son entrée particulière, monta l’étage, courut au salon, alluma et s’accroupit devant la porte qui communiquait avec sa chambre.
Il avait deviné. Un des petits panneaux se détachait également.
Et de même qu’en son autre demeure de la rue Chateaubriand, l’orifice, suffisant pour qu’on y passât le bras et l’épaule, ne permettait pas qu’on tirât le verrou supérieur.
– Tonnerre de malheur ! s’exclamat-il, incapable de maîtriser plus longtemps la rage qui bouillonnait en lui depuis deux heures, tonnerre de nom d’un chien, je n’en finirai donc pas avec cette histoire-là !
De fait, une malchance incroyable s’acharnait après lui et le réduisait à tâtonner au hasard, sans que jamais il lui fût possible d’utiliser les éléments de réussite que son obstination ou que la force même des choses mettaient entre ses mains. Gilbert lui confiait le bouchon de cristal. Gilbert lui envoyait une lettre. Tout cela disparaissait à l’instant même.
Et ce n’était plus, comme il avait pu le croire jusqu’ici, une série de circonstances fortuites, indépendantes les unes des autres. Non. C’était manifestement l’effet d’une volonté adverse poursuivant un but défini avec une habileté prodigieuse et une adresse inconcevable, l’attaquant lui, Lupin, au fond même de ses retraites les plus sûres, et le déconcertant par des coups si rudes et si imprévus qu’il ne savait même pas contre qui il lui fallait se défendre. Jamais encore, au cours de ses aventures, il ne s’était heurté à de pareils obstacles.
Et, au fond de lui, grandissait peu à peu une peur obsédante de l’avenir. Une date luisait devant ses yeux, la date effroyable qu’il assignait inconsciemment à la justice pour faire son œuvre de vengeance, la date à laquelle, par un matin d’avril, monteraient sur l’échafaud deux hommes qui avaient marché à ses côtés, deux camarades qui subiraient l’épouvantable châtiment.
3
La vie privée d’Alexis Daubrecq
En entrant chez lui après son déjeuner, le lendemain de ce jour où la police avait exploré son domicile, le député Daubrecq fut arrêté par Clémence, sa concierge. Celle-ci avait réussi à trouver une cuisinière en qui l’on pouvait avoir toute confiance.
Cette cuisinière, qui se présenta quelques minutes plus tard, exhiba des certificats de premier ordre, signés par des personnes auprès desquelles il était facile de prendre des informations. Très active, quoique d’un certain âge, elle acceptait de faire le ménage à elle seule sans l’aide d’aucun domestique, condition imposée par Daubrecq, qui préférait réduire les chances d’être espionné.
Comme, en dernier lieu, elle était placée chez un membre du Parlement, le comte Saulevat, Daubrecq téléphona aussitôt à son collègue. L’intendant du comte Saulevat donna sur elle les meilleurs renseignements. Elle fut engagée.
Dès qu’elle eut apporté sa malle, elle se mit à l’ouvrage, nettoya toute la journée et prépara le repas.
Daubrecq dîna et sortit.
Vers onze heures, la concierge étant couchée, elle entrebâilla avec précaution la grille du jardin. Un homme approcha.
– C’est toi ? dit-elle.
– Oui, c’est moi, Lupin.
Elle le conduisit dans la chambre qu’elle occupait au troisième étage, sur le jardin, et, tout de suite, elle se lamenta :
– Encore des trucs, et toujours des trucs ! Tu ne peux donc pas me laisser tranquille, au lieu de m’employer à des tas de besognes !
– Que veux-tu, ma bonne Victoire, quand il me faut une personne d’apparence respectable et de mœurs incorruptibles, c’est à toi que je pense. Tu dois être flattée.
– Et c’est comme ça que tu t’émeus ! gémit-elle. Tu me jettes une fois de plus dans la gueule du loup, et ça te fait rigoler.
– Qu’est-ce que tu risques ?
– Comment ce que je risque ! Tous mes certificats sont faux.
– Les certificats sont toujours faux.
– Et si M. Daubrecq s’en aperçoit ? S’il se renseigne ?
– Il s’est renseigné.
– Hein ! Qu’est-ce que tu dis ?
– Il a téléphoné à l’intendant du comte Saulevat, chez qui, soi-disant, tu as eu l’honneur de servir.
– Tu vois, je suis fichue.
– L’intendant du comte n’a pas tari d’éloges à ton propos.
– Il ne me connaît pas.
– Mais moi, je le connais. C’est moi qui l’ai fait placer chez le comte Saulevat. Alors, tu comprends…
Victoire parut un peu calmée.
– Enfin ! Qu’il soit fait selon la volonté de Dieu… ou plutôt selon la tienne. Et quel est mon rôle dans tout cela ?
– Me coucher ici, d’abord. Tu m’as jadis nourri de ton lait. Tu peux bien m’offrir la moitié de ta chambre. Je dormirai sur le fauteuil.
– Et après ?
– Après ? Me fournir les aliments nécessaires.
– Et après ?
– Après ? Entreprendre de concert avec moi, et sous ma direction, toute une série de recherches ayant pour but…
– Ayant pour but ?
– La découverte de l’objet précieux dont je t’ai parlé.
– Quoi ?
– Un bouchon de cristal.
– Un bouchon de cristal… Jésus-Marie Quel métier ! Et si on ne le trouve pas, ton sacré bouchon ?
Lupin lui saisit doucement le bras, et d’une voix grave :
– Si on ne le trouve pas, Gilbert, le petit Gilbert que tu connais et que tu aimes bien, a beaucoup de chances d’y laisser sa tête, ainsi que Vaucheray.
– Vaucheray, ça m’est égal… une canaille comme lui ! Mais Gilbert…
– Tu as lu les journaux, ce soir ? L’affaire tourne de plus en plus mal. Vaucheray, comme de juste, accuse Gilbert d’avoir frappé le domestique et il arrive précisément que le couteau dont Vaucheray s’est servi appartenait à Gilbert. La preuve en a été faite, ce matin. Sur quoi, Gilbert, qui est intelligent, mais qui manque d’estomac, a bafouillé et s’est lancé dans des histoires et des mensonges qui achèveront de le perdre. Voilà où nous en sommes. Veux-tu m’aider ?
À minuit le député rentra.
Dès lors, et durant plusieurs jours, Lupin modela sa vie sur celle de Daubrecq. Aussitôt que celui-ci quittait l’hôtel, Lupin commençait ses investigations.
Il les poursuivit avec méthode, divisant chacune des pièces en secteurs qu’il n’abandonnait qu’après avoir interrogé les plus petits recoins, et, pour ainsi dire, épuisé toutes les combinaisons possibles.
Victoire cherchait aussi. Et rien n’était oublié. Pieds de table, bâtons de chaises, lames de parquets, moulures, cadres de glaces ou de tableaux, pendules, socles de statuettes, ourlets de rideaux, appareils téléphoniques ou appareils d’électricité, on passait en revue tout ce qu’une imagination ingénieuse aurait pu choisir comme cachette.
Et l’on surveillait aussi les moindres actes du député, ses gestes les plus inconscients, ses regards, les livres qu’il lisait, les lettres qu’il