dans ces quelques petits paquets-là, et le gros bouquet de roses rouges et de chrysanthèmes blancs, qu’elles mirent au milieu de la table, donnait à la chambre tout entière un air de fête.
«J’entends maman. Commencez, Beth! Amy, ouvrez la porte! Vite, Meg! s’écria Jo; allons, trois hourrahs pour maman!»
Amy ouvrit la porte; Beth joua, en guise de marche, un ravissant morceau de Mozart, et Meg conduisit sa mère à la place d’honneur. Mme Marsch fut surprise e touchée, et des larmes brillèrent dans ses yeux lors qu’elle examina ses cadeaux et lut les petits billets qui les accompagnaient. Elle mit immédiatement ses pantoufles, versa quelques gouttes d’eau de Cologne sur un des mouchoirs de Beth, attacha la rose à sa ceinture et dit que ses jolis gants lui allaient parfaitement. Puis vinrent beaucoup de baisers, de rires, avec accompagnement de toutes ces explications qui rendent les fêtes de famille si agréables dans le moment et si douces à se rappeler plus tard.
L’expédition charitable du matin et leur déjeuner retardé leur prirent tant de temps, que le reste de la journée fut donné aux préparatifs du drame de Jo, qui devait être joué le soir. Elles étaient trop jeunes pour aller au spectacle et pas assez riches pour dépenser beaucoup d’argent à leurs amusements; mais, comme la nécessité est mère de l’industrie, elles pourvoyaient elles-mêmes à tout ce qui leur manquait et y réussissaient souvent fort bien. Ce jour-là, elles avaient, pour leur représentation, des guitares en carton, des lampes antiques, faites avec de vieux pots à beurre recouverts de papier d’argent, de vieilles robes étincelantes de paillettes d’or et des boucliers en papier imitant l’acier.
Aucun gentleman n’était admis dans la troupe; aussi Jo, à son grand plaisir, jouait les rôles d’homme. Elle éprouvait un plaisir immense à mettre les bottes de peau roussâtre que lui avait données une de ses amies, laquelle les tenait d’une dame qui connaissait un peintre, qui avait de tout dans son atelier. Ces bottes, un vieux fleuret et un pourpoint déchiré étaient les principaux trésors de Jo, qui ne s’en servait que dans les grandes occasions. Le nombre des acteurs étant très limité, Meg et Jo jouaient à la fois les rôles de plusieurs personnages et elles méritaient certainement l’indulgence du public, tant pour le travail que leur avait donné l’arrangement du théâtre que pour la peine qu’elles prenaient de remplir trois ou quatre rôles où il fallait changer de costume à tout instant. C’était un excellent exercice de mémoire et un amusement innocent. Il remplissait un certain nombre d’heures qui, sans cela, auraient été inoccupées ou employées moins utilement.
Le soir dont nous parlons, un public de choix, composé de plus d’une douzaine de petites filles du voisinage, dans un état d’impatience très flatteur pour les artistes. était assis devant le rideau d’indienne bleue et jaune qui cachait la scène. On entendait beaucoup de chuchotements et de frôlements de robes derrière le rideau: tout à coup on sentit fortement la fumée, et on entendit Amy pousser des éclats de rire nerveux; puis succédèrent les trois coups traditionnels. Le rideau fut tiré et le spectacle commença.
L’unique programme qui avait été distribué apprenait aux spectateurs que les quelques pots de fleurs qui étaient éparpillés sur le théâtre et la serge verte qui couvrait le parquet représentaient une sombre forêt. Dans le lointain, on apercevait une caverne formée par des tréteaux, sur lesquels on avait posé une planche et dans laquelle était un petit fourneau tout rouge, qui faisait le plus bel effet au milieu de l’obscurité du théâtre. Une vieille sorcière était penchée sur une marmite noire posée sur le fourneau, et l’admiration des spectateurs fut à son comble lorsque la sorcière ayant levé le couvercle du pot, un nuage de vapeur emplit la caverne.
il y eut un intervalle de quelques minutes pour laisser aux spectateurs le soin de se calmer et à la sorcière celui de tousser et même d’éternuer; puis, Hugo, le scélérat de la pièce, parut enveloppé d’un grand manteau, chaussé des fameuses bottes, et ayant un chapeau rabattu sur les yeux, de manière à ne presque rien laisser voir de sa figure qu’une épaisse barbe noire.
Meg sortit alors de la caverne. Elle avait une longue robe rouge et noire et un manteau couvert de signes cabalistiques; de longs cheveux gris tombaient sur sa figure et elle tenait à la main une baguette qui pouvait passer pour un bâton.
On entendit alors une douce musique, et on vit apparaître derrière la caverne une jolie jeune fée enveloppée d’un nuage de mousseline; elle avait des ailes de papillon, et une guirlande de roses était posée sur ses cheveux dorés. Elle chanta, en remuant sa baguette, un couplet dont voici le sens, adressé à Hugo:
«Et, jetant aux pieds de la sorcière un petit flacon doré, l’esprit disparut.»
Nous ne raconterons pas l’étonnant drame de Jo; il défie l’analyse, et nous nous bornerons à dire que le tyran, le traître et la sorcière sont rudement punis à la fin des méfaits qu’ils ont commis pendant les quatre premiers actes, et qu’au cinquième, les deux jeunes personnages les plus intéressants de la pièce, après avoir, grâce à la fée, renversé tous les obstacles qui s’opposaient à leur union, finissent par se marier.
Le rideau tomba sur les fiancés agenouillés dans les poses les plus gracieuses pour remercier Dieu de leur bonheur.
De tumultueux applaudissements se firent entendre, qui récompensèrent à bon droit Jo, l’auteur, et les artistes qui avaient si puissamment aidé au succès de la Caverne de la Sorcière; mais ils furent arrêtés d’une manière complètement imprévue, car les draperies qui formaient les loges tombèrent tout à coup sur l’auditoire, qui disparut subitement à tous les yeux. Les acteurs volèrent au secours des spectateurs. Tous furent retirés sains et saufs du filet qui les enveloppait; mais ils riaient tellement qu’ils ne pouvaient plus parler. L’agitation était à peine, calmée lorsque parut Hannali disant: «Mme Marsch envoie ses félicitations à ces dames et leur demande si elles veulent descendre pour souper.»
Lorsqu’elles arrivèrent dans la salle à manger, elles se regardèrent étonnées et ravies. C’était bien l’habitude de leur mère de leur procurer des plaisirs; mais, depuis qu’elles n’étaient plus riches, elles n’avaient rien vu d’aussi beau que ce qui était devant elles. Il y avait des sandwichs en abondance, deux fromages glacés, l’un blanc et l’autre rose, des gâteaux de toutes dimensions, des fruits, de charmants bonbons, et, au milieu de la table, quatre gros bouquets de fleurs de serre. Évidemment très intriguées de ces raffinements inaccoutumés, les quatre sœurs, tout interdites, ne pouvaient en croire leurs yeux. Elles regardaient leur mère, puis la table, d’un air qui paraissait amuser beaucoup Mme Marsch.
«Est-ce qu’il y a encore des fées? demanda Amy.
–C’est le petit Noël, dit Beth.
–Le petit Noël pourrait bien être mère elle-même!» dit Meg.
Et Meg sourit à sa maman de la manière la plus charmante, malgré sa barbe grise et ses cheveux blancs.
«Tante Marsch aura eu un bon mouvement et nous aura envoyé tout cela! s’écria Jo, subitement inspirée.
–Rien de tout cela; c’est lè vieux monsieur Laurentz. répondit Mme Marsch.
–Le grand-père du petit Laurentz! s’écria Meg. Qui est-ce qui a pu lui mettre cette idée-là dans la tête? Nous ne le connaissons pas.
–Hannah a raconté notre course de ce matin à un de ses domestiques; cela a plu au vieux monsieur, qui est très original. Ayant connu mon mari autrefois, il m’a envoyé, cette après-midi, un billet très poli pour me dire qu’il espérait que je lui permettrais d’exprimer son amitié pour mes enfants, en leur envoyant quelques bagatelles en l’honneur de Noël. Je n’ai pas cru devoir refuser, et c’est ainsi que vous avez une si jolie fête ce soir, pour compenser le pain et le lait de votre déjeuner.
–C’est son petit-fils qui le lui a mis dans la tête, j’en suis sûre, dit Jo, comme la glace commençait à disparaître dans la bouche des convives avec des oh! et des ah! de satisfaction. Il parait très gentil,