et dont la beauté grave lui plaisait. Tout son orgueil d’homme se cabra.
Pourtant il se tut. Il accepta sur son épaule la pesée lourde de la main, et même il se cassa en deux, comme vaincu, impuissant, presque peureux.
– Ah ! Drôle, railla le député, il paraît qu’on ne crâne plus.
Sur la scène, les acteurs, en grand nombre, disputaient et faisaient du bruit.
Daubrecq ayant un peu desserré son étreinte, Lupin jugea le moment favorable.
Violemment, avec le coupant de la main, il le frappa au creux du bras, ainsi qu’il eût fait avec une hache.
La douleur décontenança Daubrecq. Lupin acheva de se dégager et s’élança sur lui pour le prendre à la gorge. Mais Daubrecq, aussitôt sur la défensive, avait fait un mouvement de recul, et leurs quatre mains se saisirent.
Elles se saisirent avec une énergie surhumaine, toute la force des deux adversaires se concentrant en elles. Celles de Daubrecq étaient monstrueuses, et Lupin, happé par cet étau de fer, eut l’impression qu’il combattait, non pas avec un homme, mais avec quelque bête formidable, un gorille de taille colossale.
Ils se tenaient contre la porte, courbés comme des lutteurs qui se tâtent et cherchent à s’empoigner. Des os craquèrent. À la première défaillance, le vaincu était pris à la gorge, étranglé. Et cela se passait dans un silence brusque, les acteurs sur la scène écoutant l’un d’eux qui parlait à voix basse.
La femme, écrasée contre la cloison, terrifiée, les regardait. Que, par un geste, elle prît parti pour l’un ou pour l’autre, la victoire aussitôt se décidait pour celui-là.
Mais qui soutiendrait-elle ? Qu’est-ce que Lupin pouvait représenter à ses yeux ? Un ami ou un ennemi ?
Vivement, elle gagna le devant de la baignoire, enfonça l’écran, et, le buste penché, sembla faire un signe. Puis elle revint et tâcha de se glisser jusqu’à la porte.
Lupin, comme s’il eût voulu l’aider, lui dit :
– Enlevez donc la chaise.
Il parlait d’une lourde chaise qui était tombée, qui le séparait de Daubrecq, et pardessus laquelle ils combattaient.
La femme se baissa et tira la chaise. C’était ce que Lupin attendait.
Délivré de l’obstacle, il allongea sur la jambe de Daubrecq un coup de pied sec avec la pointe de sa bottine. Le résultat fut le même que pour le coup qu’il avait donné sur le bras. La douleur provoqua une seconde d’effarement, de distraction, dont il profita aussitôt pour rabattre les mains tendues de Daubrecq, et pour lui planter ses dix doigts autour de la gorge et de la nuque.
Daubrecq résista. Daubrecq essaya d’écarter les mains qui l’étouffaient, mais il suffoquait déjà et ses forces diminuaient.
– Ah ! Vieux singe, grogna Lupin en le renversant. Pourquoi n’appelles-tu pas au secours ? Faut-il que tu aies peur du scandale !
Au bruit de la chute on frappa sur la cloison, de l’autre côté.
– Allez toujours, fit Lupin à mi-voix, le drame est sur la scène. Ici, c’est mon affaire, et jusqu’à ce que j’aie mâté ce gorille-là…
Ce ne fut pas long. Le député suffoquait. D’un coup sur la mâchoire, il l’étourdit. Il ne restait plus à Lupin qu’à entraîner la femme et à s’enfuir avec elle avant que l’alarme ne fût donnée.
Mais, quand il se retourna, il s’aperçut que la femme était partie.
Elle ne pouvait être loin. Ayant sauté hors de la loge, il se mit à courir, sans se soucier des ouvreuses et des contrôleurs.
De fait, arrivé à la rotonde du rez-de-chaussée, il l’aperçut, par une porte ouverte, qui traversait le trottoir de la Chaussée d’Antin.
Elle montait en auto quand il la rejoignit.
La portière se referma sur elle.
Il saisit la poignée et voulut tirer.
Mais, de l’intérieur, un individu surgit, qui lui envoya son poing dans la figure, moins habilement, mais aussi violemment qu’il avait envoyé le sien dans la figure de Daubrecq.
Si étourdi qu’il fût par le choc, il eut tout de même le temps, dans une vision effarée, de reconnaître cet individu, et de reconnaître aussi, sous son déguisement de chauffeur, l’individu qui conduisait l’automobile.
C’étaient Grognard et Le Ballu, les deux hommes chargés des barques, le soir d’Enghien, deux amis de Gilbert et de Vaucheray, bref deux de ses complices à lui, Lupin.
Quand il fut dans son logis de la rue Chateaubriand, Lupin, après avoir lavé son visage ensanglanté, resta plus d’une heure dans un fauteuil, comme assommé. Pour la première fois, il éprouvait la douleur d’être trahi. Pour la première fois, des camarades de combat se retournaient contre leur chef.
Machinalement, dans le but de se distraire, il prit son courrier du soir et déchira la bande d’un journal. Aux dernières nouvelles, il lut ces lignes :
« Affaire de la villa Marie-Thérèse. On a fini par découvrir la véritable identité de Vaucheray, un des assassins présumés du domestique Léonard. C’est un bandit de la pire espèce, un récidiviste, et deux fois sous un autre nom, condamné par contumace pour assassinat.
Nul doute que l’on ne finisse par découvrir également le vrai nom de son complice Gilbert. Dans tous les cas le juge d’instruction est résolu à renvoyer l’affaire le plus vite possible devant la chambre des mises en accusation.
On ne se plaindra pas des lenteurs de la justice. »
Au milieu d’autres journaux et de prospectus, il y avait une lettre.
Lupin, en l’apercevant, bondit. Elle était adressée à M. de Beaumont (Michel).
– Ah ! balbutia-t-il, une lettre de Gilbert. Elle contenait ces quelques mots :
« Patron, au secours ! J’ai peur… j’ai peur… »
Cette nuit-là encore fut pour Lupin une nuit d’insomnie et de cauchemars. Cette nuit-là encore, d’abominables, de terrifiantes visions le torturèrent.
4
Le chef des ennemis
« Pauvre gosse murmura Lupin en relisant le lendemain la lettre de Gilbert. Comme il doit souffrir ! »
Du premier jour où il l’avait rencontré, il avait pris de l’affection pour ce grand jeune homme insouciant et joyeux de vivre. Gilbert lui était dévoué jusqu’à se tuer sur un signe du maître. Et Lupin aimait aussi sa franchise, sa belle humeur, sa naïveté, sa figure heureuse.
– Gilbert, lui disait-il souvent, tu es un honnête homme. À ta place, vois-tu, je lâcherais le métier, et je me ferais, pour de bon, honnête homme.
– Après vous patron, répondit Gilbert en riant.
– Tu ne veux pas ?
– Non, patron. Un honnête homme, ça travaille, ça turbine, et moi c’est un goût que j’ai eu peut-être étant gamin, mais qu’on m’a fait passer.
– Qui, on ?
Gilbert se taisait. Il se taisait toujours quand on l’interrogeait sur les premières années de sa vie, et Lupin savait tout au plus qu’il était orphelin depuis son jeune âge et qu’il avait vécu de droite et de gauche, changeant de nom, accrochant son existence aux métiers les plus bizarres. Il y avait là tout un mystère que personne n’avait pu pénétrer, et il ne semblait