un imperméable à Becca, je la chausse avec des bottes en caoutchouc, lui glisse ses chaussures dans un sac en plastique et lui donne un mini-parapluie du Marsupilami. Je mets mon manteau, j’y glisse mon parapluie, mon portefeuille et mon téléphone portable. Je cherche autour de moi la petite chaise pliante, quand tout à coup je me souviens que je l’ai laissé à l’école, j’ouvre la porte, appelle l’ascenseur, ferme la porte de deux coups de clé et nous descendons au rez-de-chaussée.
Le jour ne semble pas vouloir apparaître, le ciel affiche des tons bleu clair et la faible luminosité n’éclipse pas encore les lampadaires de la rue qui sont toutefois en train de s’éteindre. La seule chose positive est qu’il a arrêté de pleuvoir et c’est déjà bon signe car s’il y a bien une chose que je déteste c’est d’avoir les pieds mouillés. J’espère que cela va au moins durer jusqu’à ce qu’on arrive à la station de métro. Mais comme je ne fais pas confiance au temps, je décide de prendre la vieille coccinelle jaune qui appartenait à Mia et d’aller en voiture jusqu’au métro.
Je finis tout juste de m’asseoir et de boucler ma ceinture, après avoir installé Becca dans son siège auto, qu’il recommence à pleuvoir des cordes. Si je pouvais avoir ce genre d’intuition avec les numéros, je pourrais passer ma vie au casino à la table du blackjack ou bien à acheter des billets de loterie. Ce serait mon loisir et je travaillerais uniquement car je le souhaite.
La voiture finit enfin par démarrer après plusieurs tentatives, j’étais déjà en train de me maudire en pensant que j’allais finalement devoir me mouiller pour aller jusqu’au métro. S’ensuit alors un déluge jusqu’au Colombo et au parking à côté de la station de métro, où je réussis à trouver une place couverte près de l’entrée de la station. J’éteins le moteur, défais la ceinture de Becca qui à son tour éteint la radio, elle cache la vieille façade sous le siège et commence à descendre de son siège auto pour ouvrir sa portière. Je sors de la voiture avec tout le bazar sous le bras et mets mon manteau, plus pour une question de commodité que par crainte de me mouiller car la pluie s’est arrêtée aussi soudainement qu’elle a commencé. Je me mets immédiatement à avoir chaud. Franchement je ne comprends pas les gens qui arrivent à porter des manteaux de fourrure ou des doudounes durant ces étés rafraîchis que les lisboètes appellent Hiver, durant lesquelles les températures descendent rarement en-dessous des dix degrés et si elles y descendent ce ne sera que le matin car à midi elles atteignent pour sûr les quinze ou les vingt degrés. Finalement, « chacun ses goûts » comme dirait ma grand-mère et elle doit savoir de quoi elle parle puisqu’elle est née ici.
Je glisse mon portefeuille, le sac des chaussures et le parapluie sous le bras, je donne la main à Becca et nous descendons les marches du métro. Nous parcourrons le couloir jusqu’au hall avec les machines, où elle insiste pour mettre la monnaie et nous nous dirigeons vers le quai. Il y a déjà pas mal de monde, même si ce n’est pas encore rempli comme d’habitude après neuf heures. Parfois, je me demande à quelle heure les gens commencent vraiment à travailler, car le trafic est affreux entre neuf et onze heures, le métro y est plein. Moi je préfère commencer tôt pour finir tôt et non pas le contraire et ce même si je n’avais pas Becca à ma charge.
Le métro arrive après un peu plus de cinq minutes d’attente, nous y entrons sans grandes difficultés ni bousculades typiques d’un voyage en métro à Lisbonne. Becca est assise sur un siège gentiment laissé par une dame. Je la remercie mais lui dis que ce n’est pas nécessaire, qu’elle préfère rester debout en s’accrochant à moi. Mais la dame insiste et pour ne pas la vexer, je dis à la petite de s’asseoir, ce qu’elle fait immédiatement, comme pour me dire que ce n’était pas la peine de faire tant de manière et qu’elle aurait pu en profiter plus tôt.
La dame caresse les cheveux de Becca qui secoue la tête et se replie sur son siège. Elle lui dit : « Que tu as de jolis cheveux. Comment t’appelles-tu ? » Mais la petite se replie encore plus, elle n’est pas habituée à recevoir des attentions de personnes qu’elle ne connait pas, et encore plus à des endroits où elle sent que tout le monde la regarde, je viens alors à son secours :
« Tu peux dire ton nom à la dame. Tu t’appelles Becca, n’est-ce pas ? » Elle acquiesce.
« Becca ? Que c’est original. C’est vraiment ton nom ? »
Becca me lance alors un de ses regards noirs, mais la dame n’a pas remarqué, elle s’était déjà retournée vers moi pour me demander une explication. Je lui dis que non, c’est seulement un diminutif, que son vrai nom est Rebecca, mais que pratiquement personne ne l’appelle ainsi et qu’elle ne répond pas lorsqu’on l’appelle comme cela. Néanmoins, la dame continue en disant que c’est un nom bizarre et me demande pourquoi nous l’appelons ainsi, alors que Rebecca est un prénom si joli et qu’elle est si mignonne, affirme-t-elle tournée vers moi. Heureusement, car Becca est en train de lui tirer la langue. Je lui fais signe de la rentrer dans sa bouche et elle obéit, en prenant une expression angélique qui laisserait penser qu’elle est incapable de telles choses.
Le métro va d’une station à l’autre, quelques passagers descendent et d’autres montent au fur et à mesure. La dame à l’air de faire le voyage jusqu’au bout. « Quel âge a-t-elle ? », me demande-t-elle après avoir une fois de plus caressé les cheveux de Becca. « Elle va avoir quatre ans d’ici peu », lui réponds-je, en sachant bien ce qui va suivre.
« Oh, qu’elle est grande, et si jolie, elle parait plus âgée. » Je la remercie et lui dis qu’effectivement elle est assez grande. Elle me demande si c’est ma fille, je lui dis que je suis son oncle sans entrer dans les détails, ce qui apparemment la satisfait et car elle passe à une nouvelle question. « Ses cheveux ont une couleur peu courante, ce n’est pas une couleur tout de même ? » Quelle patience ! Je ne sais pas comment les gens peuvent un instant imaginer qu’il est possible de colorer les cheveux d’une enfant de trois ans. Mais après le nom bizarre, la question sur la couleur de cheveux peu courante était évidente. Je lui dis que non, en essayant de ne pas perdre patience, que la couleur de ses cheveux est naturelle, qu’elle l’a hérité de sa mère qui avait les mêmes… Oh, je me rends compte de mon erreur, de la conjugaison de mon verbe au passé, mais c’est trop tard, et ma tête doit le confirmer. Je ne peux ainsi pas éviter la question suivante :
« Sa mère est morte ? » me questionne-t-elle dans un murmure, salivant déjà des détails de notre mélodrame familial. Je regarde en panique Becca, mais elle n’y prête pas attention car sur la banquette opposée, il y a une autre petite fille dans les bras de son grand-père et elles se font des grimaces l’une à l’autre. Je peux ainsi mentir comme je veux, même si c’est sans grande conviction : « Non, ce que je voulais dire c’est que les cheveux de sa mère sont plus foncés maintenant, ils ne sont plus aussi clairs qu’avant ». C’est un mensonge, elle a toujours eu la même couleur, mais bon, je lui dis cela pour éviter d’entrer dans une conversation de condoléances et que la dame se mette à réconforter Becca, ce qui l’aurait sûrement attristée. Cela a dû satisfaire mon interlocutrice concernant ses connaissances en termes de variations de couleur de cheveux au fil des ans, car elle a une fois de plus caressé la tête de Becca en abandonnant le sujet, visiblement déçue puisqu’elle n’a finalement rien appris d’intéressant.
Entre-temps, nous arrivons à l’arrêt Marquês où nous devons changer de métro et où nous avons dû faire une des sorties les plus rapides des annales du métro. Nous montons jusqu’au hall où se trouve la billetterie et prenons les escaliers pour descendre de l’autre côté. Nous arrivons pile à temps pour prendre le métro de Campo Grande qui est beaucoup moins rempli et où personne n’a l’air de vouloir discuter avec nous. Le métro est un des nouveaux véhicules en circulation, avec des écrans LCD installés en haut de chaque fenêtre, qui retransmettent des publicités sans interruption, alternant avec les habituelles affiches plastifiées, pour les annonceurs qui ne peuvent pas se payer des publicités vidéo. Les wagons sentent encore le neuf, les tagueurs n’ont encore laissé que peu de marques ou de signatures à l’encre indélébile qu’ils ont l’habitude d’utiliser pour être sûrs que personne ne puisse les effacer, comme si ces marques étaient