Louisa May Alcott

Les quatre filles du docteur Marsch


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tout cela? demanda Meg.

      –Nous disposerons nos présents sur la table; puis nous prierons maman de venir et nous la regarderons ouvrir l’un après l’autre les paquets, répondit Jo. Vous rappelez-vous comment nous faisions le jour de notre fête?

      –J’avais toujours si peur quand c’était mon tour de m’asseoir dans le grand fauteuil avec une couronne sur la tête et de vous voir .venir me donner vos cadeaux avec un baiser! J’aimais bien les présents et les baisers; mais c’était terrible de vous voir me regarder pendant que je défaisais les paquets, dit Beth, qui, pour le moment, rôtissait sa figure en même temps que le pain destiné au thé.

      –Il faut laisser maman croire que nous achetons quelque chose pour nous, afin de la bien surprendre. Nous nous occuperons de nos achats demain après midi, en allant faire nos emplettes pour notre comédie du soir de Noël, dit Jo à Meg, en se promenant de long en large les mains derrière le dos et le nez en l’air.

      –C’est la dernière fois que je jouerai; je deviens trop vieille, fit observer Meg, qui était aussi enfant que ses sœurs sous ce rapport-là.

      –Vous continuerez de jouer la comédie aussi longtemps que vous mettrez avec plaisir une robe blanche à queue et des bijoux de papier doré. Vous êtes notre meilleure actrice, Meg, et tout sera fini si vous nous abandonnez, dit Jo. Nous devrions répéter ce soir quelques passages de notre pièce. Allons, Amy, venez reprendre la scène de l’évanouissement; vous ferez bien de l’étudier, car vous êtes raide comme un piquet.

      –Je ne peux pas faire autrement; je n’ai jamais vu personne s’évanouir. Je ne suis pas venue au monde 1pour jouer des rôles pathétiques dans les grands drames qui amusent tant Mlle Jo, et je n’ai pas envie de me ! faire des noirs en tombant tout de mon long par ’terre, comme vous le voulez. Si je peux facilement me laisser glisser, je le ferai; mais si je ne peux pas, je tomberai gracieusement sur une chaise. Cela m’est égal que le tyran vienne me menacer avec son pistolet, répliqua Amy, qui n’était pas douée de talents dramatiques, mais qui avait dû être choisie pour remplir ce rôle, parce qu’elle était assez petite pour être emportée tout en pleurs hors de la pièce.

      –Allons, je vais vous montrer. Joignez les mains comme cela et parcourez la chambre en criant avec désespoir: «Oh! sauvez-moi! sauvez-moi!»

      Et Jo lui donna l’exemple en poussant un cri perçant qui était vraiment tragique.

      Amy essaya de l’imiter; mais elle leva les mains avec raideur et se secoua comme une marionnette. Quant à son oh! au lieu d’être l’expression de l’angoisse et de la crainte, il faisait plutôt penser qu’elle venait de se piquer le doigt en cueillant une rose. Jo gémit d’un air découragé, et Meg se mit à rire, tandis que Beth s’apercevait que, dans sa préoccupation de regarder les acteurs, elle avait laissé brûler une rôtie.

      «C’est inutile! faites le mieux possible quand le moment sera arrivé, dit Jo à Amy; mais, si l’on vous siffle, ne m’en accusez pas. Allons, à vous, Meg.»

      Le drame, intitulé par Jo, son auteur: la Caverne de la Sorcière, continua d’une manière splendide. Le tyran, don Pedro, défia le monde dans un monologue de deux pages sans une seule interruption; Hagar, la sorcière, penchée sur une chaudière où des crapauds et des serpents étaient supposés en train de cuire, chanta une invocation terrible.

      «C’est certainement la meilleure pièce que nous ayons jamais eu à jouer, dit Meg très satisfaite.

      –Je ne comprends pas comment vous pouvez composer et jouer des choses aussi étonnantes, Jo; vous êtes un vrai Shakespeare! s’écria Beth, qui croyait fermement que ses sœurs étaient douées d’un génie étonnant pour toutes choses.

      –Pas encore, répondit modestement Jo. Je pense que la Caverne de la Sorcière est assez réussie; mais il n’y a pas assez de meurtres; j’adore en commettre avec des couteaux de bois. Est ce un poignard que je vols devant moi? murmura Jo en roulant les yeux et attrapant quelque chose d’invisible, comme elle l’avait vu faire à un célèbre tragédien.

      –Non, Jo! Jo, rendez-moi ma fourchette, ce n’est pas un poignard, et ne piquez pas la pantoufle de maman à la place d’une rôtie,» s’écria Beth.

      La répétition finit par un éclat de rire général.

      «Je suis bien aise de vous trouver si gaies, mes enfants,» dit une admirable voix sur le seuil de la porte.

      Et les acteurs et l’auditoire se retournèrent pour accueillir avec bonheur une dame dont l’air était extrêmement sympathique.

      Elle n’était plus ce qu’on peut appeler belle, car, sans être vieille, elle n’était plus jeune, et son aimable et doux visage portait l’empreinte de plus d’une souffrance. Mais les quatre jeunes filles pensaient que le châle gris et le chapeau passé de leur chère maman recouvrait la plus charmante personne du monde.

      «Eh bien, nies chéries, qu’avez-vous fait toute la journée? J’ai eu tant de courses à faire aujourd’hui, que je n’ai pu revenir pour l’heure du dîner. Y a-t-il eu des visites, Beth? Comment va votre rhume, Meg? Jo, vous avez l’air horriblement fatigué. Venez m’embrasser, Amy.»

      Pendant que Mme Marsch faisait ces questions maternelles, elle se débarrassait de ses vêtements mouillés, mettait ses pantoufles chaudes, et, s’asseyant dans son fauteuil avec Amy sur ses genoux, se préparait à jouir du meilleur moment de sa journée. Ses enfants essayaient, chacune à sa manière, de rendre chaque chose confortable: Meg disposa les tasses à thé, Jo apporta du bois et mit les chaises autour de la table, en renversant et frappant l’une contre l’autre les choses qu’elle tenait; Beth, tranquillement active, allait et venait de la cuisine au parloir, tandis qu’Amy, pelotonnée dans les bras de sa mère, donnait ses avis à tout le monde.

      Comme elles se mettaient à table, Mme Marsch dit avec un sourire qui trahissait une grande joie intérieure:

      «Mes enfants, je vous garde, pour après le souper, quelque chose qui vous rendra très heureuses.»

      Aussitôt une vive curiosité illumina toutes les figures; un rayon de soleil n’eût pas mieux éclairé tous le yeux. Beth frappa ses mains l’une contre l’autre sans faire attention au pain brûlant qu’elle tenait, et Jo, jetant sa serviette en l’air, s’écria:

      «Je devine: une lettre de papa! Trois hourrahs pour papa!

      –Oui, une bonne et longue lettre. Votre père se porte bien et pense qu’il passera l’hiver mieux que nous ne le supposions. Il vous envoie toutes sortes d’affectueux souhaits de Noël; et il y a dans sa lettre un passage spécial pour ses enfants, dit Mme Marsch, frappant plus respectueusement sa poche que si elle eût contenu un trésor.

      –Dépêchons-nous de finir de manger. Amy, ne perdez pas votre temps à mettre vos doigts en ailes de pigeon et à choisir vos morceaux,» s’écria Jo, qui, dans sa précipitation, se brûlait en buvant son thé trop chaud et laissait rouler son pain beurré sur le tapis.

      Beth ne finit pas de souper, mais s’en alla dans un coin habituel rêver au bonheur qu’elle aurait quand ses sœurs auraient fini.

      «Comme c’est beau à papa d’être parti pour l’armée comme médecin, puisqu’il a passé l’âge et qu’il n’aurait plus la force d’être soldat! dit Meg avec enthousiasme.

      –Quel dommage que je ne puisse pas aller tout au moins comme vivan. . vivandi... ah! vivandière! ou même comme infirmière à l’armée, pour l’aider! s’écria Jo.

      –Cela doit être très désagréable de dormir sous une tente, de manger toutes sortes de mauvaises choses et de boire dans un gobelet d’étain. dit Amy.

      –Quand reviendra-t-il, maman? demanda Beth, dont la voix tremblait un peu.

      –Pas avant plusieurs mois. A moins qu’il ne soit malade, votre père remplira fidèlement sa