Nuno Morais

Perdus Pour Toujours


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trompes. Les engagements avant tout, ce qui était prévu reste prévu. Elle m’a demandé, a insisté, m’a imploré pour que j’aille manger avec elle, mais je suis resté ferme et lui ai dit à chaque fois non ! D’abord les amis, ensuite les conquêtes » Leur lancé-je avec ma meilleure interprétation théâtrale, cherchant à éloigner la vision qui les offusquait encore. Georges me regarde d’un air incrédule : « De quoi, cette statue, cette ode à la beauté t’invite à déjeuner et toi tu dis que tu dois aller déjeuner avec des amis ? » J’acquiesce. « Cet homme est malade. Et sûrement complétement fou. » Je suis entouré de visages où l’on ne peut observer que de la désapprobation. « Enfin, il vaut mieux quand même aller déjeuner avec lui, ne va-t-il devenir fou quand il réalise l'énormité de son erreur. » Je hausse les épaules et accepte leur soutien, en sachant très bien que quoi qu’il arrive je vais déjeuner avec Cinzia.

      La conférence est intéressante en elle-même et m’aide à retrouver mon état normal, tandis que je ne remarque pas le temps passer jusqu’à l’heure du déjeuner. Les déjeuners sont libres et nous choisissons tous les quatre d’aller dans un restaurant, sur la marina, que le secrétariat a conseillé à Georges pour la fraîcheur ainsi que la variété de leurs poissons. Nous parcourons le Jardin de Santa Catarina et traversons ensuite l’Avenue de la Mer, nous passons devant la Maison de la Bière et continuons jusqu’à la marina.

      Le restaurant « Peixe Fresco » se situe plus ou moins au centre et semble avoir été récemment inauguré. Nous pouvons y voir des bâches à rayures bleues, des chaises en osier tapissées du même tissu à motifs, des tables en bois clair recouvertes de nappes à carreaux bleu clair ainsi que les traditionnels aquariums et tables d’exposition présentant la pêche du jour – accompagnés de tableaux annonçant le prix de chaque poisson dans huit langues afin de n’offenser aucun client potentiel.

      Nous sommes reçus par un employé polyglotte, qui je pense est l’auteur des tableaux, avant que je ne remarque ensuite que tous les employés parlent, ou se débrouillent, dans au moins quatre des huit langues qui annoncent le menu. Nous nous asseyons à une table, à l’intérieur dans un coin, loin de l’agitation des touristes qui occupent les places les plus proches des quais, afin de mieux admirer ce qui s’y passe. Nous demandons un mélange de poissons pour quatre personnes, qui sont en pratique les poissons du jour, de petite taille, grillés au charbon de bois et servis avec des frites à l’ail, du citron et de la salade verte. Sur l’insistance de Neil, qui adore le vin vert, nous commandons deux bouteilles d’Alvarinho Soalheiro, en appuyant sur le fait qu’elles doivent être « trèèès fraîches », car c’est, de cette manière, exceptionnel, selon lui. Enfin moi, j’aurais plutôt pris une bière, mais bon si les autres boivent du vin… Ce séjour à Funchal va véritablement ruiner mon entraînement physique.

      Le déjeuner dure pratiquement les deux heures de pause entre la session du matin et celle de l’après-midi. Et après le poisson, arrivent les desserts, et cette fois je n’y résiste pas. Je mange un flan au fruit de la passion, qui doit contenir plus de calories que tout le reste du déjeuner dans son intégralité. Georges paye l’addition, en disant qu’il présentera cela en tant que frais de représentation sans que personne ne l’embête, ainsi tout le monde le remercie et promet de lui payer un verre la prochaine fois.

      Nous sortons du restaurant et montons calmement la pente pour retourner au palais des congrès, où nous arrivons alors que le premier orateur de l’après-midi s’apprête à monter les marches de la scène.

      Je retourne à ma place et essaye de supporter ce qui semble être la pire conférence possible. Une voix monocorde nous présente les stratégies de planification fiscale en utilisant les centres d’exonération qui ne figurent pas encore sur liste noire. Un bel exemple qui nous montre qu’aucun graphique de couleur ne peut rendre intéressant un sujet. Au moins, ils ont distribué des résumés que je vais pouvoir ramener à Gomez, car je n’ai pris aucune note.

      Nouvelle pause d’une demi-heure. Je décide de m’en aller avant la prochaine conférence. Cela semble être une présentation du type de services que l’organisation peut offrir, et ces informations figurent sur la brochure qu’ils m’ont distribué lorsque je suis arrivé. On me confirme ce que je pensais, et me mets donc en chemin du Pearl Bay, suivi de près par une grande partie des autres participants qui ont dû arriver à la même conclusion que moi.

      ☣

      J’arrive à l’hôtel après une promenade agréable et vais voir Becca en compagnie de la baby-sitter, qui s’appelle Sofia et avec je n’ai pratiquement pas parlé ce matin car elle est arrivée en retard. Elles sont à la piscine, en train de barboter toutes les deux dans le petit bassin.

      « Hej, Kalle ! Titta, ja’badar. » Bon, je me rends compte qu’elle a passé la journée à parler suédois, ça va être difficile de la faire changer. « Bonjour bébé, tu t’es bien amusée avec Sofia ? » Elle me répond que oui en jetant un regard complice en direction de Sofia, qui lui fait un clin d’œil et fait chut avec le doigt devant la bouche. « Oui nous nous sommes bien amusées. On est allées à la piscine en bas et ap’ès on est venu ici. » Au final ce n’était pas si difficile que ça. J’ouvre à peine la bouche pour lui demander autre chose, qu’elle me coupe.

      « Tu sais aujou’d’hui j’ai mangé un g’os poisson. » Je regarde Sofia qui, en silence, forme avec les lèvres les mots « poisson grillé » et montre le bar de la piscine. « Ah oui, et tu as aimé ? » Elle me dit à nouveau oui et continue avec une voix sérieuse, « c’était un poisson très grand, comme ça. » Elle écarte les bras pour montrer que son poisson mesurait presque cinquante centimètres. Elle me regarde à moi puis à Sofia d’un air effronté pour voir si la blague marche, mais comme elle nous voit prêt à éclater de rire, elle se met à rire aussi et essaye de m’attirer dans l’eau, mais comme je la connais bien je me mets hors de sa portée.

      « Et bien ma petite, que diriez-vous, avec Sofia, d’allez-vous habiller que l’on aille ensuite prendre le goûter ? » Elle commence à sautiller en mettant de l’eau partout. « Ouii ! Un goûter. Je veux un gâteau ! » C’est ce qu’on va voir, me dis-je. Sofia l’aide à sortir doucement de la piscine, mieux que moi je pense, met un peignoir et l’enveloppe dans une serviette, attrape un sac en toile qui se trouve sur une chaise à côté de la piscine puis se dirigent toutes les deux en direction de l’ascenseur pour aller dans la chambre. Je vais les attendre à la cafétéria.

      Elles arrivent vingt minutes après. Becca porte une robe bleu clair à manches trois quart, des sandales beiges que je n’ai jamais réussi à lui faire porter et un bandeau, dont je ne connaissais même pas l’existence, sur ses cheveux encore humides. Elle arrive d’un air satisfait, de quelqu’un qui se sent bien dans ses vêtements. Elle est très jolie et ressemble de plus en plus à ma sœur, qui aurait adoré la voir comme cela.

      Sofia a dû se changer avec les vêtements qui se trouvaient dans son sac, car elle ne porte ni les chaussures, le jean ou le tee-shirt en coton à manches longues avec lesquels elle est arrivée ce matin. Elle porte une robe longue en coton vert clair à bretelles, qui arbore un motif fleuri dans les tons de vert foncé et blanc et des sandales en toile avec le talon en bois, qui la hissent presque à ma hauteur. À l’épaule elle porte un sac en maille beige. Il me semble qu’elle s’est maquillée les yeux et la bouche et au lieu de sa queue de cheval de tout à l’heure, elle arbore des boucles couleur acajou qui lui tombent sur les épaules et dans le dos. Son visage est grand et harmonieux, et sous ses sourcils épais dans les tons de roux, elle a des yeux verts, très clairs, en amande, soulignés par de longs cils cramoisis. Son nez est petit et en trompette, typique des scandinaves, mais ses lèvres charnues et sensuelles, ne sont quant à elles pas si caractéristiques. Ses dents sont alignées et bien blanches, signe qu’elle n’a dû jamais louper un rendez-vous chez le dentiste de toute sa vie. Son sourire est charmant et fait ressortir ses pommettes ainsi que le vert de ses yeux qui parait s’intensifier quand elle sourit. Sa peau est couleur crème, parsemée de taches de rousseurs de la tête aux pieds, ce qui lui fait d’une certaine manière ressembler à Pippi aux Grandes Chaussettes et doit par conséquent