Рихард Вагнер

La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung


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du Mythe de Siegfried: les sources germaniques, scandinaves, toutes les sources. Gigantesque travail, dont, en certaines parties, la présente «Edition» saura donner l'idée; travail si fructueux que Wagner, ne pouvant réussir à en faire la synthèse dans les limites d'un drame unique, ni se résigner d'ailleurs à ne la point faire du tout, joignit à son «poème d'opéra» (Siegfried's Tod) une esquisse narrative, en prose, géniale condensation du cycle légendaire et mythologique tout entier. Par quels détails du fond, sinon de la fable même, cette esquisse se distingue de L'Anneau du Nibelung, c'est ce qui sera dit en temps et lieu[67-4]; pour l'instant, qu'il soit suffisant d'en faire mention, sous ce titre, adopté par Wagner: Der Nibelungen-Mythus, als Entwurf zu einem Drama[68-1] (en français: Le Mythe des Nibelungen comme projet de Drame). L'Artiste a-t-il donc eu, dès lors, l'idée de mettre à la scène, comme il l'y mit ensuite, la totalité de ce canevas? Si spécieuse que soit l'hypothèse, elle n'est autorisée par rien: «projet de Drame», et non pas projet de tétralogie, résumé synthétique des études de Wagner, l'esquisse fut abrégée par lui, versifiée—sous forme de récits très substantiels, souvent même trop,[68-2]—dans Siegfried's Tod, afin d'en préparer, d'en motiver l'action.

      Ce qui est exact, en revanche, c'est que poème et canevas furent suivis, immédiatement, d'un écrit,—d'un «Projet» encore, significatif, celui-ci: «pour l'organisation» éventuelle, «en Saxe, d'un» vrai «Théâtre national»[68-3]. Wagner y déclarant fort net, entre autres choses, que l'opéra ne satisfaisait point aux conditions d'un Art élevé, proposait en substance de réduire, avant tout, le nombre des représentions; lesquelles, solennisées ainsi d'être plus rares, contribueraient sans doute à rendre au Peuple allemand, rassemblé pour des fins sérieuses, le besoin d'œuvres aborigènes, expressives de l'âme germanique. C'était articuler (1849) la conception d'où, bien plus tard, jaillit, baraque sublime, le temple de Bayreuth; mais de ce que cette baraque fut destinée, du reste, à la Tétralogie d'abord, est-il permis d'induire que la conception vague, l'initiale conception de 1849 correspondait elle-même au plan d'un Drame quadruple? En vérité non! et qu'importe? N'est-ce pas assez qu'on puisse, d'une telle conception vague, conclure à l'évident souci, qu'avait Wagner, de s'inspirer de l'idéal grec; d'adapter originalement cet idéal (question tétralogique à part) à l'authentique génie de l'Allemagne? N'est-ce pas assez qu'on puisse, grâce au même document, fixer à quelle époque et par quelles causes Wagner, résolu à tenter pareille adaptation, obligé de comparer, pour y mieux réussir, ce qu'ont été les relations, en Grèce, du théâtre et de la vie publique, avec ce qu'elles étaient dans sa propre patrie, trouva la certitude, en cette comparaison, que l'état défectueux du théâtre moderne, en Allemagne et partout ailleurs, résultait d'un état non moins défectueux de la Société, par toute l'Europe?[69-1]

      Or c'est,—la découverte de cette certitude, c'est le nœud, pour ainsi dire, tragique, logique aussi, de toute l'existence de Wagner: jugeant irréformable enfin l'Art du théâtre, aussi longtemps que la Société n'aurait pas été réformée, il crut que son devoir était d'attaquer cette dernière, dès qu'il en aurait l'occasion, sur le terrain de la Politique. Nul n'ignore qu'il n'y faillit point, et que la Révolution de 1848 s'étant propagée de France à Dresde, le Kapellmeister du Théâtre-Royal n'hésita pas une seule seconde, en mai 1849, à s'insurger contre le roi[69-2].

      C'est alors qu'ayant eu la chance, quand l'émeute eut été vaincue, de ne pas être pris, fusillé, et de pouvoir se sauver à Paris puis en Suisse; n'ayant plus à garder aucun de ces ménagements que lui auraient imposés, dans une certaine mesure, ses fonctions officielles de Dresde, il profita de cette liberté, de cette indépendance absolues, si opportunément recouvrées,[70-1] pour écrire et rendre publique, sous le titre: Art et Révolution, la profession de sa foi en un ordre de choses où l'Art, surtout l'art du Théâtre, redeviendrait ce qu'il était jadis: l'inspirateur, l'instituteur, le révélateur de la vie sociale.

      Mais, pour ne point paraître inapte à cette mission, que faudrait-il que fût toute œuvre dramatique? A force de chercher à se le représenter, Wagner en eut enfin la conception fort nette, et si nette qu'il la spécifia, sans plus tarder, dans un nouvel écrit spéculatif moins bref; et comme, après l'échec des révolutionnaires, il n'osait espérer, pour cette œuvre idéale, la possibilité, sur des scènes avilies, d'une réalisation contemporaine complète, il nomma cet écrit: L'Œuvre d'Art de l'Avenir[70-2].

      L'Œuvre d'Art de l'Avenir. Hélas! Français que nous sommes: il y a quarante-quatre ans, de cela!

      Wagner était d'ailleurs sincère: bien entendu! Il croyait sincèrement, ses lettres en font foi, que «de tout autres»[70-3] que lui créeraient cette Œuvre d'Art: il croyait, sans arrière-pensée, que son rôle était de la préparer et pour la préparer, tout en théorisant, il s'efforçait de revenir à l'exercice normal de ses facultés artistiques, par la composition d'un Drame, Wieland der Schmied[71-1], conforme, autant que possible, à ses vues immédiates, puisque tiré du Mythe, et par là musical, le sujet se prêtait à merveille à symboliser, au surplus, la nécessité, pour l'Artiste, de secouer le joug du Public, le joug de l'artificiel, de l'arbitraire, du faux; d'exprimer l'âme du Peuple, et de s'adresser au Peuple. «Préparatoire», nul doute qu'un tel Drame l'eût été: non pas un monument peut-être, mais un «signe», ou, comme l'a défini Wagner, un «moment»[71-2] de la Révolution. Il y renonça pourtant: je n'ai pas à dire pourquoi,—et je n'aurais même rien dit non plus de Wieland, si d'une part cette esquisse, très grandiose et très belle, n'eût fourni maint détail à la Tétralogie, si d'autre part la fable ne s'en rattachait au cycle des études résumées par Wagner, dans Le Mythe des Nibelungen comme projet de Drame, et dans Siegfried's Tod: desquels j'ai parlé.

      C'était vers ces études providentielles, somme toute, qu'il se trouvait sans cesse ramené d'intuition: ne le voit-on pas se remettre, en 1850, à la musique de Siegfried's Tod? Mais quoi! il s'y sentait gêné, paralysé par quelque cause, dont il ne parvint pas tout de suite à se rendre compte; puis Siegfried's Tod n'était qu'un «poème d'opéra»: et Wagner, édifié par ses récents écrits, estimait à présent que l'Œuvre d'Art de l'Avenir ne naîtrait jamais d'une telle forme; il est vrai que n'étant pas élu (à ce qu'il croyait) pour instaurer cette Œuvre d'Art, il pouvait en conscience lui-même, à la rigueur, sinon faire d'autres opéras, tout au moins achever Siegfried's Tod: mais ce droit n'était-il pas conditionnel, du reste? ce droit déchargeait-il Richard Wagner du devoir de la «préparer», l'Œuvre d'Art? Pouvait-il, sans enfreindre ce devoir, exercer ce droit, pouvait-il achever Siegfried's Tod, avant d'avoir bien établi, pour les lecteurs de ses écrits, et de s'être signifié à lui, Richard Wagner, irrécusablement, irréfragablement: qu'il ne faudrait pas s'y tromper; que ni cet opéra, quand il serait terminé, ni aucun opéra, jamais, à aucun titre, ne saurait être, en tant qu'opéra, «préparatoire» à l'Œuvre d'Art[72-1]? Raille ces scrupules qui l'ose! C'est pour y satisfaire que, s'arrachant à Siegfried's Tod, Wagner eut la patience, dans Opéra et Drame, d'épuiser la question tant au point de vue critique qu'au point de vue, essentiel pour nous, de la théorie: «Voici mon testament,» dit-il[72-2]: «je puis mourir! Tout ce que je ferai de plus me semble être un pur luxe!»—Oui, le «luxe» fut assez «pur», j'espère, un tel «pur luxe!»

      Tout de même, en attendant de «mourir», il fallait vivre. Par bonheur, tandis que Wagner théorisait, ses amis s'employaient à faire monter ses œuvres: pour la première fois, Lohengrin venait d'être représenté, au théâtre de Weimar, et, grâce au dévouement de Franz Liszt, avec un tel succès que Wagner, sollicité, dut promettre à cette scène un nouvel opéra; il comptait, pour remplir cet engagement, sur Siegfried's Tod[72-3], que plus rien, semble-t-il, ne l'eût retenu de finir, si cette fois, la musique reprise, il n'eût trouvé quelle cause, insoupçonnée naguère, l'y avait tout d'abord gêné, paralysé: Siegfried's Tod n'était point scénique! «Lorsque j'essayai, dit Wagner, de dramatiser le moment capital du mythe des Nibelungen, dans La Mort de Siegfried, je jugeai nécessaire d'indiquer un grand nombre de faits antérieurs, de façon à mettre cet épisode essentiel dans son vrai jour. Mais je ne pouvais que raconter ces faits