« Så, Sofia, du bor här med dina foräldrer ? », lui dis-je afin d’engager la conversation. « Japp, men alla kalla mig för Fia, och vi kan prata portugisiska om du vill. » Je trouve cela bizarre, je me rappelle que Micaela, la fille de la réception, m’a dit qu’elle parlait mal le portugais. « Ok, si tu veux, alors, pour récapituler, tu vis ici avec tes parents et tu parles portugais, contrairement à ce que dit la réception. » Elle se met à rire, d’un rire cristallin et agréable.
« Je pense que c’est plutôt parce qu’ils ne me comprennent, et non pas le fait que je parle mal portugais. » L’accent est prononcé, du Nord de Porto ou peut-être encore plus au nord, mais en aucun cas je ne dirais qu’elle parle mal. « Oui je vois ce que tu veux dire, » lui dis-je avec un sourire. « Et comment tu es arrivée ici ? » Elle boit une gorgée de mazagran, croise les jambes et arrange sa robe avec de répondre : « Ma mère est professeur invitée de Biologie Maritime à l’université d’ici, ainsi mes parents passent des semestres à Funchal durant l’année universitaire. » Je me dis que ça doit être très intéressant de vivre ainsi entre deux endroits. Je lui demande ce que fait son père pour qu’il arrive à s’arranger pour venir à Funchal avec sa femme et maintenir son emploi. Elle me dit alors qu’il est écrivain, mais poursuit immédiatement en disant qu’il n’est pas connu, je n’en demande donc pas plus. « Et d’où tiens-tu cet accent du Nord ? » À nouveau le rire cristallin. « Eh bien, cela vient sans doute de ma mère ! » Elle rit encore une fois, mais comme elle ne m’en dit pas plus je n’insiste pas. Entre-temps, Becca, lassée de notre conversation, est partie s’amuser dans le jardin. Elle me demande ce que je fais dans la vie, où nous habitons avec Becca et comment se fait-il que nous parlions à la fois portugais et suédois entre nous. Je me retrouve alors à lui raconter l’histoire de ma famille, depuis l’époque où mon arrière-grand-père était aide-de-camp de l’attaché militaire italien à Madrid, comment il s’est marié à mon arrière-grand-mère qui était espagnole et comment il a réussi à rester pendant la guerre. Je lui parle également de mon grand-père, qui est venu au Portugal en visite et qui en est parti marié à ma grand-mère et de comment mon père qui a toujours passé beaucoup de temps avec mon arrière-grand-père maternel ainsi qu’avec mon oncle-grand-père, a fini par devenir avocat au Portugal.
« Tu as une famille plus mixte que la mienne. » Ça c’est sûr, me dis-je, et encore tu ne connais pas le côté de ma mère. « Et comment tes parents se sont-ils connus ? »
Ne voulant pas m’éterniser sur le sujet, je lui dis seulement qu’ils se sont rencontrés à l’Université de Madrid, quand ma mère y est venue passer un semestre d’échange, et que je suis né quelques mois après.
« Bon sang, quelle histoire ! Quel romantisme. Et ils habitent où maintenant ? » la question était inévitable et la réponse doit être donnée, même si c’est difficile.
« Mes parents sont décédés. Ils sont morts dans un accident de voiture avec ma sœur, la mère de Becca. » En un instant, je la vois devenir livide.
« Oh, je suis désolée, je ne savais pas. »
« Ce n’est pas grave. Tu ne pouvais pas savoir. De toute façon, ça s’est passé il y a plus d’un an. C’est juste que nous ne sommes pas encore guéris. »
« J’imagine. Cela doit être horrible. Je n’arrive pas à imaginer ce que ça serait de perdre mes parents de cette manière. »
« Ça a été un grand choc. Surtout qu’ils allaient seulement voir une maison pour ma sœur et Becca à côté de Cascais. Ils sont apparemment sortis de la route et sont tombés dans un ravin sans raison apparente. Becca a été la seule survivante, sans une égratignure. Elle a été éjectée, dans son siège auto, hors de la voiture et a atterri sur des arbustes qui ont amorti sa chute. Mes parents et ma sœur n’ont pas eu la même chance, mêmes les ceintures de sécurité n’ont pas pu les sauver.
« Alors, cela s’est passé comme ça, rien de plus ? » J’ai toujours pensé que ça me ferait du mal d’entendre ce type de question, mais non, je me sens étrangement léger, comme si on m’enlevait un poids des épaules.
“Apparemment. Il y a bien eu le témoignage d’un homme qui disait avoir vu un gros 4x4 immatriculé à l’étranger, un Suburban ou quelque chose comme cela, mais il se trouvait trop loin pour en être certaine et le véhicule n’a jamais été retrouvé. De toute façon, l’homme aimait l’alcool et est mort peu de temps après d’une crise cardiaque, et la police n’a jamais retrouvé aucune preuve dans la voiture de mes parents, elle a percuté tellement d’obstacles durant la chute qu’elle a été totalement détruite, et si cela ne suffisait pas, elle a également explosé, effaçant ainsi tous les indices restants. »
« Mon dieu. Je ne sais pas quoi dire. Je suis désolée de t’avoir posé la question, je ne voulais pas te rappeler des choses aussi tragiques, » me dit-elle avec les yeux humides.
« Ce n’est pas grave, et pour te dire toute la vérité, ça me fait du bien d’en parler. J’ai gardé tout cela en moi depuis trop longtemps. Je me préoccupe beaucoup de Becca et je ne pense pas beaucoup à moi. Peut-être fallait-il que je parle de ce qui s’était passé ? » Dis-je d’un air interrogatif.
« Et tes amis ? Ta petite amie ? »
« Eh bien, tu sais, je n’ai jamais été fêtard. Les quelques connaissances que j’avais se sont poliment éloignées après l’accident, afin de me laisser faire le deuil, je suppose, mais ne sont ensuite jamais revenues. Ma petite amie de l’époque a trouvé que Becca était un poids trop lourd pour notre relation et a dit qu’il était mieux pour nous de se séparer. Il me reste quelques amis, mais vu ce qu’il s’est passé avec les autres, je me suis dit qu’il était préférable de les laisser tranquilles et de m’occuper de Becca. Elle était assez mal après l’accident, le choc lui a provoqué des tremblements et des cauchemars, beaucoup de cauchemars. Ça a été très difficile pour elle d’accepter qu’ils étaient morts. Encore aujourd’hui elle fait des cauchemars. »
« Cette fille doit être stupide ! » Dit-elle entre les dents au sujet d’Isabel, rougissant immédiatement en s’apercevant que j’avais entendu. Je lui explique que maintenant je m’en fiche, que c’est peut-être mieux comme cela, car si elle était restée ça n’aurait sûrement pas duré. Elle est d’accord avec moi. Après un petit silence j’enchaîne « Enfin, laissons cela, ce qui est passé est passé, et malheureusement nous ne pouvons rien y changer. Tu veux un autre mazagran ? »
« Non, merci. Pour changer complétement de sujet, j’aimerais savoir comment tu souhaites t’organiser par rapport à Becca. Quand ils m’ont téléphoné, ils sont restés très vagues, ils m’ont dit que quelqu’un qui venait pour un séminaire avait besoin qu’on s’occupe d’une petite fille. Je suppose donc, que tu as besoin de moi la journée, mais aussi le soir, à cause des dîners, n’est-ce pas ? »
« Oui, en principe c’est comme ça, mais pas aujourd’hui. Je n’ai pas envie d’aller au dîner, j’ai assez mangé à midi et je n’ai pas envie de trop manger ce soir. Je voulais dîner avec Becca... et avec toi, si tu veux nous faire de la compagnie ? » Je lui propose cela sans bien savoir quoi dire de plus.
« Non, merci. J’apprécie l’invitation mais je ne peux pas. Cela tombe d’ailleurs plutôt bien que tu n’ailles pas au diner du séminaire ce soir, car aujourd’hui mes parents ont organisé un repas avec des amis à eux qui sont de passage et je n’aurais pas pu rester. Si tu n’étais pas rentré à l’hôtel, j’avais déjà trouvé quelqu’un pour me remplacer. Demain et même après, en revanche, je suis libre et peux rester, donc ne t’inquiètes pas pour Becca.
Je la remercie et lui demande si elle doit partir tout de suite, quand elle me dit que non, j’en profite pour lui demander si elle peut rester une heure de plus afin que je puisse aller à la piscine pour brûler les calories de ce midi. Elle se met encore à rire, je me dis que ça doit être une personne qui est toujours de bonne humeur. Elle dit que c’est bon