Морис Леблан

LUPIN: Les aventures complètes


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pâle et triste, sous ses cheveux blancs dont les bandeaux se terminaient par deux anglaises. Trop forte, de marche lourde, elle avait, malgré son apparence et ses vêtements de dame, quelque chose d’un peu vulgaire, mais les yeux étaient infiniment bons.

      Tandis qu’elle mettait un peu d’ordre sur la table, tout en continuant à dire son inquiétude, le prince Sernine s’approcha d’elle, lui saisit la tête entre les deux mains et l’embrassa sur les deux joues.

      – Eh bien, la vieille, comment vas-tu ?

      Elle demeura stupide, les yeux hagards, la bouche ouverte.

      Le prince l’embrassa de nouveau en riant.

      Elle bredouilla :

      – Toi ! C’est toi ! Ah ! Jésus-Marie… Jésus-Marie… Est-ce possible ! Jésus-Marie !

      – Ma bonne Victoire !

      – Ne m’appelle pas ainsi, s’écria-t-elle en frissonnant. Victoire est morte Ta vieille nourrice n’existe plus. J’appartiens tout entière à Geneviève…

      Elle dit encore à voix basse :

      – Ah ! Jésus j’avais bien lu ton nom dans les journaux… Alors, c’est vrai, tu recommences ta mauvaise vie ?

      – Comme tu vois.

      – Tu m’avais pourtant juré que c’était fini, que tu partais pour toujours, que tu voulais devenir honnête.

      – J’ai essayé. Voilà quatre ans que j’essaie… Tu ne prétendras point que pendant ces quatre ans j’aie fait parler de moi ?

      – Eh bien ?

      – Eh bien, ça m’ennuie.

      Elle soupira :

      – Toujours le même… Tu n’as pas changé… Ah ! C’est bien fini, tu ne changeras jamais… Ainsi, tu es dans l’affaire Kesselbach ?

      – Parbleu ! Sans quoi me serais-je donné la peine d’organiser contre Mme Kesselbach, à six heures, une agression pour avoir l’occasion, à six heures cinq, de l’arracher aux griffes de mes hommes ? Sauvée par moi, elle est obligée de me recevoir. Me voilà au cœur de la place, et, tout en protégeant la veuve, je surveille les alentours. Ah ! Que veux-tu, la vie que je mène ne me permet pas de flâner et d’employer le régime des petits soins et des hors-d’œuvre. Il faut que j’agisse par coups de théâtre, par victoires brutales. Elle l’observait avec effarement, et elle balbutia :

      – Je comprends… je comprends tout ça, c’est du mensonge… Mais alors Geneviève…

      – Eh ! D’une pierre, je faisais deux coups. Tant qu’à préparer un sauvetage, autant marcher pour deux. Pense à ce qu’il m’eût fallu de temps, d’efforts inutiles, peut-être, pour me glisser dans l’intimité de cette enfant ! Qu’étais-je pour elle ? Que serais-je encore ? Un inconnu, un étranger. Maintenant je suis le sauveur. Dans une heure je serai l’ami.

      Elle se mit à trembler.

      – Ainsi tu n’as pas sauvé Geneviève… ainsi tu vas nous mêler à tes histoires… Et soudain, dans un accès de révolte, l’agrippant aux épaules :

      – Eh bien, non, j’en ai assez, tu entends ? Tu m’as amené cette petite un jour en me disant : « Tiens, je te la confie, ses parents sont morts prends-la sous ta garde. » Eh bien, elle y est, sous ma garde, et je saurai la défendre contre toi et contre toutes tes manigances.

      Debout, bien d’aplomb, ses deux poings crispés, le visage résolu, Mme Ernemont semblait prête à toutes les éventualités.

      Posément, sans brusquerie, le prince Sernine détacha l’une après l’autre les deux mains qui l’étreignaient, à son tour empoigna la vieille dame par les épaules, l’assit dans un fauteuil, se baissa vers elle, et, d’un ton très calme, lui dit :

      – Zut !

      Elle se mit à pleurer, vaincue tout de suite, et, croisant ses mains devant Sernine :

      – Je t’en prie, laissenous tranquilles. Nous étions si heureuses ! Je croyais que tu nous avais oubliées, et je bénissais le ciel chaque fois qu’un jour s’écoulait. Mais oui… je t’aime bien, cependant. Mais Geneviève… vois-tu, je ne sais pas ce que je ferais pour cette enfant. Elle a pris ta place dans mon cœur.

      – Je m’en aperçois, dit-il en riant. Tu m’enverrais au diable avec plaisir. Allons, assez de bêtises ! Je n’ai pas de temps à perdre. Il faut que je parle à Geneviève.

      – Tu vas lui parler !

      – Eh bien ! C’est donc un crime ?

      – Et qu’est-ce que tu as à lui dire ?

      – Un secret… un secret très grave, très émouvant…

      La vieille dame s’effara :

      – Et qui lui fera de la peine, peut-être ? Oh ! Je crains tout… je crains tout pour elle…

      – La voilà, dit-il.

      – Non, pas encore.

      – Si, si je l’entends, essuie tes yeux et sois raisonnable…

      – écoute, fit-elle vivement, écoute, je ne sais pas quels sont les mots que tu vas prononcer, quel secret tu vas révéler à cette enfant que tu ne connais pas… Mais, moi qui la connais, je te dis ceci : Geneviève est une nature vaillante, forte, mais très sensible. Fais attention à tes paroles… Tu pourrais blesser en elle des sentiments… qu’il ne t’est pas possible de soupçonner…

      – Et pourquoi, mon Dieu ?

      – Parce qu’elle est d’une race différente de la tienne, d’un autre monde… je parle d’un autre monde moral… Il y a des choses qu’il t’est défendu de comprendre maintenant. Entre vous deux, l’obstacle est infranchissable… Geneviève a la conscience la plus pure et la plus haute… et toi…

      – Et moi ?

      – Et toi, tu n’es pas un honnête homme.

      – 3 –

      Geneviève entra, vive et charmante.

      – Toutes mes petites sont au dortoir, j’ai dix minutes de répit… Eh bien, grand-mère, qu’est-ce que c’est ? Tu as une figure toute drôle… Est-ce encore cette histoire ?

      – Non, mademoiselle, dit Sernine, je crois avoir été assez heureux pour rassurer votre grand-mère. Seulement, nous causions de vous, de votre enfance, et c’est un sujet, semble-t-il, que votre grand-mère n’aborde pas sans émotion.

      – De mon enfance ? dit Geneviève en rougissant… Oh ! Grand-mère !

      – Ne la grondez pas, mademoiselle, c’est le hasard qui a amené la conversation sur ce terrain. Il se trouve que j’ai passé souvent par le petit village où vous avez été élevée.

      – Aspremont ?

      – Aspremont, près de Nice… Vous habitiez là une maison neuve, toute blanche…

      – Oui, dit-elle, toute blanche, avec un peu de peinture bleue autour des fenêtres… J’étais bien jeune, puisque j’ai quitté Aspremont à sept ans ; mais je me rappelle les moindres choses de ce temps-là. Et je n’ai pas oublié l’éclat du soleil sur la façade blanche, ni l’ombre de l’eucalyptus au bout du jardin…

      – Au bout du jardin, mademoiselle, il y avait un champ d’oliviers, et, sous un de ces oliviers, une table où votre mère travaillait les jours de chaleur

      – C’est vrai, c’est vrai, dit-elle, toute remuée… moi, je jouais à côté…

      – Et c’est là, dit-il, que j’ai