Qui ne risque rien… Dans combien de temps reprendra-t-il connaissance ?

      – D’ici quelques minutes.

      – Bien. Ah ! Ne pars pas encore. Docteur. Reste en bas. Ton rôle n’est pas fini ce soir.

      Demeuré seul, le prince alluma une cigarette et fuma tranquillement, en lançant vers le plafond de petits anneaux de fumée bleue.

      Un soupir le tira de sa rêverie. Il s’approcha du lit. Le jeune homme commençait à s’agiter, et sa poitrine se soulevait et s’abaissait violemment, ainsi qu’un dormeur sous l’influence d’un cauchemar.

      Il porta ses mains à sa gorge comme s’il éprouvait une douleur, et ce geste le dressa d’un coup, terrifié, pantelant

      Alors, il aperçut, en face de lui, Sernine.

      – Vous ! murmura-t-il sans comprendre… Vous !…

      Il le contemplait d’un regard stupide, comme il eût contemplé un fantôme.

      De nouveau il toucha sa gorge, palpa son cou, sa nuque… Et soudain il eut un cri rauque, une folie d’épouvante agrandit ses yeux, hérissa le poil de son crâne, le secoua tout entier comme une feuille ! Le prince s’était effacé, et il avait vu, il voyait au bout de la corde, le pendu !

      Il recula jusqu’au mur. Cet homme, ce pendu, c’était lui ! C’était lui-même. Il était mort, et il se voyait mort ! Rêve atroce qui suit le trépas ? Hallucination de ceux qui ne sont plus, et dont le cerveau bouleversé palpite encore d’un reste de vie ?…

      Ses bras battirent l’air. Un moment il parut se défendre contre l’ignoble vision. Puis, exténué, vaincu une seconde fois, il s’évanouit.

      – À merveille, ricana le prince… Nature sensible… impressionnable… Actuellement, le cerveau est désorbité… Allons, l’instant est propice… Mais si je n’enlève pas l’affaire en vingt minutes, il m’échappe…

      Il poussa la porte qui séparait les deux mansardes, revint vers le lit, enleva le jeune homme, et le transporta sur le lit de l’autre pièce.

      Puis il lui bassina les tempes avec de l’eau fraîche et lui fit respirer des sels.

      La défaillance, cette fois, ne fut pas longue.

      Timidement, Gérard entrouvrit les paupières et leva les yeux vers le plafond. La vision était finie.

      Mais la disposition des meubles, l’emplacement de la table et de la cheminée, certains détails encore, tout le surprenait – et puis le souvenir de son acte… la douleur qu’il ressentait à la gorge…

      Il dit au prince :

      – J’ai fait un rêve, n’est-ce pas ?

      – Non.

      – Comment, non ?

      Et soudain, se rappelant :

      – Ah ! C’est vrai, je me souviens… j’ai voulu mourir et même…

      Il se pencha anxieusement :

      – Mais le reste ? La vision ?

      – Quelle vision ?

      – L’homme… la corde… cela, c’est un rêve ?…

      – Non, affirma Sernine, cela aussi, c’est la réalité.

      – Que dites-vous ? Que dites-vous ? Oh ! Non… non… je vous en prie… éveillez-moi si je dors ou bien que je meure !… Mais je suis mort, n’est-ce pas ? Et c’est le cauchemar d’un cadavre… Ah ! Je sens ma raison qui s’en va… Je vous en prie…

      Sernine posa doucement sa main sur les cheveux du jeune homme, et s’inclinant vers lui :

      – écoute-moi… écoute-moi bien, et comprends. Tu es vivant. Ta substance et ta pensée sont identiques et vivent. Mais Gérard Baupré est mort. Tu me comprends, n’est-ce pas ? L’être social qui avait nom Gérard Baupré n’existe plus. Tu l’as supprimé, celui-là. Demain, sur les registres de l’état civil, en face de ce nom que tu portais, on inscrira la mention : « décédé » – et la date de ton décès.

      – Mensonge ! balbutia le jeune homme terrifié, mensonge ! Puisque me voilà, moi, Gérard Baupré !…

      – Tu n’es pas Gérard Baupré, déclara Sernine.

      Et