Jules Verne

Autour de la Lune


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Sans doute, car après la surexcitation de ces dernières heures passées sur la Terre, la réaction devait inévitablement se produire.

      «Eh bien, dit Michel, puisqu'il faut dormir, dormons.»

      Et, s'étendant sur leurs couchettes, tous trois furent bientôt ensevelis dans un profond sommeil.

      Mais ils ne s'étaient pas assoupis depuis un quart d'heure, que Barbicane se relevait subitement et réveillant ses compagnons d'une voix formidable:

      «J'ai trouvé! s'écria-t-il!

      —Qu'as-tu trouvé? demanda Michel Ardan sautant hors de sa couchette.

      —La raison pour laquelle nous n'avons pas entendu la détonation de la Columbiad!

      —Et c'est?... fit Nicholl.

      —Parce que notre projectile allait plus vite que le son!»

       Où l'on s'installe

       Table des matières

      Cette explication curieuse, mais certainement exacte, une fois donnée, les trois amis s'étaient replongés dans un profond sommeil. Où auraient-ils, pour dormir, trouvé un lieu plus calme, un milieu plus paisible? Sur terre, les maisons des villes, les chaumières des campagnes, ressentent toutes les secousses imprimées à l'écorce du globe. Sur mer, le navire, ballotté par les lames, n'est que choc et mouvement. Dans l'air, le ballon oscille incessamment sur des couches fluides de densités diverses. Seul, ce projectile, flottant dans le vide absolu, au milieu du silence absolu, offrait à ses hôtes le repos absolu.

      Aussi, le sommeil des trois aventureux voyageurs se fût-il peut-être indéfiniment prolongé, si un bruit inattendu ne les eût éveillés vers sept heures du matin, le 2 décembre, huit heures après leur départ.

      Ce bruit, c'était un aboiement très caractérisé.

      «Les chiens! Ce sont les chiens!» s'écria Michel Ardan, se relevant aussitôt.

      —Ils ont faim, dit Nicholl.

      —Pardieu! répondit Michel, nous les avons oubliés!

      —Où sont-ils?» demanda Barbicane.

      On chercha, et l'on trouva l'un de ces animaux blotti sous le divan. Épouvanté, anéanti par le choc initial, il était resté dans ce coin jusqu'au moment où la voix lui revint avec le sentiment de la faim.

      C'était l'aimable Diane, assez penaude encore, qui s'allongea hors de sa retraite, non sans se faire prier. Cependant Michel Ardan l'encourageait de ses plus gracieuses paroles.

      «Viens, Diane, disait-il, viens, ma fille! toi, dont la destinée marquera dans les annales cynégétiques! toi que les païens eussent donnée pour compagne au dieu Anubis, et les chrétiens pour amie à saint Roch! toi, digne d'être forgée en airain par le roi des enfers, comme ce toutou que Jupiter céda à la belle Europe au prix d'un baiser! toi, dont la célébrité effacera celle des héros de Montargis et du mont Saint-Bernard! toi, qui, t'élançant vers les espaces interplanétaires, seras peut-être l'Ève des chiens sélénites! toi qui justifieras là-haut cette parole de Toussenel: «Au commencement. «Dieu créa l'homme, et le voyant si faible, il lui «donna le chien!» Viens, Diane! viens ici!»

      Diane, flattée ou non, s'avançait peu à peu et poussait des gémissements plaintifs.

      «Bon! fit Barbicane, je vois bien Ève, mais où est Adam?

      —Adam! répondit Michel, Adam ne peut être loin! Il est là, quelque part! Il faut l'appeler! Satellite! ici, Satellite!»

      Mais Satellite ne paraissait pas. Diane continuait de gémir. On constata cependant qu'elle n'était point blessée, et on lui servit une appétissante pâtée qui fit taire ses plaintes.

      Quant à Satellite, il semblait introuvable. Il fallut chercher longtemps avant de le découvrir dans un des compartiments supérieurs du projectile, où un contrecoup, assez inexplicable, l'avait violemment lancé. La pauvre bête, fort endommagée, était dans un piteux état.

      «Diable! dit Michel, voilà notre acclimatation compromise!»

      On descendit le malheureux chien avec précaution. Sa tête s'était fracassée contre la voûte, et il semblait difficile qu'il revînt d'un tel choc. Néanmoins, il fut confortablement étendu sur un coussin et là, il laissa échapper un soupir.

      «Nous te soignerons, dit Michel. Nous sommes responsables de ton existence. J'aimerais mieux perdre un bras qu'une patte de mon pauvre Satellite!»

      Et, ce disant, il offrit quelques gorgées d'eau au blessé, qui les but avidement.

      Ces soins donnés, les voyageurs observèrent attentivement la Terre et la Lune. La Terre n'était plus figurée que par un disque cendré que terminait un croissant plus rétréci que la veille; mais son volume restait encore énorme, si on le comparait à celui de la Lune qui se rapprochait de plus en plus d'un cercle parfait.

      «Parbleu! dit alors Michel Ardan, je suis vraiment fâché que nous ne soyons pas partis au moment de la Pleine-Terre, c'est-à-dire lorsque notre globe se trouvait en opposition avec le Soleil.

      —Pourquoi? demanda Nicholl.

      —Parce que nous aurions aperçu sous un nouveau jour nos continents et nos mers, ceux-ci resplendissants sous la projection des rayons solaires, celles-là plus sombres et telles qu'on les reproduit sur certaines mappemondes! J'aurais voulu voir ces pôles de la Terre sur lesquels le regard de l'homme ne s'est encore jamais reposé!

      —Sans doute, répondit Barbicane, mais si la Terre avait été pleine, la Lune aurait été nouvelle, c'est-à-dire invisible au milieu de l'irradiation du Soleil. Or, mieux vaut pour nous voir le but d'arrivée que le point de départ.

      —Vous avez raison, Barbicane, répondit le capitaine Nicholl, et d'ailleurs quand nous aurons atteint la Lune, nous aurons le temps, pendant les longues nuits lunaires, de considérer à loisir ce globe où fourmillent nos semblables!

      —Nos semblables! s'écria Michel Ardan. Mais maintenant, ils ne sont pas plus nos semblables que les Sélénites! Nous habitons un monde nouveau, peuplé de nous seuls, le projectile! Je suis le semblable de Barbicane, et Barbicane est le semblable de Nicholl. Au-delà de nous, en dehors de nous, l'humanité finit, et nous sommes les seules populations de ce microcosme jusqu'au moment où nous deviendrons de simples Sélénites!

      —Dans quatre-vingt-huit heures environ, répliqua le capitaine.

      —Ce qui veut dire?... demanda Michel Ardan.

      —Qu'il est huit heures et demie, répondit Nicholl.

      —Eh bien, repartit Michel, il m'est impossible de trouver même l'apparence d'une raison pour laquelle nous ne déjeunerions pas illico.»

      En effet, les habitants du nouvel astre ne pouvaient y vivre sans manger, et leur estomac subissait alors les impérieuses lois de la faim. Michel Ardan, en sa qualité de Français, se déclara cuisinier en chef, importante fonction qui ne lui suscita pas de concurrents. Le gaz donna les quelques degrés de chaleur suffisants pour les apprêts culinaires, et le coffre aux provisions fournit les éléments de ce premier festin.

      Le déjeuner débuta par trois tasses d'un bouillon excellent, dû à la liquéfaction dans l'eau chaude de ces précieuses tablettes Liebig, préparées avec les meilleurs morceaux des ruminants des Pampas. Au bouillon de bœuf succédèrent quelques tranches de beefsteak comprimés à la presse hydraulique, aussi tendres, aussi succulents que s'ils fussent sortis des cuisines du café Anglais. Michel, homme d'imagination, soutint même qu'ils étaient «saignants».

      Des légumes conservés «et plus frais que nature», dit aussi l'aimable Michel, succédèrent au plat de viande,